51.2

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Emmanuelle

— Pourquoi tu tiens tant que ça à m'affronter ? lui demandé-je.

— Sans déc ? Pour empocher un secret, ma d'moiselle !

L'appellation me titille. D'abord, je suis surprise d'entendre de la bouche de cet hurluberlu de Koma ce petit nom d'un autre siècle. C'est alors que je percute. Demoiselle. Mais bien sûr ! Il sait tout !

Au moment précis où je comprends son manège, la colère monte en moi. Je dois contenir mes mandibules, sinon elles sortiraient le menacer.

— Alors c'est toi, le corbeau ?

Il hausse les épaules, avec le même air ahuri que d'habitude.

— J'ai pas de plumes, que je sache !

Je me croyais capable de me contrôler. Quelques heures chaque nuit dans la cuticule d'un insecte, jusque là, ça suffisait. La moitié d'un comprimé tous les soirs, et je pouvais tenir encore longtemps, avant de maîtriser complètement ma métamorphose. Mais le petit air sournois de cette tête de nœud, tout ébouriffée, m'a mise hors de moi. Je ne contrôle plus rien.

Alors que mon corps est sur le point de se transformer en insecte, je serre les dents et concentre toute mon attention sur mes phalanges crispées. Une fine pellicule de toile collante s'est déjà déposée sur ma peau. Les facettes naissantes chatouillent mes rétines, au moment même où un minuscule papillon fuse à portée de main. Soudain, le temps s'est ralenti sous mon regard et, comme si je transférais ma fureur de Koma à l'insecte, je le saisis au vol. À peine l'ai-je frôlé que ses ailes se retrouvent empêtrées dans mon filet de soie. Je referme immédiatement le poing, afin d'éviter que quiconque remarque le subterfuge.

— Bravo, ma puce ! ricane Koma. Eh, William, l'épreuve est terminée !

Je m'efforce de décrocher le plus discrètement possible le colisphinx ambré de ma paume adhésive et d'essuyer ma toile chiffonnée sur mon jean.

— Chapeau, Manu !

Mon adversaire esquisse une courbette en me remettant humblement son secret.

— Tu l'as bien mérité.

Mon sang ne fait qu'un tour dans mes veines, déjà bien échauffées, lorsque je découvre les mots que forment ses pattes de mouche :

[ Contact de Gilgamesh : b4byλ0νe@altmail.pce ]

Koma ne parvient plus à dissimuler sa joie, quand sa pierre s'abat sur mon ciseau.

— J'suis plutôt chanceux, comme mec, crâne-t-il.

— Tu sais qu'il existe des lois qui punissent le harcèlement ?

Je ne saurais dire si ses yeux bridés rient ou non. Maintenant que j'ai compris son petit jeu, le moindre de ses clignements de paupière m'apparaît comme une provocation.

— Qu'est-ce que tu crois savoir, exactement, Koma ?

— J'croyais être plutôt attiré par les nanas comme Roxane. Mais, finalement, t'es pas mal non plus. Tu veux pas sortir avec moi, Emmanuelle ?

Je m'assure que la paume de ma main soit légèrement moite et la toile disparue avant d'asséner à mon adversaire la gifle la plus enragée de ma vie. Si je me comporte aussi furieusement face à un maître-chanteur de cour de récré, qui sait quelle haine je réserve à l'assassin de Magnus.

— Bon, déjà je ne te laisse pas indifférente !

Il n'avouera pas, je le sais. Et, faute de preuves tangibles, je ne peux engager quelque action contre lui. Je m'inquiète cependant de savoir jusqu'où il a percé notre secret. Nul doute qu'il a déjà deviné qu'il s'étendait à l'entièreté de notre fratrie. Je suis rassurée de savoir Cerise et Nolwenn à l'écart et en sécurité.

— Tu travailles pour quelqu'un ?

— T'as pas un peu fini, ton interrogatoire ? Sérieux, Emmanuelle, je te dirai tout ce que tu veux savoir, si tu remportes notre duel.

— Je t'en prie, c'est à toi de décider.

— Pierre-papier-ciseau.

— Non, ça, c'était juste pour savoir qui choisirait l'épreuve.

— Oui, mais je choisis, et ce sera aussi l'épreuve.

Il ne paie rien pour attendre, ce scélérat ! Néanmoins, je suis bien obligée de me prêter au jeu, si je veux espérer tirer quoi que ce soit de lui. Il s'avère rapidement que Koma n'a pas menti : ce foutu veinard me bat à plate couture, une fois de plus, trois manches d'affilé.

Il jubile.

— Tu vois, je t'avais dit que j'avais de la chatte !

— Épargne-moi tes expressions à la...

Je fulmine.

— Bon, eh bien on dirait que j'échappe à l'interrogatoire, Madame le commissaire !

J'hésite un bref instant, mais le choix est vite fait. Évidemment, je ne peux pas me permettre de lui céder le contact de Gilgamesh. À contre-cœur, mais le rire aux lèvres aussi, je lui remets mon propre papier. Quand il le déplie, son hilarité s'étiole pour laisser croître la mienne.

— Comment ça, t'as triché ?!

Je ne peux m'empêcher de l'imiter en haussant les épaules d'un air naïf.

— T'avais raison, je suis maligne ! Si tu ne te tiens pas à carreau, j'aurai vite fait de te griller.

— Fais gaffe avec les menaces, ça te rend plutôt sexy.

La rancœur transpire derrière son attitude désinvolte. Avant que j'aie le temps de lancer une nouvelle gifle, le suspect a décampé.

Je me presse à travers le parc, sans relâcher ma garde. Je me suis laissé avoir par ce fourbe de Koma. Je n'ai plus droit à l'erreur.

Il faut croire cela dit que ce baratineur m'a légué un peu de sa chance légendaire, puisque j'aperçois Faustine, qui se traîne nonchalamment dans ma direction.

— Mais où tu étais passée ? m'écrié-je.

— T'en as de bonnes, Em' ! J'attendais patiemment que t'aies terminé ta petite chasse aux insectes. J'ai fait comme tu as dit : j'ai amassé des secrets. Vite, je peux encore en gagner trois ou quatre.

— Ce n'est plus la peine, Faust : j'ai démasqué le corbeau.

— Ça, je m'en fous. Je vais gagner la partie !

Les formalités sont vite expédiées. Faustine se montre clémente en me défiant dans un banal duel de regard. Celle qui la première baissera les yeux sera vaincue. Je profite un peu de ce répit, je souffle, je me remets de mes émotions, mais mon cerveau gamberge.

— Koma sait pour Ad', et pour moi.

— Tu veux que je le fasse taire ?

La proposition de Faustine me glace le sang. Non seulement parce qu'elle est sérieuse, mais surtout parce qu'elle me l'a faite les yeux dans les yeux, et j'ai vu l'étincelle meurtrière traverser son regard. Je tourne immédiatement la tête, déclarant forfait du même geste.

— Je ne crois pas que le harcèlement soit passible de mort. Et surtout, je n'ai aucune preuve.

— Bah, tu en trouveras !

Sans me laisser le temps de lui remettre le secret en ma possession, elle me l'arrache des mains. Elle ne prend pas la peine de le lire et détale, comme si l'appel du combat m'avait aussitôt effacée.

— Koma Hirata... Je ne sais pas à quoi tu joues, mais je vais te coincer.

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