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Iséa avait l'habitude de ressentir un certain malaise lorsqu'elle socialisait pendant de trop longues durées, encore plus rapidement avec des inconnus, mais là c'était très différent. Elle avait des palpitations, ses mains et ses tempes étaient moites et bien qu'il fasse chaud à l'extérieur, il ne faisait pas un temps à transpirer abondamment. Le temps sembla s'étirer et se filer jusqu'à s'arrêter.

Sa mère devait arriver d'une minute à l'autre et à cet instant, elle redoutait ce moment tout autant qu'elle l'attendait : elle n'avait pas obéi, ni travaillé, ni fait aucune des tâches ménagères qui lui incombaient, mais pour la première fois depuis longtemps, elle ressentait ce besoin pressant, presque vital de la serrer dans ses bras et d'entendre que tout irait bien, comme lorsqu'elle n'était qu'une enfant. Lorsque la poignée de l'entrée bougea, Iséa ne réagit même pas, perdue dans le flot de ses pensées, elle ne revint à elle que lorsque sa mère se mit à sa hauteur et la prit dans ses bras en réponse à la larme qui venait de glisser sur sa joue sans même qu'elle n'en ait eu conscience. Ces instants étaient rarissimes mais Iséa sentit au plus profond d'elle-même qu'à cet instant précis, elle n'avait pas été la seule à en avoir besoin.

- Est ce que tu veux m'en parler ?

- Et toi ?

Elles se regardèrent dans les yeux quelques instants puis Iséa se releva, lui tendant la main pour l'aider à faire de même, son genou gauche lui faisant terriblement mal chaque fois qu'elle devait se redresser. Un bruit vif et claquant s'accompagna d'une grimace rapide de sa mère lorsqu'elle fût enfin debout.

- Tu comptes consulter pour ça ?

- Non, ça va, il est juste un peu rouillé. Tu... Tu veux des pancakes ?

Iséa ne put s'empêcher de répondre par un large sourire. Aussi loin qu'elle se souvenait, lorsqu'elle était enfant, il s'agissait de son dessert favori. Chaque fois qu'elle devait être félicitée ou consolée, sa mère lui préparait sa recette secrète, et bien que ce ne soit plus vraiment quelque chose qui l'épatait, elle adorait quand elle les cuisinait. Cette préparation était la seule pendant laquelle sa mère retrouvait le sourire, poussant même parfois la chansonnette avec bonheur sur une vieille musique de sa jeunesse, comme à l'époque où tout allait encore bien, remplissant la maison de rires et de bonnes ondes. À l'époque, avant que son mari ne disparaisse et que les déménagements s'enchaînent, elle adorait par dessus tout cuisiner, des entrées aux desserts et de tous horizons, toujours dans la bonne humeur et ce, pendant parfois des après-midi entiers sans jamais s'en lasser. L'heure du repas venu, elle regardait, mains croisées sous son menton et sourire au lèvres, les deux personnes les plus importantes de sa vie, se régaler en poussant des soupirs de satisfaction.

- On mange quoi ce soir ?

- On mange où, tu veux dire ! Ce soir, je vous ai préparé chinois !

- Super !

- En entrée : nems et rouleaux de printemps aux crevettes maison, et après vous aurez des nouilles sautées aux légumes et au poulet caramélisé au miel et sauce soja.

- Et c'est quoi le dessert maman ?

- J'ai fait de la glace vanille-coco et de la glace aux framboises du jardin, tu pourras prendre une petite boule de chaque, sinon un yaourt.

- Mais, chérie, c'est pas chinois ça !

- Haha, oui effectivement, je ferai mieux la prochaine fois, promis !

Elle entendait encore, venu des tréfonds de sa mémoire, le rire de ses parents, sincère et aimant, comme à chaque fois qu'elle faisait une boutade. Plus elle y pensait, plus elle se disait qu'elle ne les avait jamais vu autrement qu'heureux, de toute sa vie jamais ils ne s'étaient disputés ou ne serait-ce que parlés de façon plus distante ou froide, en tout cas devant elle. Ils avaient toujours eu l'air fou amoureux l'un de l'autre, exposant un bonheur débordant et sans limite à tous ceux qui pouvaient les voir, attirant parfois des jalousies et diverses médisances visant à les séparer.

Elle se rappela d'un jour où elle avait entendu Candice, une ancienne amie de sa mère, croisée par hasard sur la place du marché, discuter au téléphone probablement avec une de ses connaissances. Elle vantait alors les qualités de son père, le caractérisant de "séduisant", "d'homme idéal" et surtout de "trop bien pour sa femme", chose que bien évidemment, elle avait immédiatement rapporté à sa mère. Quelques jours plus tard, celle-ci avait été invitée à se rendre chez eux pour le repas d'anniversaire des 29 ans de son père et alors qu'Iséa était dans le petit stockage derrière la cuisine, Candice avait voulu faire des confidences à son amie, à l'écart du groupe.

- Anna, il fallait vraiment que je te parle de quelque chose... Je sais que ce n'est pas vraiment le bon moment mais... Il faut que tu le saches, Lucas m'a dit de garder le secret mais je ne peux pas, tu comprends ?

- Lucas ?

- Oui écoute, je sais que ça va pas être facile à accepter pour toi mais... il te trompe.

- Oh, je vois, depuis combien de temps ?

- Depuis bientôt trois mois...

- Avec qui ? Toi ?

- Non ! Jamais ! Tu sais bien que je serais incapable de te faire une chose pareille voyons ! Il te trompe avec Stacy, ils se voient régulièrement, quand tu es de permanence les samedis, et les mercredis quand tu emmènes ta fille à ses cours de piano.

- Comment tu l'as su ?

- Je les ai vu ensemble au Désert Bloom, ils s'y embrassaient. Quand ils en sont sortis, j'ai vu qu'ils allaient vers l'hotel Franklin, en se tenant la main comme un joli petit couple, mon sang n'a fait qu'un tour : je les ai confronté directement.

- Heureusement que tu étais là alors, et ensuite ?

- Je me suis disputée avec eux et Lucas m'a fait promettre de ne rien te dire, en échange de quoi il arrêtait de voir cette pétasse. Mais rassure-toi, il a toujours dit, et ce à chaque fois qu'on en a discuté, que ce n'était que du sexe entre eux, rien de sentimental, en tout cas de son côté à lui, mais j'ai pas l'impression qu'il en était à son coup d'essai... Tu devrais faire attention.

- Tu sais ce que j'ai toujours admiré chez toi, Candice ?

- Non ?

- Ton imagination.

Suite à ça, une dispute avait éclaté, entre sa mère et la menteuse qui lui avait servi de confidente pendant 3 longues années. Plus tard, une fois la soirée terminée, Anna était revenue voir sa fille pour la remercier.

- Merci Isé de m'en avoir parlé directement.

- Tu penses que Candice voulait te voler papa ?

- Tu sais, parfois tu t'entoures de personnes que tu crois être des gens bien. Ils te consolent quand tu pleures, te réconfortent et pourront même, parfois directement, s'en prendre aux gens qui te font du mal. À ce moment-là, tu te mets en tête que ces personnes sont de vrais amis, qu'ils veulent ton bien et ton bonheur. Un jour, tu rencontres une personne qui met ces petites paillettes dans ta vie et qui la rendent mille fois plus jolie, ou alors tu fais face à une opportunité exaltante qui te rends encore plus heureuse et motivée qu'avant et là, celle que tu pensais être ton amie, va te mettre en garde et te faire douter. Elle pourra te dire que la personne qui est rentrée dans ta vie n'est pas sincère ou que l'opportunité qui s'offre à toi t'apportera des problèmes et de l'instabilité, selon ce que tu crains le plus. Oui, parce-que cette personne est ton amie, elle connait tes peurs et tes faiblesses, et elle sait que tu lui fais confiance. Si tu l'écoute naïvement, sans te poser de question, sans réfléchir par toi-même, tu vas renoncer aux belles choses qui t'arrivent, mais ce n'est pas parce que cette personne veux te prendre ces choses, la vérité c'est qu'elle ne veut juste pas que toi, tu les aies, c'est tout.

- Alors ce n'est même pas de l'envie, c'est juste de la jalousie ?

- Oui, de la jalousie avec une pointe de cruauté et d'égocentrisme. Cette personne ne veut pas que tu sois heureuse, elle se réjouira même de ta peine et pourtant elle sera aussi sûrement la première à venir te consoler quand tu l'auras suivie dans ce choix. Elle sêchera tes larmes tout en jubilant intérieurement parce que tant que tu es dans le mal, elle est là et le sera toujours. Peut-être qu'elle se sent mal dans sa peau, qu'elle veut juste se sentir utile... mais dans tous les cas, ce n'est pas à toi de subir les états d'âme des autres. Si une personne est néfaste, tu t'en éloignes, peut importe qui c'est, ses motivations, à quel point vous êtes proches ou depuis combien de temps. Ton bien-être et ta paix passent avant tout et tout le monde.

- Mais maman, si j'avais pas entendu cette conversation, ou que je te l'avais pas dit, tu l'aurais crue ?

- Tu es une gentille fille, je sais que tu me l'aurais dit, même si ça avait été vrai, car tu es honnête. C'est quelque chose qui ne doit jamais changer. Dis les vérités, peu importe à quel point elles sont douloureuses, un beau mensonge ne fait que plus mal encore au final parce qu'on finit toujours par démêler le vrai du faux, un jour ou l'autre. Ceci dit, pour répondre à ta question, non je ne l'aurais pas cru.

- Pourquoi ? Parce que tu n'es pas naïve ?

- Non, parce qu'il est parfait.

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