Chapitre 20

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 La soirée se passe bien. Il fait suffisamment chaud pour sortir en t-shirt et Théo et moi l’avons même enlevé une ou deux fois dans l’euphorie éthylique où nous sommes, avant de se faire interpeller par un des agents de sécurité de la boîte. Comme tous les samedis soirs, on a beaucoup bu. Vodka-orange, Whisky-coca - mon ambroisie – coulent jusqu’au fond de nos veines et on a fini faute de diluant par des mélanges inexplorés jusqu’alors, ou du moins le croit-on, et où chaque gorgée avalée décape au vitriol nos foies déjà saturés. On a ensuite dansé n’importe comment durant des heures sans ressentir aucune fatigue : quatre robots déglingués ignorant les différentes notes, essayant péniblement d’abord de suivre la cadence sourde de la boîte à rythmes, avant de disjoncter totalement le canal auditif pour enfin n’être qu’une pâte à modeler ondulant aléatoirement selon un ineffable tempo. Je regarde mon téléphone : trois heures trente. Je sors peu à peu de ma transe et lève les yeux, cherchant du regard mes amis au milieu de ce kaléidoscope lumineux qui me donne le tournis. Théo danse à quelques mètres de moi, accompagné d’une plantureuse brune en short blanc et dos-nu bleu dont je ne parviens pas à distinguer le visage, enfoui dans les lèvres et les boucles blondes de mon ami qui, à coup sûr, ne manquera pas de faire le paon le lendemain. Regardez celui-ci : le monde est ouvert aux quatre côtés et pourtant il danse le charleston sans bouger de son coin de parquet. Nausicaa, elle, danse seule au milieu de la salle, repoussant les jeunes mâles qui, ayant repérés une proie isolée et particulièrement appétissante, posent avidement leurs mains moites sur ses hanches pour engager un collé-serré des plus abjects. Leur sueur alcoolisée mêlée d’une odeur d’urine froide goutte sur sa robe jaune pâle. Pendant quelques secondes, elle feint de rentrer dans leur jeu. Puis d’un coup, sournoisement, elle se retourne vers eux, et leur présente ses plus plates excuses devant sa maladresse qui a malencontreusement fait atterrir ses doigts dans leurs yeux, ou son coude dans ce qui ne risque plus de servir cette nuit. Je remarque ainsi trois de ces éclopés, assis piteusement sur le bord de leur chaise, sirotant un verre au bar pour se redonner une contenance. Je la rejoins pour lui demander où est Paul. Elle me regarde en souriant, et répond qu’il est rentré depuis une heure, mort de fatigue. Elle me demande aussi de rester danser avec elle et de faire fuir les incommodants en me faisant passer pour son petit ami jaloux. Ce que je fais.

 Au milieu de ces corps exaltés et mous, elle évolue avec une grâce nymphéale qu’elle est seule à maîtriser. Les jambes à peine fléchies, elle dodeline lascivement des hanches tout en agitant doucement de bas en haut ses bras comme s’ils appartenaient à une méduse. Elle prend délicatement dans ses mains quelques particules d’air avant de les remettre d’une caresse à leur place initiale. C’est une allégorie de la lenteur dans cette pièce où les cinq sens se doivent d’être survoltés. Je regarde longuement ses fins bras d’abricot que j’ai toujours admirés. Mon regard sur la beauté féminine s’est radicalement transformé en quelques années mais celui pour Nausicaa est resté intact. De mon adolescence jusqu’à mes vingt ans, je ne regardais les femmes qu’à travers ce qui fait fantasmer les jeunes hommes. L’attrait pour l’inconnu. Je ne pouvais pas m’empêcher d’essayer d’estimer à travers leurs amples vêtements d’hiver le volume des seins qui se cachaient dessous. Il m’arrivait parfois de ralentir volontairement le pas dans la rue pour pouvoir suivre plus longtemps du regard une passante callipyge. Puis ce goût s’est estompé avec mon séjour à Miami où tout est disproportionné. Surtout les femmes qui exhibent fièrement dans les rues multicolores bordant les plages sans fin leurs poitrines et leurs fessiers artificiels toujours plus proéminents. Je me dis qu’il est heureux que ces deux attributs soient d’une exagération comparable pour permettre le maintien debout que le moindre déséquilibre dans un des deux sens aurait menacé. L’Homo Erectus n’a jamais été aussi proche de se perdre que sur les plages floridiennes. Et moi de perdre tout désir. Heureusement à mon retour en France, mon appétence revint, excitée par des fragments de chair auquel je me croyais insensible. Je vois du beau partout, là où mon regard ne s’est jamais attardé auparavant. Les membres surtout me fascinent. Des bras fins et vaporeux, comme coulés dans l’éther, où l’épaule vient délicatement plonger me laissent en proie au plus grand émerveillement. Où que je regarde, j’accroche quelque détail enchanteur autour de moi : un grain de beauté agrippé à un long cou bronzé, une cheville si fine qu’on a peur qu’elle se brise au moindre trottoir, ou quelques mèches de cheveux blonds coincés entre la clavicule et la lanière en cuir noir d’un sac à main. La beauté est ce que l’on a devant ses yeux. Et là, devant mes yeux flous, dans cette discothèque aux murs transpirants, tangue Nausicaa que je trouve à ce moment-là éperdument belle.

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