Chapitre 14

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 En rentrant de La Belle Époque, après avoir retiré ma veste de serveur, plié rangé chemise, pantalon, je saute comme souvent sur le canapé en sous-vêtements et fixe pendant quelques temps le plafond. Une heure, deux… Pas attention au cadran. Les yeux traînent là sur le néant blanc devant moi. Plafond peint uniforme. Moulures ? Pas rêver. M’ont rejoué Malevitch mais horizontal. Pour les comblés de l’estomac les fignolages en tous genres. Parfois, j’ai l’iris qui accroche quelque petit insecte venu flâner là, et l’espace d’une seconde ma conscience affleure alors la surface comme le font certains poissons pour capter l’air, pour l’instant d’après replonger dans l’eau poisseuse de leur aquarium. Mes pensées tournent alors astéroïdes autour de mon cerveau saturnien, sans arriver à franchir le seuil de mon subconscient. Ellipses, périgée de conscience. Rien qui s’extrait vraiment. J’avais vu une fois à la tivi, par hasard, une course d’autos. Nascar ça s’appelle. Facétie américaine encore, propice à lente digestion d’infinies lagers. Brumes goudronnées et vapeurs sans plomb. Les gosses raffolent… Des bolides surpuissants tournent sans but à une vitesse ahurissante sur un anneau ridiculement petit, ne s’arrêtant que lorsqu’ils sont à court d’essence. Allez savoir… Dans cet état vaporeux de presque sommeil, mes pensées-Nascar se demandent alors quelle peut bien être mon essence à moi.

 D’autres moments, le vibreur du portable ou le ding-dong de l’ascenseur me sort brusquement de ma torpeur. Néanmoins la plupart du temps, je m’y enlève de mon plein chef. Désemberlificote doucement des nébulons. C’est un phénomène que j’ai aussi observé en prenant le bus... Qu’il m’arrivait alors de m’endormir. Connu plus confort, moins sommaire, mais quand le coaltar vous entoure rien à faire… On penche et on sombre, malgré les odeurs, carburant et urine. Quand je rouvrais les yeux, la bouche sèche, c’était miraculeusement au moment où l’on atteignait l’arrêt auquel je devais descendre. Mystère ! Féérie motorisée ! Urine toujours accrochée ferme aux fibrilles… Mais ce réveil ! Était-ce la sensation de freinage à l’approche de l’arrêt ? Pourtant il y en avait plusieurs avant le mien. Un réveil biologique réglé sur un temps bien précis ? Le trafic n’était jamais le même, et je pouvais arriver dans un intervalle de plusieurs minutes. Le nombre d’arrêts entre le restaurant et mon quartier alors ? Le chauffeur ne s’arrêtait pas quand personne ne montait ou ne descendait, ce qui était variable sur tous mes trajets. Après y avoir réfléchi maintes fois sans succès autres que l’emberlificotement des neurones, faut se résigner à l’ignorance. Accepter que cette impulsion électrique, ces quelques millivolts suffisant pour mettre en branle un des réseaux les plus complexes de l’univers soit générée par une force absconse qui échappe complètement. Toutefois, si je n’en connais pas la cause, son objectif était plus facile à déterminer. Pour le bus : évidemment m’éviter de marcher des kilomètres superflus. Concernant mes rêvasseries, mes pensées forment un flot continu qui ne s’étiole jamais. De temps à autre cependant, l’une d’elles probablement bousculée dans sa trajectoire par un entonnoir trop évasé dévie légèrement de son chemin habituel. Elle s’accroche alors aux petites aspérités de ma boîte crânienne comme une algue tend sa chevelure autour d’un poteau malgré les flux contraires des marées. Elle s’accroche tant et si bien qu’elle finit par perturber la course établie des autres, et mon cerveau, contrarié, la saisit violemment pour lui faire traverser le mur de la conscience. Je me réveille alors brutalement et examine l’élue du jour.

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