Chapitre 16

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 J’y prenais un plaisir indicible. La jouissance des premières transgressions. Là où les autres se masturbaient devant les bandes-dessinées du dernier étage de la bibliothèque parentale qu’ils arrivaient enfin à atteindre, guettant avec une anxiété terrible le ronronnement fatigué du monospace familial qui rentrerait trop tôt des courses, je disséminai dans mes copies des étourderies idiotes, des fautes grossières, des lignes blanches coupables qui étaient autant d’arcs électriques tendant mes muscles dans de voluptueux spasmes. Je poussais même le vice jusqu’à répondre correctement aux questions les plus difficiles pour créer la confusion dans l’esprit de mes professeurs. Ils semblaient hésiter à mon sujet, étais-je un tricheur médiocre, un vilain provocateur, ou un génie dilettante ? Cette indécision me permit d’accéder sans difficultés à la première et à la terminale malgré des bulletins catastrophiques, tous ayant le secret espoir d’avoir participé à l’éclosion du nouveau grand scientifique français. Certains en arrivaient même à s’imaginer quelques années plus tard dissertant auprès d’amis suspendus à leurs lèvres, comment ils avaient si bien su comprendre et accompagner cet adolescent promis à l’échec. Ils tomberaient tous en pâmoison, ces amis si banals, quand il expliquerait que lui seul avait senti le « diamant brut qui ne demandait qu’à être poli », pensant faire forte impression en articulant bien chaque syllabe d’une formule plus entendue encore que les aveux d’adultère ouïs dans toute sa carrière par un curé au bord de la retraite.

 En y repensant de plus près, l’adolescence est l’unique bastion de l’espoir. Avant, notre conscience du monde est parée d’un masque de naïveté. Après, le voile pourpre des illusions tombe sur le livre d’or de nos causes perdues. La découverte de notre cosmos se fait en deux étapes, d’une brutalité comparable. Lors de notre expulsion, d’abord. En l’espace de quelques secondes, on apprend d’instinct les premiers principes de la pesanteur, de l’optique, de l’ondulatoire sonore, ou de la dynamique des fluides. On apprend à transformer l’oxygène en dioxyde de carbone, l’énergie électrique en énergie chimique puis en énergie mécanique, le tout en moins d’une milliseconde. On devient un logiciel de reconnaissance faciale ultra-performant, et tout cela sans même en avoir la moindre once de conscience. Messieurs de Google, à vos ordinateurs, vous avez du travail ! Le second orage survient entre douze et quatorze ans plus tard. Il est un mélange indissociable d’effroi et d’excitation. Hormones contre neurones. Lavoisier contre Zeus. Ce monde parallèle qui nous échappait complètement, ce halo invisible, plus léger que l’air, se matérialise enfin en un miroir sans tain qui volète légèrement autour de nous. Certains appellent cela le regard des autres. D’autres la pression sociale. Fini de tenir la main à son camarade en attendant de rentrer en classe. Ris plus fort, sinon tu vas passer pour asocial. Pas autant ! On va te prendre pour un fou… Fais-toi des amis ! Vite, le plus possible ! Et moque toi de ceux qui n’en ont pas assez, tu paraîtras forcément mieux qu’eux. Papa, comment as-tu pu me trahir à ce point ? Me faire croire que la vie coulerait éternellement et sans barrages... Comment ça, rentré à minuit ? De quoi, c’est ça ou rien ? Tu veux ma mort sociale ? Je te hais, tu m’entends ! Comme tout le monde va me haïr après. Je te déteste, je t’abhorre ! Je t’aime. Je n’en sais rien…

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