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- Y a qui là-dedans, ça va ?

- Oui... ça va...

- Iséa ? C'est toi ? Allez sort ma grande... t'as pas l'air en forme. Je t'emmène à l'infirmerie.

Elle était sortie, le suivant docilement, mais sur le chemin elle avait senti son regard attristé posé sur elle. Elle savait qu'il était conscient du fait que certains élèves voulaient s'en prendre à elle, mais n'osait apparemment poser aucune question afin de ne pas plus l'embarrasser. Il savait très bien à ce moment-là que si Iséa avait voulu parler, elle l'aurait fait, et ce n'était pas le cas. Iséa, quant à elle, s'était demandée s'il avait été mis au courant des événements du mois précédent par un élève ou les bruits de couloirs.

Lorsque l'heure du repas était arrivée, elle avait été la première à aller manger et la première à sortir, les autres élèves toujours en rang devant la porte de la cantine, encadrés par Monsieur Pacho qui veillait à ce que personne ne sorte du rang. Elle avait dissimulé dans sa manche un des couteaux de cantine, chose très peu intimidante si l'on considère le fait qu'il s'agissait d'un couteau rond, mais d'efficacité relative lorsqu'il s'agissait de couper la viande dure qu'ils servaient à manger. Ne souhaitant pas attendre que la fin de la récréation sonne et qu'elle se retrouve bloquée en classe à côté de Carla, elle l'avait sorti de sa manche et d'un coup sec avait tranché en plein dans sa blessure, partiellement cicatrisée. Elle avait alors laissé un cri s'échapper, lâchant le couteau qui tomba sur le sol.

Suite à cet événement, elle avait été exclue pendant quelques jours de l'école pour avoir sorti et utilisé du matériel de cantine afin de blesser quelqu'un – quand bien même il s'agissait d'elle-même – lors d'un conseil de discipline tenu par la directrice, ainsi que trois de ses professeurs.

- Tu sais très bien que tu n'as pas le droit de sortir du matériel de la cantine.

- Et la raison pour laquelle elle l'a fait, ça ne vous intéresse pas ?

- Madame Chalan, votre fille savait très bien ce qu'elle risquait en faisant cela, surtout en s'en servant comme d'une arme, vous vous rendez compte ? Si elle l'avait utilisé sur un de ses camarades ?! Nous aurions dû appeler la police !

- Je vous parle du "pourquoi" et vous me parlez toujours des faits ! Monsieur Pacho m'a dit qu'il avait trouvé un groupe d'élève, en train de la persécuter pendant qu'elle se serait enfermée dans les toilettes.

- Les enfants peuvent être assez turbulents et mauvais entre eux parfois, ça arrive et ça ne dure jamais. On a souvent vu ce groupe et votre fille ensemble, ce ne devait être qu'une dispute sans incident, qui ne méritait clairement pas d'en venir aux faits pour lesquels elle est convoquée aujourd'hui !

- Elle en a vomi, Madame la Directrice ! Je n'appelle pas ça une petite dispute sans incidence ! La porte des toilettes où elle était enfermée a été fissurée !

- Quand bien même. Il n'y a pas de bonnes raisons pour faire ce qu'elle a fait, surtout si c'est simplement pour faire passer un message, elle aurait pu tout simplement venir nous en parler.

- Pour que vous lui disiez les yeux dans les yeux ce que vous êtes en train de me dire, alors même qu'elle est présente ? Vous n'avez pas honte ?!

- Quoi qu'il en soit, si elle veux faire ce genre de conneries, elle n'a qu'à les faire chez elle, l'école n'est pas l'endroit. Il faudrait peut-être penser à la faire consulter à un moment donné, c'est pas comme si c'était la première fois qu'elle avait un comportement douteux.

Abasourdie par l'audace de l'interruption du professeur d'anglais, un grand dadais à moitié idiot aux longs cheveux bouclés, Anna était d'abord restée muette, puis d'un coup s'était levée en furie, menaçant de s'en prendre physiquement à celui qui faisait trois têtes de plus qu'elle, de son petit mètre cinquante-huit. Suite à l'altercation, l'école avait appelé la police qui les avait toutes deux escortées jusqu'à la sortie de l'école, où Iséa ne remit, d'ailleurs, plus jamais les pieds. Elles furent entendues au poste puisqu'une plainte avait été déposée et elles furent dans l'obligation, l'une et l'autre d'être suivies par un psychiatre afin d'éviter des procédures plus invasives.

Iséa se souvint alors de son premier rendez-vous avec le docteur Guérin. Fatiguée de sa phobie qu'elle trouvait ridicule et handicapante dans sa vie de tous les jours, elle avait décidé de lui en parler. Celui-ci lui avait alors répondu qu'il s'agissait d'une dysmorphie pour ce qui était de ne pas parvenir à se reconnaître dans le miroir, mais il avait bien insisté sur le fait que pour le reste, son imagination lui faisait beaucoup plus de tort que le trouble en lui-même.

- Vous savez mademoiselle, vous devriez arrêter les films d'horreur...

- Je vous dis que ça n'a rien à voir, vous croyez vraiment que lorsque je regarde un film de zombie, j'ai peur de pourrir ?!

- Hm... Je vois que pendant nos précédents entretiens nous avons parlé de la mort et de ce qu'elle vous évoque, vous qui en avez d'ailleurs une peur vraiment tenace. Vous m'aviez dit à ce moment-là, je cite : "J'ai peur de la mort, de savoir que je vais pourrir, nourrir des asticots et me couvrir de moisissure, c'est absolument inconcevable. Je ne veux pas disparaître."

- Ce n'est pas ce que j'ai voulu dire...

- Rassurez-vous vous n'êtes pas un cas isolé, c'est ce qui arrive très fréquemment avec les enfants qui n'ont pas vu leur imagination bridée durant leur enfance, soit à cause de l'absence des parents, soit par simple négligence. La plupart du temps, lorsque l'adolescence fait son apparition, et de façon encore plus prononcée chez certains adultes, les rôles s'inversent, ce n'est plus vous qui contrôlez votre imagination, mais c'est elle qui vous contrôle. Lorsqu'une émotion trop forte, ou l'ennui, prends le dessus sur vous, vous voyez, entendez, ressentez des choses qui ne sont que dans votre tête. Votre cerveau fabrique automatiquement toutes ces pensées et ces histoires qui vous divertissent et finissent par vous traumatiser. Si vous n'y faites pas attention, un beau jour, vous vous réveillerez en incapacité de savoir ce qui est réel ou non.

- Vous me prenez pour une tarée ou quoi ?!

- Faites-moi confiance. Nourrissez mieux votre imagination, avec des choses plus agréables pour commencer, terminé les films d'horreur et les récits dramatiques. Ensuite, nous essayerons ensemble de trouver une méthode pour brider votre... Créativité.

Le clic de l'interrupteur la fit sursauter tout autant que la lumière l'éblouit, ce qui la fit renverser la moitié de son verre sur elle-même.

- Qu'est-ce que tu fais là, pourquoi t'es pas au lit comme je te l'ai demandé ?

- Oh, pardon, décidément, ce soir, tu me fais plus peur que d'habitude...

- Je ne plaisante pas. Va te coucher.

- Oui maman, désolée, j'ai fait un cauchemar et j'arrivais pas à me rendormir, je suis simplement venue boire.

Iséa leva son verre en guise de preuve.

- Dans le noir ?

- Dans le noir.

- Ne me mens pas.

- Je ne voulais juste pas te réveiller, je sais que tu te lèves tôt, demain.

- Retourne te coucher et changes toi, t'es trempée.

Iséa se leva, monta rapidement les escaliers, surveillée par Anna depuis le bar de la cuisine ouverte et ferma doucement la porte de sa chambre. Elle prit dans son armoire un autre tee-shirt et retira son pantalon de pyjama, se glissant, en culotte, sous sa couverture.

"Je dois trouver ces foutues clefs. Je suis sûre qu'il y a des trucs sur papa en bas. Maman me cache des choses, mais je découvrirais ce que c'est, coûte que coûte."

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