Chapitre 1

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 À la remuer on finit par s’en couvrir. Tout vous dire même, ça a pris des proportions que j’imaginais pas. Ça oui, par-delà le prévisible. Deux pieds en avant, tête baissée, pas moins.

 Au départ je me tiens là, debout, au-dessus de la Garonne. Accoudé au parapet. On n’y voit pas grand-chose, moi pas plus qu’un autre, rapport au soleil qui s’amuse grand sur l’onde et qui vient rebondir sur l’œil. Ils sont tous têtes baissées, dans mon dos. Ceux qui marchent comme ceux qui roulent. Ont trop peur de s’ébrécher la rétine, à mettre le nez en l’air. C’est la surprise caraïbe ce matin, il faut dire. Tout le monde avait cru septembre résigné, mis la chaleur au placard pour en sortir les pulls, et tout à coup le voilà positivement souriant septembre, pimplochard, changeant les rosées fraîches de la veille en sueurs âcres sur les peaux.

 Ça allait pas manquer de se plaindre, de rouscailler parmi mes collègues serveurs, au restaurant. Certains ? Certain… Toujours les mêmes, à vrai dire… Que selon le jour les vestes sont trop chiches ou trop rembourrées. Douillets et pas bien durs au mal ceux-là. Eh, les pingouins ne changent pas de fourrure selon la saison.

 Je range mon paquet de tabac dans le rabat du costume. Il tire à sa fin. Là-haut ça continue à arroser alors une fois la dernière bouffée expulsée je m’en vais descendre ma silhouette à l’ombre, là que les arbres sont les plus touffus, sur l’accotement du boulevard déjà saturé. Fiat Lux ou Fiat Punto… Une demi-heure encore, avant de commencer le service. Autour, midi continue de monter et vient embrasser les badauds d’un cercle jaune et chaud. Les lunettes noires, greffons du zénith, se multiplient sur les faces de ceux-là. Des deux sens ça avance sans trop se demander pourquoi, ça longe le fleuve comme par réflexe, et ça picore des morceaux de ville avant que la journée ne décrépisse de trop.

 L’air de rien vingt minutes ont passé, floues comme le reste, à s’errer l’âme. La blancheur de cet été tardif s’étale partout sur la pierre claire du quai et m’aveugle alors que j’arrive sans me presser devant la façade de La Belle Époque. C’est là que je suis serveur. Ça grouille toujours autant sur la promenade, ça va et ça vient… Ça s’arrête devant l’enseigne ! Les humains se meuvent en ressac : la termitière explose à la chaleur. Il y a du monde en terrasse dehors, du monde comme en août. Un chien brun, massif déroule sa langue infinie sous la table pour capter les miettes de fraîcheur que l’air dispense. Il renacle et expire bruyamment.

- Arthur ! Te v’là enfin ! me lance Simon en m’apercevant. Dépêche, on croule !

- Hé là j’arrive, dix minutes ! je lui réponds en frappant ma montre.

- Pas l’temps, cours, dit-il. Dépêche ! Sous l’eau qu’on est depuis ce matin, ils viennent d’partout comme des zombies alors fonce merde ! C’est maint’nant qu’on a besoin de toi.

- Chier… ! Que j’me change, au moins…

 J’obéis malgré tout. Dis bonjour aux autres, à ceux que je croise, aux commis débordés, au chef de loin. Les vestiaires, c’est derrière la salle, juste avant les cuisines. Dans une pièce exiguë aux murs pâles, où la peinture s’effrite en peau de lézard. Certains, déjà là, se changent ou finissent de ; ont presque tout enfilé, boutonnent leurs pantalons et leurs hauts de chemise. Ils regardent devant eux leur casier et la journée qui arrive, et les soupirs de l’après-midi s’exhalent dès ici. Être serveur c’est être comme la moindre particule : soumis aux effarouchements de température. On la suit comme elle nous anticipe. On s’agite avec elle et on gèle avec l’eau, et de ses fièvres arrivent les clients en chapelets. C’est la grande procession celsius à l’entrée et sous les parasols. Ça ricane et ça commère, ça se repose, c’est une nuée prélasse et diffuse de bonheur émietté.

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