Episode 12

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Dolorès

La lumière du jour se glisse entre les lames du store. Autre chose glisse dans la chambre. Une présence.

Je relève lentement la tête et aperçois la créature filiforme qui ondule sur le plancher. Je reconnais tout de suite ses écailles claires et son capuchon. C’est un cobra. Cette espèce fait partie des nombreux serpents de l’archipel. Certains peuvent atteindre des tailles titanesques. Ce matin, mon visiteur mesure à vue d’œil deux mètres vingt. Le reptile géant siffle près de la fenêtre. Il tourne la tête, ses yeux de jais braqués dans ma direction.

Non content d’être l’un des animaux les plus toxiques au monde, ce monstre sans pattes peut aussi cracher son venin sur une distance de plusieurs mètres. Les serpents ne sont pas des créatures agressives ; ils n’attaquent en principe que s’ils se sentent menacés. Pourtant, quand j’étais petite, plusieurs fois, des gens du village se sont fait mordre. Chez nous, on raconte que les reptiles sont un fléau envoyé par l’enfant d’Heimdall. Laisser la vie sauve à l’un de ces monstres, c’est trahir notre sang.

Je garde le mien très froid en me redressant calmement dans ma couverture. J’empoigne un peu plus fermement la dague qui, la nuit, ne quitte jamais ma paume. Sans raison apparente, le reptile découvre ses dents pointues et pousse un souffle strident. Trop vive pour qu’il ait le temps de cracher son poison, je lance mon arme à travers la chambre. La lame transperce le cou du prédateur et se plante dans le mur, décorant la chambre d’un trophée de chasse encore gigotant.

Je méprise la violence. C’est pourquoi je me traîne hors du futon et achève le travail. Une découpe propre demanderait trop de temps, aussi j'opte simplement pour tordre le cou de la bête. J’enroule un bout de mon drap autour de sa tête pour contenir sa mâchoire et, d’un tour de bras, je lui brise les vertèbres – et la vie.

La besogne achevée, je me laisse tomber sur mon futon et pousse un profond bâillement. Le voyage m'a épuisée. J'ai pris l'avion hier matin à Osaka pour rejoindre Agnakolpa. Une fois sur l'Île d'Elthior, j'ai eu le plus grand mal à trouver un moyen de rentrer au village. J'ai erré dans le port, à la recherche d'une embarcation pour l'Île des Nootaks. Et puis j'ai reconnu une figure familière. Même si ses rides se sont creusées, même si son corps s'est empâté, il m'aurait été impossible d'oublier le visage de l'homme qui, il y a douze ans, a accepté sans rechigner de me prendre sur son bateau sans ticket d’embarquement.

Sancho Marquez n'avait demandé aucun paiement, ce jour-là. Il n'avait posé aucune question à Gechina sur les raisons qui la poussaient à m'envoyer à l'étranger. Il m'avait livrée à l'inconnu qui m'attendait, comme convenu, sur les docks de la grande ville. Puis il avait disparu à jamais de ma vie, tout comme cette île, emportant avec lui les gages qu'il s'était attribués de force. Je n'avais alors pour moi que le souvenir piquant de cette traversée, la honte et le silence.

En croisant le regard de cet homme, douze ans plus tard, un désir de vengeance sans précédent a enflammé tous mes sens. Mais j'avais besoin d'une place à bord d'un bateau et il était le seul capable de me ramener à la maison, alors je lui ai cédé une partie de mes économies. Sancho a reconnu en moi la petite fille de l'île, mais il n'a fait aucune allusion à notre dernière rencontre.

— Je te file vingt plaques pour un aller simple, lui ai-je dit, et dix autres pour ne pas me regarder une seule fois : ni toi, ni tes hommes.

Sancho a pris les jetons de change que je lui tendais et m'a fait signe d'embarquer. Une heure et demi plus tard, le bateau amarrait sur mon île natale. Gechina n'était pas dans le port à mon arrivée. Je l'avais contactée juste avant le départ, sur le numéro de la vieille cabine téléphonique du village. Ça ne l'a pas empêchée d'être en retard.

Pendant que les hommes de Sancho déchargeaient le bateau, je me suis faufilée jusqu’à la cabine du capitaine. Faute de pouvoir me faire justice, je me suis contentée de déchirer tous ses vêtements. J’imagine cette tête qu’il a dû tirer en découvrant mon méfait !

Quand je suis sortie sur le pont, il n'y avait plus que cette fille dans le port – probablement l'une d'entre elles. J'ai été surprise par son aspect, tout aussi humain que le mien. Mais je suis au courant de la supercherie. Sous l’apparence de cette jeune femme soigneusement apprêtée, je sais quel genre de monstre se cache. J'ai attendu qu'elle s'éloigne avec le scientifique. Pour lui aussi, je suis au courant. Cela dit, ils ne seront bientôt plus une menace.

J'ai finalement retrouvé Gechina de l'autre côté du quai. Elle avait l'air ravie de me revoir.

Enfin réveillée, je m’extirpe du futon. Je prends le temps de le border. C’est curieux comme certains réflexes perdurent…

De l'autre côté de la pièce, le hamac de Leahonia est vide. J'ignore quelle heure il est, mais je doute fort que la petite soit matinale. Je devine donc que c'est moi qui me suis levée tard.

Je ramasse le paquet d'écailles avachi au sol, balance la dépouille à la mer par la fenêtre et la dague – nettoyée – dans son fourreau.

Dans la pièce voisine, j’entends la voix de synthèse de M. Hirata.

— Tout est en ordre, affirme le japonais. Nous pouvons partir, maintenant.

Sa fille est arrivée chez nous hier soir avec son hologramme de père. Ils ne se ressemblent pas du tout. Le père a la tête et la voix que le monde lui connaît. Elle a la peau pâle, moins blanche que la mienne, et les cheveux blonds. Elle picore plus qu’elle ne mange, ne décroche pas un mot et rarement un sourire. Je ne sais pas trop pourquoi ces promoteurs de robots domestiques me crispent. Nous n’avons pas de ça ici. D’ailleurs, Gechina a fermement refusé, quand il lui ont offert de nous doter de drônes de pêche intelligents.

Quelques minutes plus tard, j'entends le vrombissement de leur aéromobile qui démarre. Le bruit d’insecte s’estompe. Je crois qu'ils sont partis.


Dès que je sors de la chambre, je tombe nez à nez avec Gechina. Elle aussi a vieilli, depuis mon départ. Sa mine est fatiguée. Pourtant, elle a toujours le même regard autoritaire, les lèvres sèches, le sourire sec, et son fameux chignon tiré à quatre épingles duquel ne dépasse aucune de ses mèches aux reflets ardents.

— Tu te lèves tard, Dolorès, dit-elle froidement. Nótt t’as accordé le repos nécessaire, tâche de ne pas abuser de ses bienfaits. Dorénavant, j’attends de toi que tu honores la mission dont les Dieux t’ont chargée. Va donc leur dire tes prières avant que l’on ne serve le repas.

La maison de ma tutrice est également le sanctuaire du village. À l'arrière, s'étend une vaste terrasse sur pilotis, abritée par un toit de branchages. C'est ici que l'on vient se recueillir et vénérer les dieux. J'ai grandi dans cette maison. J'ai prié sur cette terrasse, jour après jour, jusqu'à l'âge de huit ans ; jusqu'à ce que Gechina m'envoie suivre ma formation au Japon. Elle est notre prêtresse. Quant à moi, je suis le soldat qui protégera le village.

Je passe la porte, au fond de la cuisine, et sors de la cabane. Le chahut des enfants qui courent sur la plage, les commérages des cuisinières, l'odeur du poisson dans le vieux port, les exclamations des pêcheurs et le vieil homme qui gratte sa mandoline à l'entrée du village, assis sur le pas de sa porte dans son fauteuil à bascule ; rien n'a changé ici. On dirait que ces lieux peuvent résister au temps et aux desseins du monde entier.

Comme à l’époque, je m'assure que les récipients sont à leur place sur l'autel, j'allume la bougie et le bâton d'encens, puis je me poste, droite, face aux statues d'Odin, de Thor et de Freyja pour leur adresser mes prières, le poing serré sur mon cœur.

— Vénérables Ases, moi, Dolorès, disciple de la prêtresse et bouclier du peuple, j'appelle Odin, le sage, par la grâce d'Yggdrasil.

La suite de notre entretien n'est pas supposée avoir lieu à voix haute. Lorsque j'étais plus jeune, je communiquais souvent avec les dieux, et nous avions toujours énormément de choses à nous dire. À l'heure actuelle, je cherche en moi les mots que mon esprit pourrait leur formuler. Mais le silence est roi, mon âme reste muette.

Pendant mes premières années au Japon, j'ai continué de prier quotidiennement, sur les recommandations de Gechina. J'improvisais des autels où je le pouvais et je demandais conseils aux Ases et aux Vanes. Et puis, les années passant, nos entretiens se sont raréfiés pour ne bientôt plus avoir lieu. J'ai cessé de prier, j'ai cessé de croire en une bande de magiciens qui veilleraient sur le monde. À présent, quand je creuse tout au fond de mon cœur, je n'entends plus les voix bienveillantes de nos dieux ; il n'y a plus que le bruit sourd des coups de feu, les cris des hommes, les corps qui tombent les uns après les autres, les membres qui se dissocient dans le fracas des bombes, les têtes qui explosent en des fontaines sanglantes, les pleurs des victimes, les plaintes des blessés, les hurlements de panique et les supplications. La tempe en ligne de mire et hop ! Tout est fini. La vie d'un homme s'arrête en une fraction de seconde. Par milliers, ses semblables s'écroulent au champ de bataille. Et où sont donc les dieux au milieu du combat ? Penchés sur notre globe à lancer des paris, à qui de leurs fidèles résistera le mieux ? J’étais dans le Désert, moi, au milieu des lasers d’artillerie. Je ne les y ai pas vus, alors mon cœur s'est fermé. Au lieu d'imaginer que j'aie pu un jour adorer des divinités cruelles, j'ai préféré penser qu'elles n'étaient que les inventions des conteurs du passé.

J'empoigne fermement le matricule qui pend à mon cou. Faisant mine de prier, je murmure doucement :

— Je m'appelle Dolorès Escalones. Je suis née le 12 janvier 2088. J'ai vingt ans. Je vis parmi les pêcheurs de Puertoculto. Je suis le bouclier de cette tribu. Je défends les miens et nos dieux. Je ne cède pas à la peur. Je ne cède pas à la souffrance. Je n'avais pas le droit de vivre ; je le gagne en combattant. Je m'appelle Dolorès...

— Le repas est prêt ! me crie Gechina.

Je sors du temple. Non, vraiment, rien n'a changé ici depuis mon départ ! Comme tous les samedis, on a dressé une grande table sur la plage au centre du village : de vieilles barques que l'on a retournées et couvertes de nappes. Les assiettes et couverts sont déjà disposés, ainsi que de grandes corbeilles de fruits. On apporte bientôt des racines comestibles, mijotées dans de grosses marmites. Le poisson cuit au-dessus des flammes, sur la digue. Les odeurs de grillade me mettent l'eau à la bouche.

Alors que les premiers arrivés prennent place autour de la table comme bon leur semble, Cristobal Donoso, le doyen de Puertoculto, sort de sa cabane. C’est le seul qui vienne me saluer.

— De retour parmi nous, Dolorès ?

— On dirait bien, oui.

Il me sourie puis, baissant d'un ton :

— Gechina t'a-t-elle déjà donné des directives ?

Je secoue la tête.

— Tu as vu du pays, jeune fille. Je ne doute pas que tu sois suffisamment intelligente pour savoir ce que tu as à faire. Mais permets-moi tout de même de te donner un conseil : si tu dois prendre une décision importante, quoi que l'on dise autour de toi, choisis toujours ce qui te paraît juste. C'est compris ?

— Bien reçu.

Cristobal me salue poliment et s'éloigne pour gagner sa place habituelle, en bout de tablée. Les autres villageois n'ont pour moi que des regards en coin. J'y ai été habituée, mais j'ai oublié entre-temps à quel point c’était dur. Dur de baisser la tête, de serrer les dents, de ravaler sa colère, de ne faire voler aucune mâchoire pour leur remettre les idées en place. Je les ignore et m’installe moi aussi à leur table, non loin de Gechina.

Les enfants arrivent en courant, Leahonia en tête, et envahissent l'extrémité de la table à ma droite. Alors, une mère de famille se lève d'un air outré en me pointant du doigt.

— Le demi-monstre n'a rien à foutre à cette table ! lance-t-elle en espagnol.

Tout en feignant de ne pas me sentir visée, je remplis calmement mon assiette.

— Eh, t’entends c’qu'on t’dit, Dolorès ? insiste un homme. Dégage d'ici !

— Vous comptez sur moi pour tenir la menace à l’écart, non ? Alors il vaudrait mieux que je ne crève pas de faim. Sinon, qui sait, peut-être que j'en boufferai quelques-uns dans leur sommeil.

Plusieurs d'entre eux éclatent de rire. Gechina nous somme de surveiller notre langage, mais les villageois s'enflamment.

— Qu'est-ce qu'une bâtarde pourrait bien faire pour nous ?

— Allez, fous le camp, on n’a pas besoin de toi !

— Regardez-moi ces yeux ! On dirait qu'elle va nous sauter à la gorge...

— Cette fille-là a du mauvais sang. Une barbare, comme sa mère ! C'est sûrement d'elle qu'il faudrait se protéger…

— Tu devrais l'attacher à l'intérieur, Gechina. Elle pourrait blesser quelqu'un.

— Eh, sale bâtarde, qu'est-ce que tu piges pas quand on te dit de dégager ?

— Maman, pourquoi sa peau est toute blanche ?

— Parce que le démon de l’île maudite la possède, Palben. Il pompe le sang des corps et rend leur peau toute pâle…

— Bouge de là, sorcière !

Une tête de poisson vole par-dessus la table, droit sur moi. Juste avant de me la prendre en pleine face, je lève la main et bloque sa course.

— C'est le fardeau des héros que d'être incompris, clame Gechina. Puissent-ils surmonter cette épreuve et s'élever au-dessus de la peur des Hommes.

Je prends mon assiette et m'éloigne de mes pairs attablés autour du festin. Je vais m'asseoir seule sur le ponton branlant du port et, faute d'avoir pensé à prendre mes couverts, je finis mon repas avec les doigts.

Dans mon dos, les réflexions continuent de fuser. On reproche à la prêtresse d’avoir approuvé mon retour. On l'accuse de manquer de respect aux dieux. Elle reste digne et assure que je suis envoyée par les Ases. Je suis leur Berserker, soutient-elle, et seule une personne de mon sang peut endosser ce rôle.

Je termine de lécher le gras sur mes doigts quand des pas s'approchent sur le ponton. Je fais volte-face, la main crispée prête à saisir la dague à ma ceinture. Mais ce n’est que Leahonia qui me tend un torchon. Je me détends un peu, assez pour accepter son linge et me débarbouiller.

Cette gamine n’a rien d’une menace. Du haut de ses un mètre cinquante, elle a la masse musculaire d’une crevette. Elle déborde pourtant d’énergie, comme le souligne en permanence son regard vif. Comme les autres villageois, elle a le teint mat de nos ancêtres hispaniques – pas ma blancheur douteuse. Ses mèches châtain foncé ne cesse de contrarier son carré bien sage à grands coups d’épis dressés. Par sa bouche entrouverte – toujours parée à saisir l’occasion de se rendre intéressante, on devine les endroits où les dents de laits perdues ont troué son sourire.

Moi, à son âge, j’apprenais ce que c’était d’être un soldat. J’avais même trop de contusions, parfois, pour ouvrir la bouche.

— Ils t’aiment pas trop hein, dit Leahonia en espagnol.

— C’est un fait. Et tu ferais mieux d'avoir peur de moi, toi aussi. C'est vrai ce qu'ils disent : j'ai du mauvais sang, je peux faire beaucoup de mal.

— C'était vraiment cool, la façon dont t’as arrêté le poisson. T'es quoi ? Une sorte de ninja ? Est-ce que tu m'apprendrais, dis ?

Elle me regarde avec une sorte d'admiration. J'ai eu l'habitude d'être enviée, au cours de ma formation. Mais l'admiration de mes camarades était toujours chargée de jalousie. Cette enfant-là n’est sûrement pas très différente.

— Tu as quel âge ? je lui demande.

— Onze ans.

— Et est-ce que tu parles la langue commune ?

Elle fait non de la tête.

— Dans ce cas c'est inutile, je tranche. Tu ne quitteras jamais cette île.

— Alors quoi ? Tu vas pas m'apprendre ? Ils ont raison, en fait, t'es vraiment méchante !

— Quand tu parleras la langue commune, je t'apprendrai tout ce que tu veux. Tant que tu t'exprimeras en espagnol, ça ne sert à rien.

Leahonia prend une moue boudeuse et me tourne le dos. Au bout de deux minutes, voyant que son caprice n’a aucun effet sur moi, elle s’en va en grommelant et me laisse seule sur le ponton.

Gechina et Cristobal sont les seuls au village à maîtriser couramment la langue commune. C'est le langage d'échange de la quasi totalité de la population mondiale, depuis la Pacification.

Au lendemain de la Grande Guerre, bien avant ma naissance, les pays des quatre coins du globe ont amorcé un projet de politique commune. Ils ont fondé la Fédération des États de l’Étoile, la FEE, régie par le système des Cinq Branches. La politique, les échanges commerciaux, les sciences, les produits culturels, et les forces militaires : chacune de ces branches a été codifiée par des lois et des institutions universelles. Des centres de formation Étoile ont vu le jour sur tous les continents. Les représentants de tous les États ont formé le Conseil d’Administration, arbitré par le Princeps qu’ils élisent tous les dix ans.

Après quoi, la nécessité de tout normaliser s'est imposée. Monnaie mondiale, langue commune, Armée de l’Union ; tout a été repensé à l'échelle planétaire. Seuls quelques foyers de résistance persistent encore à défendre leur identité, avec plus ou moins d'agressivité. D'autres, comme les habitants de Puertoculto, luttent à leur manière, en refusant de se doter des moyens de communiquer avec le reste du monde.

Cela dit, pour intégrer une Académie ou une Classe préparatoire de l’Étoile, chacun est tenu de la maîtriser la langue commune ; capacité validée par le Certificat. Sans l'obtention de ce dernier, il est impossible de poursuivre des études et, par conséquent, de prétendre exercer autre chose que le métier de pêcheur ou d'artisan. S'aventurer dans le monde sans maîtriser ce nouveau dialecte, c'est ce qu'on peut appeler un naufrage anticipé.

Au loin, j'entends Leahonia se plaindre de moi à notre tutrice. La prêtresse, sa tante, ne lui accorde pas plus de crédit que moi. Dans les minutes qui suivent, une bande d'enfants se présentent sur le ponton, armés de lance-pierres. Nul doute que je les blesserais si je me défendais. Je protège mon visage avec mon bras et cours me réfugier dans le temple. Je n’ai que mon agilité pour esquiver la pluie de cailloux et de fruits séchés.

Un quart d'heure plus tard, je m'apprête à sortir du sanctuaire, mon bagage sur l'épaule et mon futon sous le bras.

— Où est-ce que tu vas ? m'interroge Gechina en me croisant.

— Je savais que ça se passerait mal si je restais ici, mais j'ai pris mes dispositions. Je ne serai pas loin. Tu as mon numéro, alors n'hésite pas à m'appeler s'il y a un problème.

Je tire mon paquet de cigarettes de la poche de ma veste et en porte une à la bouche.

— Tu fumes ? se scandalise la prêtresse.

— Non, voyons, je m'imprègne de fumée, ça renforce ma communion avec les Ases !

Gechina fronce les sourcils. Elle ne tolère pas qu'on plaisante avec la religion. N'estimant pas nécessaire de lui présenter mes excuses, je la quitte dans ce climat tendu.

J’emprunte le chemin qui traverse la jungle, fais tournoyer entre mes doigts la clé de ma nouvelle maison. Tout en inspirant la fumée du mégot coincé entre mes dents, je me mets à radoter pour combler le calme plat :

— Je m'appelle Dolorès Escalones. Je suis née le 12 janvier 2088. J'ai vingt ans. Je vis parmi les pêcheurs de Puertoculto. Je suis le bouclier de cette tribu. Je défends les miens... et nos dieux. Je ne cède pas... à la peur. Ni à la souffrance. Je n'avais pas le droit de vivre. Mais je le gagne en combattant... Ils verront bien si je ne suis pas en mesure de les défendre !

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