Chapitre 4 - Le Lycée Métropolitain Technique et Magique de Tokyo

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- Je rentrerais demain soir, ne m'attendez pas pour manger. Je suis désolé, mais je me suis fait prendre à revers. J't'expliquerais tout en arrivant.

Reiketsu raccrocha son cellulaire ; Yanagi avait appelé car il n'était pas rentré hier soir, donc le vieux s'était inquiété et l'avait bombardé de messages écris et vocaux, jusqu'à que l'exorciste châtain daigne à l'appeler pour lui expliquer la situation. Yanagi avait consenti à le laisser "gambader" à Tokyo, à condition que le jeune homme lui rapporte un riz spécial que sa mère adorait.

Il le prenait pour qui ? Pour son coursier ?

Il observa les alentours : l'école d'exorcisme de Tokyo ressemblait presque en tout point à celle de Kyoto : construite sur une terre sacrée protégée... enfin dissimulée par la barrière de Tengen, les bâtiments avaient tous cette allure old-school d'école shinto un peu désuète : des toits en fuseau ou en biseau de tuiles classiques, recourbées vers le centre, des piliers et des honden rouges criards pour éloigner les esprits...

Néanmoins, le campus était très, très grand. Alors qu'il n'accueillait en tout que, quoi, une dizaine d'élèves ? Le monde des exorcistes était vaste, pourtant aussi épars que les fleurs de sakura dans l'eau d'un lac. Peu de personnes naissaient avec le don de voir les fléaux, et il fallait prendre une pincée de cette poignée afin d'avoir des exorcistes à peu près qualifiés. Après il y avait bien les trois grandes familles, mais bon... Reiketsu ne leur faisait pas confiance.

Soudain, Gojo débarqua de nulle part comme à son habitude, et lui fit un signe de main.

- Salut ! Alors, ta nuit s'est bien passée ? J'espère que tu n'as pas trop rêvé de mon corps d'apollon... se moqua-t-il en jouant la jeune fille timide.

- Si jamais tu te glisses dans un de mes rêves, alors ça deviendra immédiatement un cauchemar et je serais obligé de m'y suicider, soupira Reiketsu. Enfin, il faudrait déjà que je rêve, ajouta-t-il plus pour lui-même.

- Hmm ? Tu as dis quelque chose ?

- Simplement que j'étais un peu stressé par le fait que je vais jouer l'intervenant...(là au moins, il était sincère) Je suis pas fait pour enseigner.

- Crois-moi, j'étais exactement dans le même état d'esprit que toi à ton âge, avoua Gojo.

C'est vrai que son collègue avait presque déjà la trentaine. D'ailleurs, il s'était toujours demandé pourquoi le plus fort des exorcistes l'avait recommandé pour la classe 1. Était-ce parce qu'il voulait l'acheter d'une quelconque manière afin de prendre avantage sur leur Serment mutuel ? L'idée que Gojo soit aussi retors n'était pas très logique en soit : si ce monstre voulait quelque chose hors du cadre administratif, il l'obtenait direct.

Après ce rapide échange, ils entrèrent dans l'enceinte de l'école, parcourent les couloirs en entendant des gens qui discutaient, appelaient ou encore conjuraient des formules pour des rituels probablement destinés à préparer l'Amicale avec Kyoto. Reiketsu se remémora brièvement du temps où lui et ses camarades avaient affronté les élèves de Tokyo ; la promotion adverse avait été abominablement nulle.

Espérons que celle-ci soit à la hauteur... pensa-t-il tandis que Gojo ouvrait une porte avec fracas et annonçait :

- Bonjour les jeunes ! Tout gaze ?

Il passa la tête dans l'embrasure de la porte pour observer la classe ; trois élèves étaient déjà présents, dardant sur lui deux regards curieux et un farouche.

Le premier était un... Panda. Le second, c'était un jeteur de sort, d'après le col de sa veste qui masquait sa bouche, et la troisième était une binoclarde avec un yari sur l'épaule (c'était elle qui lui lançait un regard peu avenant). L'impression que lui donnait cette classe était... passable. Au vu de leur énergie occulte qui ne débordait pas, ça n'était pas des amateurs. Et leurs styles hétéroclites présageaient peut-être que ça serait intéressant.

- Sensei, vous êtes en retard encore une fois ! se plaint le Panda.

- Qui c'est, ce type avec vous ? fit la fille avec un ton menaçant.

- Saumon, ajouta le petit au col roulé.

- Je vous présente votre intervenant du jour : M. Reiketsu Yakuseki ! Ménagez-le, d'accord ?

À l'entente de son nom, les regards interrogateurs se muèrent en respect, les trois élèves se levant pour s'incliner et crier :

- Honoré de vous rencontrer, Yakuseki-san !

- Oh là, oh là, bredouilla Reiketsu, avant de reprendre le contrôle de sa voix : Vous pouvez m'appeler comme vous voulez, mais soyez pas trop tendus non plus. Asseyez vous, mettez-vous à l'aise.

Sous le regard satisfait du plus fort des exorcistes, Yakuseki avait prit la situation bien en main, et pour cause : il savait traiter avec les jeunes exorcistes, vu que Miwa était déjà venu chez les Tonisuka et qu'il avait dû gérer deux tornades. Subrepticement, Gojo s'éclipsa et laissa la magie opérer.

- Pour commencer, je me présente : je suis Reiketsu Yakuseki, exorciste affilié à Kyoto, j'ai vingt-cinq ans et je suis classe 1. Est-ce que vous pouvez vous présenter tout à tour, euh...

- Panda, monsieur (alors c'est son nom ?). Je suis une marionnette maudite qui possède une conscience et des émotions. Je suis semi-grade 2 et spécialisé dans le pugilat, mais j'ai certes d'autres atouts à ma disposition.

Reiketsu acquiesça, bien qu'un peu surpris : une marionnette comme élève... C'était sûrement un coup du principal Yagi, ce type-là était un peu timbré sur les bords. Néanmoins, Panda avait l'air d'être fiable, stable et assez fort. Il se tourna ensuite vers le jeteur de sorts.

- Thon.

- Il ne peut pas converser, intervint Panda avec un air gêné (étrange de voir un tel animal avec cet air-là). Ses sorts rendent dangereuses la moindre de ses paroles, et il restreint son vocabulaire aux accompagnements des onigiri.

- Thon. Saumon. Bonite séchée. Algue.

- Oui..., et Reiketsu acquieça. Oui, d'accord, je viens de comprendre... Semi-classe 1 ? Je suis gâté... Et toi ?

Il se tourna vers la fille, qui ne lui lançait plus de regards noirs, mais qui avait tout même l'air d'être un peu embêtée.

- Maki Zenin, finit-elle par lâcher. Je suis semi-grade 4, ne sait pas voir les fléaux sans mes lunettes et me bat à l'aide d'objets maudits.

- Une Zenin qui ne sait pas voir les fléaux, hein... (il remarqua le regard envenimé qu'elle lui lança, aussi désamorça-t-il le conflit) On se calme ! Je ne porte pas les trois grandes familles dans mon cœur, mais tu m'as l'air de quelqu'un de motivée pour devenir une exorciste avec toutes ces chaînes que tu trimballes... Laisse-moi deviner...

Il se concentra, pour voir que la jeune fille aux cheveux verts en queue de cheval ne dégageait que très peu d'énergie occulte.

- Tu es soumise à une Restriction Divine, c'est ça ?

- Comment vous...?

- Je suis particulièrement doué pour voir les choses, éluda-t-il en tapotant la peau sous son œil. Bon ! Trêves de présentations, vous avez des questions ?

Les trois élèves se regardèrent tour à tour, un peu indécis. Ils murmurèrent, avant que Maki n'hausse ses épaules.

- Vous êtes l'exorciste le plus actif de tout le Japon. On se demande juste comment vous avez la motivation pour accomplir toutes ces missions...

-...et le temps ! compléta Panda en levant un doigt.

- Saumon !

- Eh bien, je fais six cas de fléaux maximum par semaine, dont deux en une journée. Si j'arrive à un tel rythme, c'est juste que le week-end je réserve à l'avance le plus d'affaires d'affaires possibles. Après, il ne faut pas croire les rumeurs : bon nombre d'entre elles ne sont que des canulars, et donc il faut aviser pour...

Et deux heures filèrent, sous travers d'explications, de schémas, de questions réponses où les élèves devaient résoudre des problèmes théoriques... Jusqu'à que Maki intervienne et lève la main :

- Oui ? s'interrompit Reiketsu.

- Quand est-ce qu'on passe au cours pratique ?

* * *

Il fit craquer ses épaules, et se prépara ; le cours avait rapidement viré de bord pour devenir une amicale professeur-élève (enfin, il n'était pas "professeur", c'était juste une façon de parler). Matraquer des gosses n'était pas un de ses passe-temps favoris, parce qu'il avait déjà Uyeno pour ça. Néanmoins, il était persuadé que cet exercice leur permettrait de voir la différence majeure entre un duel simple d'arts martiaux où l'expérience prônait le plus souvent...

...et un affrontement entre deux exorcistes, où c'était celui qui avait le plus envie de démarrer son adversaire qui gagnait le plus souvent.

Son premier élève était Panda. Ce dernier était massif, mais vu que c'était une marionnette de Yagi, Reiketsu se doutait bien qu'il possédait la vitesse nécessaire à exécuter des rafales de coups. La prudence était de mise, aussi resta-t-il en position de défense, quand tout à coup Panda pris un air confus :

- Euh... Quand est-ce qu'on commence ?

- Quand tu sens que tu as l'avantage, répondit en sautillant sur ses pieds l'exorciste professionnel.

Panda ne réfléchit même pas et fonça sur lui, grignotant la distance entre eux en un clin d'œil. Un uppercut venant de la gauche, que Reiketsu fit glisser le long de son bras en se décalant légèrement, mais le souffle provoqué par l'énergie occulte le fit vaciller. Sans plus attendre, un deuxième poing fila vers son visage.

Il se le prit en pleine poire... ou pas. Il avait tourné sa tête dans la même direction au dernier moment, faisant perdre de la puissance au crochet. Panda ne réalisa que trop tard le contre qu'enchaîna avec force l'exorciste, ne se protégeant qu'avec de l'énergie occulte, reculant de quelques pas. Panda vacilla, puis reprit contenance ; une marque était déjà présente sur son torse.

Plus loin, Maki et son camarade avaient assisté au déferlement de puissance, la sueur d'étonnement au front. Ce type est fort, voilà ce qu'ils pensaient. Reiketsu se tourna vers les deux autres élèves, en particulier Maki :

- Je n'ai pas utilisé d'énergie occulte, si tu veux tout savoir.

- Vous délirez ! aboya cette dernière.

Il sourit, puis cette fois prit les devants : il courut autour de Panda pour le désorienter, sifflant pour tromper son ouïe et frappant violemment le sol à chaque pas pour soulever de la poussière à l'aide d'un minimum d'énergie occulte. Avant que son adversaire n'agisse, il fonça sur lui pour le plaquer au sol. Malgré sa masse inférieure à cet élève poilu, il utilisa ses jambes et la rotation de son bassin pour appliquer une plus grande force, et renversa le gros balourd.

- Oh ! lâcha-t-il avec une voix surprenamment attendrissante

En quelques secondes, Panda était immobilisé par une clé de bras, sous le regard médusé des deux autres élèves. Reiketsu expira, avant de relâcher la pression et d'aider Panda à se relever.

- Comment avez-vous fait pour courir aussi vite et frapper le sol si fort ? demanda-t-il.

- Je concentre mon énergie, expliqua-t-il en appuyant un doigt sur la paume de sa main. Cela demande un minimum de carburant mais beaucoup de concentration. Néanmoins, quand on privilégie la pression de l'énergie sur sa quantité, les résultats sont particulièrement intéressants. Inumaki, c'est à toi ! cria-t-il à l'attention de l'intéressé.

Mais ce dernier s'approcha pour lui dire :

- Prune.

- Oh ? Tu ne veux pas tester ta force contre moi ?

- Saumon, nia-t-il.

- Très bien...

Avait-il eut vent de sa connaissance poussée des techniques utilisant le son ? Ou alors c'était juste un dégonflé... Reiketsu haussa ses épaules, et se tourna vers Maï, qui s'approcha :

- Prête à en découdre ?

- Je vais vous écraser, assura-t-elle en se mettant en position du souffle, selon le sojutsu. Elle consistait à tenir sa lance derrière son dos, pour surprendre l'adversaire.

Il se mit en position d'attaque, et attendit. Il attendit longtemps, mais aucune ouverture ne se profilait dans la garde de la jeune fille. Elle est douée, pensa-t-il avec un frisson d'extase. Elle ne se reposait pas uniquement sur son énergie occulte comme le faisaient la plupart des exorcistes. Non, Maki Zenin était une dure à cuire, et une férue d'arts martiaux à en juger sa posture sans aucune faille... Ah.

En fait, si ; la faille était pourtant gigantesque, mais il avait placé tellement d'espérances qu'il ne s'était pas rendu compte de cette immense erreur qu'elle commettait : d'un simple coup d'œil, il remarqua à ses jambes un peu plus écartées, son buste redressé et son air farouche qu'elle se reposait uniquement sur sa force.

Elle fonça sur lui, ayant remarqué son inattention, pour lui asséner un coup de lance tournoyant. Il le para avec ses avants bras, mais la vibration... Y a pas à dire, elle est forte... Sans énergie occulte, il aurait eut les bras brisés. Mais ça lui suffisait. Dans un mouvement à la fois gracieux et vif, il se plia en arrière pour donner un coup de pied dans sa lance, puis un autre dans sa mâchoire. Un salto arrière, et il ne laissa pas reprendre ses esprits : il lui envoya sans cérémonie son coude dans le ventre, la faisant s'étouffer et cracher en tombant sur le sol.

S'essuyant la bouche, elle remarqua ensuite son aîné lui tendre la main pour l'aider à se relever. Elle la repoussa et se leva d'un bond, ce qui le fit sourire : son orgeuil avait été blessé, donc elle allait pouvoir débloquer un obstacle dans sa progression...

Attends une minute... Depuis quand je suis pédagogue, moi ?

- L'échange a été bref, c'est vrai, déclara-t-il. Néanmoins, tu n'as pas essayé de voir plus loin que ma simple défense, pas vrai ?

-...Tsk ! Et vous avec votre énergie occulte...

- Je n'en ai pas utilisé tant que ça, avoua-t-il. Ce qui m'a fait gagner, c'est la technique et rien d'autre. Toi aussi, quand tu arriveras à ce niveau, tu pourras même vaincre des grades spéciaux avec la bonne arme et la bonne tactique, finit Reiketsu en tapotant son épaule, puis se tourna vers les autres : C'est l'heure de la pause ! Après, vous me ferez un compte rendu de ce que vous avez fait de mal, de ce que vous aurez pu faire de bien, et tout le tralala. Moi, je vais aller m'en fumer une...

Il partit donc en quête d'un endroit où il pourrait être un peu seul, quand il croisa un gars familier ; blond et bien coiffé, rasé de près, en tenue d'employé de bureau et portant des lunettes presque opaques, le visage aussi dur que les longues heures de travail auxquelles il avait passé à arnaquer des acheteurs.

- Nanami-san ? C'est bizarre de te voir là... Tu n'es pas en service ?

- Haaa, soupira Kento Nanami, un collègue de classe 1 également. Tu pourrais au moins employer les formalités nécessaires... Ça te tuerait de me dire bonjour ? (Reiketsu lui lança un regard moqueur, ce qui fit maugréer l'ancien employé d'entreprise) Je ne suis pas en service, j'ai un congé payé.

- Cool ! Donc t'auras le temps de lire cette fameuse série d'auteur, euh...

- La Déchéance d'un homme, répondit d'une voix traînante l'exorciste à lunettes. Premièrement, ça n'est pas une série d'auteur, et deuxièmement tu devrais également penser à te cultiver ; Osamu Dazai est quand même le Baudelaire japonais...

- Baudelaire, je connais ! se défendit l'intéressant.

Nanami lui jeta un regard entendu.

-...Mais j'avoue que j'ai jamais lu, mais un jour, qui sait !

- Te connaissant, ce jour risque de ne jamais arriver... Qu'est-ce que tu fais ici, d'ailleurs ?

- Satoru Gojo, lui confia le jeune homme en allumant sa clope, comme si le simple fait de mentionner ce nom expliquait toute l'affaire.

- Je vois... Shoko m'a dit que tu avais été blessé. Rien de grave, j'espère ?

- Tu t'inquiètes pour moi ? C'est gentil, ricana Reiketsu.

- Simples conformations professionnelles : tu es mon collègue, je dois faire semblant de m'intéresser à ton bien être, même si cela m'ennuie la plupart du temps.

- Un semi-classe S, expliqua-t-il. En lien avec le Roi Écarlate.

Le regard de Nanami s'assombrit, et il resserra lentement sa cravate.

- "En lien" ?

- Apparemment, le fléau en question me cherchait moi, précisa le jeune exorciste en soufflant un nuage de fumée qui se dissolut dans l'air. Il m'appelait le "Prince" de je-ne-sais-quoi.

- Et tu penses que cela a un rapport avec ta...

- Ma "condition spéciale" ? (Seuls Gojo, Ieri et Nanami étaient au courant de la raison de sa malédiction) C'est tout à fait possible : ma marque est rouge, le Roi est "écarlate", et le fléau m'a appelé son "prince"... Sachant que le Roi est un fléau ancien, il est possible qu'il m'ait maudit dès ma naissance.

- Et pour quelle raison ?

- Ça, c'est pas à moi de m'en occuper.

- Tu devrais arrêter de fuir tes problèmes en sauvant toutes les personnes menacées par les fléaux, lâcha Nanami en partant. Tu vas finir par te tuer à la tâche.

Son collègue s'éloigna, tandis que Reiketsu lâchait une nouvelle bouffée de fumée. Il se pencha pour éteindre sa cigarette au sol, avant de la jeter dans une poubelle. Et c'est là qu'il se rendit compte à quel point il serrait les dents.

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