Chapitre 12 - Retour à la case départ

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La longue Nuit était terminée.

Après cette rude bataille, tous les exorcistes étaient rentrés panser leurs plaies ; Geto Suguru avait apparemment été tué à Tokyo, ce qui avait soulagé l'ensemble du Conseil. Et avec l'exorcisme de l'esprit Rika, Yuta Okkotsu avait été rayé de la liste des exécutables.

Reiketsu Yakuseki ? Non.

Le jeune homme était assis au chevet d'une jeune fille rousse, sous intraveineuse et appareil respiratoire. La tête baissée, il tenait la main presque gelée de celle qui n'avait de cesse de chercher la petite bête avec lui, lui montrant du doigt ses défauts les plus évidents.

Il ne l'avait pas écouté. Il ne l'écoutait jamais.

Uyeno avait l'air si paisible, ses cheveux s'étalant sur son coussin comme une couronne de feu et de cuivre. Son visage ne trahissait aucune souffrance, juste un léger froncement de sourcils, sûrement due à sa difficulté à respirer. La blessure à son dos était profonde au point d'avoir déchiré une partie de ses poumons, et malgré les techniques d'inversion, elle ne se réveillait pas.

Soudain, quelqu'un entra dans la pièce, le jeune homme leva son regard : Yanagi, les yeux écarquillés comme s'il n'en croyait pas ses yeux, était pétrifié. Avant même que Reiketsu ait pu sortir une excuse, le père se précipita vers sa fille.

- Non... Non, non, non !

Il la prit dans ses bras avec douceur, la regardant avec une telle détresse que le coeur du jeune homme se serra plus encore, car il savait... La femme de l'ancien exorciste était morte d'une maladie inconnue, et comme l'ignorance est le plus grand des fléaux, Yanagi avait supposé qu'il avait ramené une malédiction chez lui, et qu'elle avait détruit son amour, la mère d'Uyeno.

- Yanagi... commença Reiketsu, mais il fut interrompu par ce dernier qui se tourna vers lui, les larmes aux yeux :

- C'était ton devoir...

Une boule d'amertume se forma dans la gorge du brun, ses yeux jaunes perdant de leur éclat quand il les baissa ; il aurait dû rester avec elle pour la protéger. Comme un... Je ne peux même plus me considérer comme tel, comprit-il en serrant son poing. Lui, l'exorciste de classe spéciale, le Fléau des fléaux, le "type le plus motivé pour les autres".

Rien, juste une promesse dans le vent ; la chose la plus simple au monde, ratée et jetée à la poubelle. Yanagi reprit avec une voix tremblante :

- Je lui avais dis qu'être exorciste ne lui apporterait que des malheurs... Mais ma petite Uyeno continuait de me faire comprendre qu'elle le voulait ! Et tu sais ce qui était le pire ?

Incapable de répondre, il n'esquissa pas un geste. Yanagi ignora son silence et répondit :

- Elle continuait parce qu'elle voulait te ressembler, Yakuseki !

La haine bouillonnait de la gorge de cet homme, ses yeux lançant des éclairs de fureur. D'un coup, il se leva et frappa Rei, qui ne répliqua ni n'esquiva, se prenant le poing avec toute cette force au point de tomber par terre.

- Tu t'es jamais demandé pourquoi elle te posait toutes ces questions ? Pourquoi elle te suivait partout, hein ? Toi, l'enfant maudit !

Une autre flèche, directe et crochue, se planta dans le cœur déjà meurtri du jeune homme.

- Pourquoi tu n'as pas compris dès le DÉBUT ?! hurla à plein poumons Yanagi en lui donnant un autre coup de poing, mais fut arrêté dans sa charge.

C'était la grand mère.

Elle retenait le poignet de son fils avec une force insoupçonnée, son regard dur se posait sur l'enragé. Elle fit "non" de la tête, avant de se tourner vers Reiketsu pour l'aider à se relever. Sans un mot, elle lui fit comprendre qu'il n'avait plus sa place ici.

Ravagé par la honte et la culpabilité, Reiketsu sortit de la chambre d'hôpital en bousculant une infirmière surprise par le bruit. Retenant ses larmes, il dévala les escaliers, ses émotions se mélangeant dans un bouillie informe et dégoûte. Il les détestait tellement.

Quand il fut assez éloigné de l'hôpital, il lâcha un cri de rage vers les cieux, les maudissant pour tout ce qu'ils lui avaient amputé ; sa famille, ses amis... son coeur. Il n'avait pas changé, il était toujours le même monstre qui massacrait sans discontinuer. Humains ou fléaux, la différence n'avait plus aucun sens.

Mais les cieux restèrent aussi muets qu'à l'origine, ne lui laissant que la pluie qui commençait à tomber. Et c'était au milieu des flaques naissantes, des arbres décrépits par le temps et des voitures mal garées qu'il comprit :

Il était seul.

* * *

Kasumi l'avait regardé passer la tête baissée. Il... pleurait ?

Elle n'en était pas sûre ; la jeune fille ne l'avait jamais vu ainsi. Pour dire, Yakuseki-san n'était pas quelqu'un qu'on qualifierait de sentimental, trop sérieux dans son travail pour se laisser dominer par ses émotions. Haussant ses épaules, elle se dirigea vers la chambre d'Uyeno, et arrivée là-bas, toqua.

- Entrez, dit une voix un peu étouffée.

Ce qu'elle fit. La porte ouverte sur une pièce d'un blanc très propre, au sol au bleu pâle et tacheté. Assis sur une chaise, la grand-mère de son amie. Et, aux côtés de celle qu'elle était venue voir, son père. Yanagi-san était un homme très droit, mais pas dans le sens strict du terme ; sa gentillesse était bien connue chez les vétérans exorcistes, et sûrement l'une des nombreuses raisons qui l'avait poussé à quitter ce milieu.

Il leva les yeux vers elle ; ils étaient rouges, ce qui était normal vu qu'il avait dû pleurer. Après tout, qui ne pleurerait pas Uyeno ? Il murmura presque :

- Ah, c'est toi, Miwa-chan... Bonjour.

- Bonjour, Yanagi-san, répondit-elle en s'inclinant. Veuillez m'excuser de mon irruption, est-ce que je dois revenir plus tard ?

- Non, reste... Uyeno serait sûrement contente de te voir.

"Serait". Alors le coma n'était pas qu'une rumeur... Kasumi s'approcha pour mieux voir son amie : son visage, paisible comme l'eau calme d'un lac, embué par le respirateur à chaque bouffée d'air infime. Le cœur de la jeune fille aux cheveux bleus se serra un instant, mais elle reprit contenance ; elle leva son bras, un panier dans la main.

- J'ai apporté des fruits et des encens.

Le père opina du chef, et la laissa installer les fruits dans une panière et l'encens près de la fenêtre. Kasumi jeta un coup d'oeil à la grand-mère ; endormie, celle-ci avait dû subir une lourde charge émotionnelle.

Instinctivement, l'apprentie exorciste scanna les environs autour d'elle, et découvrit avec soulagement que des talismans avaient été placés dans la chambre. Les esprits maudits profitaient beaucoup des exorcistes en état comateux, ceux-ci relâchant beaucoup plus d'énergie occulte que d'ordinaire.

Elle tourna son regard vers Uyeno, et ressentit encore ce pincement. Alors qu'elle avait déjà apporté ce qu'elle (et ce que ses camarades avaient daigné donné) considérait comme les nécessités dans ces occasions, elle ne se sentait pas encore prête de sortir de cette chambre. Pourquoi ?

La raison pour laquelle elle ne se sentait pas vraiment affectée par l'état d'Uyeno, c'était à la fois simple et cruel : elles n'avaient jamais vraiment été amies.

Bien entendu, Kasumi avait toujours trouvé la petite rousse amusante. Énergique, boute-en-train, mais surtout déterminée à devenir exorciste. Ce regard empli d'un feu inextinguible, et cette soif de justice. Comme la jeune bleue s'entendait avec presque tout le monde et était très courtoise, Uyeno s'était immédiatement mise dans l'idée qu'elle et Kasumi seraient d'excellentes amies.

Mais, derrière tout ce tas de faux semblants, ces photos souvenirs, ces soirées pyjamas à se raconter des histoires et des secrets "entre filles", cette complicité à vouloir sans cesse s'entraîner et se battre ensemble...

Tout ça cachait le fait que la bleue et la rousse n'étaient amies que par simple formalité.

Pourtant... Et pourtant, Kasumi se rappelait encore de ce fameux jour de classe, la première fois qu'elle avait passé le pas du lycée d'exorcisme de Kyoto...

...

...Une sorte de brise nauséabonde grignotait ses narines, aussi elle se boucha le nez avec une mine dégoûtée ; les égouts de la ville étaient en réparation, et leur puanteur s'était répandue dans toute la ville à cause du vent moite de la fin d'été.

- Pouah ! Ils n'ont pas un sortilège pour empêcher cette immondice de nous atteindre.

Mai Zenin. Une grande brune avec un regard dur et n'ayant pas l'air sympathique du tout. Kasumi avait entendu parler d'elle grâce aux rumeurs circulant parmi les exorcistes ; la famille Zenin, exempte d'héritiers ou d'héritières possédant la technique des Dix Ombres, ce qui avait conduit cette fille à se faire traiter comme une moins que rien par sa propre famille, son propre clan. Un sort peu enviable, se disait Kasumi en l'observant du coin de l'œil, avant de dire :

- Je peux en référer à la direction, si tu le souhaites : il est fort possible qu'elle considère notre demande.

- Y a peu de chance.

Kasumi se tourna ; une blonde avec deux grandes nattes bien épaisses, lévitant à un mètre du sol à l'aide d'un balai. Impressionnée, elle ouvrit la bouche, ce qui fit rire la blonde. Zenin, de son côté, resta de marbre.

- Eh bien, on dirait que je suis tombé sur deux perles rares, ricana la blonde avec un ton narquois. Une héritière ratée, et une... presque potable ? (elle tourna sa tête de droite à gauche) On m'a dit que vous seriez trois...

- ATTENDEZ-MOIIII !!!

Trois regards se tournèrent vers l'entrée du lycée; un éclat de soleil couchant, des yeux auburn qui traçait des trajectoires aléatoires en observant les alentours, une bouche ouverte et haletante, libérant une voix un peu bêlante sur les bords.

La troisième apprentie arriva en sueur, ou... elle était trempée jusqu'aux os ? Cette hypothèse fut confirmée quand, sans gêne, elle enroula ses cheveux pour les presser et en faire ressortir l'eau... Pour passer ensuite à ses vêtements, un uniforme d'homme ! Et tout cela en disant :

- J'ai rien raté, j'espère ?

La blonde semblait apparemment révoltée, et hurla en la montrant du doigt :

- Tu te crois où ? Et puis, c'est quoi cette tenue !?

- Oh ? (elle regarda son uniforme, vieillot au vu de la couleur délavée et des plis) C'est celui de mon Onee-chan. Cool, non ? Il me va à merveille !

Cette répartie exempte de toute honte, ingénue et spontanée fit pouffer Kasumi ; et elle aurait juré voir un sourire sur les lèvres de la Zenin. La blonde grinça des dents, mais préféra passer à la suite :

- Bon, je m'appelle Momo Nishimya, mais vous pouvez m'appeler Nishi-san. Je serais votre responsable pendant les trois premiers mois, alors ne me mettez pas la honte... Surtout pour celles qui n'ont jamais côtoyé le monde de l'exorcisme (elle coula un regard à Kasumi, qui se rétracta, un peu gênée), je vous ai à l'oeil...

- Hé !

Nishi-san se tourna vers la rousse, qui la regardait avec un air hautain. Déjà excédée par son précédent comportement, elle répondit d'un ton menaçant :

- Ne me "Hé" pas, petite, ou tu vas perdre un bras dans la seconde qui suit.

- Essaye, rétorqua l'autre avec un sourire en coin.

Se toisant du regard, la tension montait entre eux et Kasumi craignait que ça dégénère, alors elle s'interposa :

- Nishi-san, vous êtes notre responsable, n'est-ce pas ? Pourquoi pas nous faire visiter l'école, vu qu'on est arrivé en avance ?

- Mmmh... (Nishimiya coula un dernier regard à la rousse, qui lui tira la langue, avant d'hausser ses épaules) Tu as raison ; allez, suivez-moi.

Pendant leur visite, la rousse s'approcha de la bleue avec un sourire, et lui passa son bras autour de l'épaule. Le contact, au grand étonnement de Kasumi, ne la mit pas mal à l'aise, ce qui la poussa à dire :

- Tu voulais prendre ma défense, tout à l'heure ?

- Ouaip !

- C'est gentil, mais je peux me défendre seule. Nul besoin de t'attirer des ennuis pour des choses futiles.

- Futiles ?

La rousse s'arrêta, entraînant Kasumi dans son immobilité. Surprise, elle tourna son regard vers le sien...

Une flamme.

C'était peut-être un sort, ou un effet secondaire d'une malédiction ? Il était même probable que ce soit un attribut héréditaire... Néanmoins, cette lueur dans son regard était si intense qu'elle en était forcément réelle. Et pas seulement ; intimidante, aussi. Pas d'une manière comme le principal Gakukanji ou des vétérans.

Aux pieds d'un arbre géant, cachant le soleil de ses feuilles charnues.

- Faire du mal aux autres, ça n'a rien de futile : c'est la source même des malédictions.

Kasumi ne s'était pas rendue compte qu'elle l'avait devancé, continuant sa déclaration sans se retourner.

- On ne peut pas se considérer comme des exorcistes si on est juste capables de maudire les autres.

Ce jour-là, elles ne s'étaient pas comprises, enfin pas directement en tout cas. Kasumi avait appris plus tard en discutant avec Nishi-san qu'Uyeno Tonisuka descendait d'une famille d'exorcistes assez renommée. Pourtant, cette famille ne prônait pas vraiment l'exorcisme comme une fonction importante contrairement aux trois grandes, mais plus comme un outil au service de la population.

C'est ce qui lui avait sûrement conféré cet esprit de justice, et ça c'était ce que la bleue avait supposé. Du moins au début. Mais, au fur et à mesure qu'Uyeno lui révélait ses peurs, ses espoirs, ses secrets, Kasumi s'était rendue à l'évidence : la rousse désirait la justice plus que tout autre chose. Mais il y avait quelque chose d'autre, en dessous qui dormait sous cette soif sans fin.

Un amour inconditionnel pour le pardon.

Désormais, Uyeno ne régirait plus la classe de ses interminables tentatives pour inculquer sa vision des choses à ses camarades. Certes, ce serait une pause méritée pour ces derniers, mais... Kasumi s'approcha du lit, tendit sa main pour toucher celle d'Uyeno, et murmura :

- Réveille-toi vite, pour que je puisse m'excuser... Il fait si froid sans ton feu.

Elle s'inclina ensuite vers le père, trop plongé dans le désarroi pour réellement lui prêter attention, et partit.

Soudain, elle comprit pourquoi il pleurait. Un peu, du moins.

* * *

- Donc tu veux mon aide à plein temps ?

Satoru prenait un ton étonné, mais en son for intérieur, il était satisfait ; en moins temps qu'il fallait pour le dire, Reiketsu avait décidé de placer sa confiance à 100% dans l'exorciste. Avec la blessure étrange de l'apprentie Tonisuka, le père de cette dernière avait perdu les pédales et rejeté son collègue sans cérémonie. Bref, avec ce sentiment de trahison et d'abandon, c'était le moment idéal que Satoru attendait.

- Je suivrais tes instructions quoi qu'il en coûte, répondit Reiketsu à l'autre bout du fil. Tant que tu m'aides à me débarasser de la malédiction.

- Splendide ! Laisse-moi juste une seconde...

L'exorciste se concentra, puis signa des mains ; avec un bang sonore, Yakuseki apparut devant lui, nullement impressionné. La téléportation à longue distance était inversement proportionnellement efficace par rapport à la quantité d'énergie d'occulte de la cible en question (si celle-ci ne résistait pas). Et désormais, son collègue possédait une réserve presque aussi grande que celle de Yuta.

- Tu ne sais pas Ô combien je suis ravi que tu acceptes de me faire confiance, sourit Satoru en sortant son téléphone : On fait une photo en souvenir ?

- Dans tes rêves, gronda l'autre en s'époussetant. Je ne veux que ton aide pour me débarrasser de ma malédiction, pas que tu m'entraînes dans tes délires.

- Pfff...

Il rangea son téléphone, déçu de ne pas pouvoir profiter de la nouvelle mise à jour de sa superbe machine à souvenirs... Tout en regardant à travers son bandeau l'aura que dégageait le jeune homme. Oui... Il avait vraiment évolué en un rien de temps, mais c'était assez normal : quand on construit un barrage, l'eau s'accumule encore et encore, ne laissant qu'un petit filet d'eau pour éviter l'explosion immédiate. Mais quand on relâchait la sauce...

- Oh, j'ai une idée !

Il croisa ses mains, un sourire éclatant sur ses lèvres. Reiketsu lui lança un regard interrogateur, tandis que le plus fort des exorcistes lançait :

- Et si on se faisait un rematch ?

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