Chapitre 1: Le Réveil

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Une absence.

Du silence.

Une onde étrange vient bouleverser mon esprit stagnant. Dans les ténèbres, je sens poindre une fraîcheur salutaire. Une douceur et un confort austère. Ma paix agitée s’en voit apaisée. Que m’arrive-t-il ?

Le contraste de température est divin sur ma peau fiévreuse.

Je fronce des sourcils dans mon inconscience. N’étais-je pas morte un instant plus tôt ? Suis-je réincarnée ? M’a-t-on menti lorsque l’on m’affirmait que l’au-delà nous délestait de tout souvenirs et souffrances terrestres ?

Je savais que toute cette théologie n’était que de la poudre aux yeux.

Parce que maintenant que je reviens à moi, je suis assaillie par un océan de douleurs qui me fait regretter d’être née. Et si ce n’est pas là une pensée familière ! Je gémis, pitoyable dans ma confusion.

Le son de ma voix me rappelle à la réalité. Je réalise vaguement que je dois avoir survécu, par je ne sais quel miracle mal avisé. J’entrouvre les yeux, décidée à y voir un peu plus clair. Mais avant même que ma vision se précise, un éclair de douleur me foudroie sur place, et je change d’avis.

Quelle migraine abominable !

Mes cordes vocales desséchées ne me permettent pas de jurer, et la tentative me fait tousser. Une nouvelle vague de souffrance généralisée m’emporte, mes regrets se multiplient. Je devrais savoir que mes idées sont rarement bonnes pour mes intérêts.

Je suis épuisée. Tout mon être me supplie de céder à la torpeur, mais je m’entête. Même diminué, mon esprit refuse de baisser sa garde. Quelque chose ne va pas. Je suis en vie, certes, mais comment ? Cela n’aurait pas dû être possible.

A moins que ce ne soit pas de mon fait.

Mon cœur s’affole à la réalisation alarmante. Luttant contre le sommeil et mon corps endolori, je force mon chemin vers une pleine conscience. L’effort est inhumain et ajoute son lot de regrets. Je m’obstine avec acharnement, ignorant mes complaintes. S’il y a d’autres personnes à proximité, je suis en danger.

Emergeant de ma léthargie, je prends note des épaisses étoffes et fourrures sur lesquelles je repose. L’air a la qualité glaciale des nuits dans le désert, et tout est calme. J’entends crépiter un feu non loin de là, et ses murmures bercent mon retour parmi les vivants.

Sur mon front brûlant, je devine un tissu imbibé d’eau fraîche.

Etrangement, c’est ce détail qui confirme mes craintes. Je ne suis pas seule. Je force mon souffle à rester profond, en faisant appel à tout le sang-froid qu’il me reste. Malheureusement, mon état de faiblesse ne me laisse pas beaucoup de marge de manœuvre.

Je tente de me rassurer. On ne maintient pas quelqu’un en vie pour le tuer sommairement. C’est une bonne chose. Je dois probablement pouvoir survivre ce nouvel écueil, d’une manière ou d’une autre. Mais je déteste la logique qui vient me souffler ce que je ne veux pas entendre.

Ces terres sont normalement désertes, et pour de bonnes raisons.

Personne n’aurait dû se trouver là. Et après l’attaque, je n’ai aucun espoir pour des pèlerins bien intentionnés. Comme pour moquer mon pessimisme, je réalise distraitement que mes bras sont maintenus dans une position douloureuse.

Je n’aime pas l’ironie de mes pensées. Avec un soupire tremblant, je me force à ouvrir les yeux.

Les menottes chromées autour de mes poignets semblent narguer mes illusions de survie. Ma descente aux enfers est manifestement en bonne voie, vivante ou non. Même inconsciente, on a estimé que je devais être enchaînée. Je ne retiens pas le nouveau juron qui fleurit sur mes lèvres.

J’ai été faite prisonnière. Et maintenant, je dois m’échapper.

Plus un instinct qu’une pensée, cette pseudo-liberté à reconquérir devient ma nouvelle raison d’être, de penser, de respirer. Dans un premier temps, je m’attèle à chercher une sortie, si elle existe. Je tourne la tête avec milles précautions, grimaçant de douleur, pour examiner l’endroit où je me trouve.

En plissant les yeux dans la pénombre, je peux distinguer de lourdes tentures tissées sommairement. Elles sont tendues au-dessus de ma couche par des piquets plantés sur ma droite, et me protègent de la brise gelée. A travers mon voile, j’aperçois le halo chaleureux d’un feu qui dessine des ombres dansant avec quelques lueurs.

Je fais rapidement l’examen de mon abri. Vide.

Si je suis soulagée de ne pas être placée sous surveillance, je ne peux m’empêcher de soupirer. Il n’y a rien d’utile ici. Aucun vivre, aucune babiole que je pourrais utiliser pour forcer la serrure de mes fers. Et en regardant ceux-ci de plus près, je remarque qu’ils sont reliés à une chaîne fixée dans le sol.

Un autre juron.

Mobilisant le peu de neurones encore loyaux à ma cause, je tente de déterminer mes prochaines actions. Mais j’ai beau faire abstraction de la douleur, je sous-estime ma fièvre. Rien ne me vient. Mes pensées s’emmêlent, s’oublient, se répètent, alimentées par la peur et la fatigue.

J’ignore où je me trouve, où je devrais aller. Je suis affaiblie, il semble impossible d’échapper à mes geôliers ou leurs armes… Sans compter que je ne sais rien de la survie dans le désert, ni de…

- Enfin réveillée, pas trop tôt !

Un violent sursaut me secoue sans ménagement.

Je retiens de justesse un gémissement de douleur pathétique, que je ravale en me mordant les lèvres. Entre deux expirations, je cherche l’intrus fébrilement, sans grand succès. Mais une fois la surprise dissipée, je repère une ombre qui me toise depuis mon angle mort.

Une sueur froide trahit ma détresse. Depuis combien de temps suis-je observée ? Me sentant terriblement vulnérable, je déglutis, le cœur dans la gorge. Prenant mon courage à deux mains, je déclare d’une voix rauque :

- Vu que je suis encore en plein cauchemar, j’en doute.

Un léger coup de pied sur la jambe me fait tressaillir. Je m’applique à ne pas bouger.

- Ton nom ?

Devrais-je répondre ? Devrais-je mentir ? Sans conviction, je finis par dire :

- … Atalia.

- Très bien. Et d’où viens-tu Atalia ?

Sur ce point je n’ai aucun doute sur le fait que je dois me taire. Une vie de conditionnement s’en assure plus sûrement qu’une arme à bout portant.

- …Du désert.

Je crois entendre un soupir agacé.

- Debout. Notre hospitalité a ses limites.

Qu’est-ce que ça veut dire ? Ils allaient me laisser partir, ou bien me livrer au plus offrant ? J’ai dû mal à comprendre. Avant de pouvoir m’en empêcher, mon cynisme désabusé prend la parole :

- Que m’attend-t-il donc, alors ? Vais-je être torturée ? Exécutée ? Asservie ? Vendue pour une poignée de pièces peut-être ?

J’ai déjà le souffle court, épuisée par la conversation. Mon interlocuteur, toujours invisible depuis l’obscurité, réplique d’une voix monotone :

- Ben voyons. Dans ton état, tu ne vaux pas grand-chose. Mais nous avons quelques questions pour toi.

Je ne sais pas si je suis censée être rassurée par ce constat. Uniquement armée d’une assurance que je n’ai pas, je rétorque :

- Tout ce que j’aime entendre. Vous êtes un charmeur Sire Ombre.

Un silence. Je n’ose pas me retourner et affronter les réactions de mon ravisseur. Je ne veux pas recevoir la confirmation que ma fin est proche. Et je ne veux surtout pas savoir si j’avais une chance de survivre avant d’ouvrir la bouche.

- Allons-y, avant que la fièvre ait raison de toi.

Pas d’émotions particulières dans sa voix, si ce n’est une indifférence calculée. Impossible de dire s’il ressent la moindre compassion pour mon sort. Il pourrait avoir des envies de meurtre, qui sait ? Je ne suis pas en état de saisir les nuances. Ni de me taire, apparemment, car je m’entends dire :

- Dîtes-moi si je me trompe, Sire Ombre. Mais au vu de ces menottes, je dirais que la fièvre est le cadet de mes soucis.

Je n’ai aucun doute, c’est bien un soupir que j’entends cette fois-ci. Disgrâce ! Avant que je ne puisse le haranguer pour son manque de respect, il m’interrompt :

- Tu parles trop.

Une main froide sur ma joue me fait oublier mon indignation. Je me fige, à nouveau terrifiée.

Mais après quelques instants, elle ne fait que saisir le tissu moite sur mon front. Puis, contre toute attente, elle entreprend d’humidifier ma peau dénuée de transpiration.

Contre mon gré, je sens ma tension se relâcher peu à peu. L’acte est apaisant en dépit de son étrangeté. La stimulation du geste et le froid au contact de l’humidité réveillent mes sens. Je le sens redessiner mes arcades, mes pommettes, l’arrête de mon nez fier, la ligne de ma mâchoire… Mes traits reprennent forme dans mon esprit, illuminée derrière le passage de l’étoffe.

Le voile lourd qui pesait sur ma conscience s’étiole alors qu’il termine rapidement ma nuque et mes clavicules. Revigorée, j’ignore le reste de mes maux et rouvre les yeux. Sur ma droite, l’ombre qui constituait mon visiteur jusqu’à présent gagne peu à peu en contours.

L’homme est définitivement très grand, même assis. En tailleur au niveau de mes hanches, ses avant-bras anguleux reposent désormais nonchalamment sur ses genoux. Son corps, bien que dissimulé dans de larges tuniques colorées, est solidement bâti.

Il reste à une distance prudente de ma couche, perdu dans la pénombre.

C’est évidemment volontaire. Bien que je retrouve toute mon acuité, la nuit garde efficacement le secret de son visage, le détail de ses vêtements. J’ai beau distinguer un turban et quelques mèches rebelles, je suis incapable de déterminer son âge, sa classe ou sa profession.

Sentant mon regard sur lui, il se penche en avant pour m’examiner à son tour, révélant ainsi une mâchoire aiguisée et une barbe de quelques jours. Après quelques secondes de contemplation, un sourire en coin moqueur étire des lèvres fines, qui raillent :

- Un peu de silence, enfin ! Il va falloir y aller, Miss du désert.

Je serre les dents, piquée au vif. Mais maintenant que mes idées sont plus claires, je m’interdis formellement de réagir à la provocation. J’ai assez risqué mes chances de survie pour aujourd’hui. Cependant, lorsqu’il entreprend de décrocher ma chaîne, je ne peux m’empêcher de lui jeter un regard irascible.

Après quelques déclics métalliques, il reprend ses distances et me fait un signe du menton. J’acquiesce sombrement. Il est temps de découvrir ce qui m’attend.

Avec d’immenses difficultés, je tente de me redresser. J’ignore au mieux le supplice de mes muscles courbaturés pour basculer sur le côté, puis sur le ventre. Je replie les genoux sous mon buste, et me dépêche de tendre les bras pour m’assoir sur les talons.

Une explosion de douleurs aigües m’empêche d’aller plus loin, et je ravale un nombre copieux de mots de choix. Je suis essoufflée, paralysée. Il semblerait même qu’avec l’effort, ma capacité à transpirer soit revenue. Je suis en âge, et dégouline sous ma tunique.

Un vertige me secoue.

J’inspire longuement, canalisant au mieux les ondes d’anxiété qui menacent de me submerger. D’une main tremblante, j’explore mon buste avec appréhension. Je grimace quand, sous mes côtes, j’effleure un large accroc humide dans mon veston élimé.

Lorsque je sens un nouveau flot de liquide chaud couler librement sur mes hanches, je réalise avec consternation que ce n’est pas de la sueur. Ma main revient recouverte d’une pellicule rouge, sombre et luisante à la lueur du feu. J’ai rouvert une plaie.

Quelque chose me touche au même endroit, et je reprends conscience de ce qui m’entoure. Clignant des yeux, je remarque un peu hagarde que l’homme s’est rapproché considérablement. Dans son étreinte, je peux presque sentir son musc minéral, et sa barbe me chatouille la tempe.

Avec un sursaut, je lâche une expiration incrédule. Mais je ne me trompe pas, je suis bien retenue en position assise par son avant-bras autour de mes épaules. Son genou me sert de dossier, et il nous maintient immobiles pendant son examen.

Sire Ombre a donc compris que mes mouvements avaient aggravé mon état. Était-ce volontaire ? Un acte visant à rappeler mon infériorité physique, pour que je ne tente rien de stupide ?

Je lui jette un regard dur, angoissée, mais il m’ignore, focalisé sur sa recherche de l’hémorragie. Peut-être pas alors. Il fixe mon buste comme s’il pouvait voir mes cicatrices, les marques et la chair à vif, tout ce que je cachais sous mes tuniques.

Avant que mes peurs les plus basiques puissent prendre forme, une inspiration sifflante se perd dans ma gorge. Ses doigts viennent d’effleurer la pire de mes blessures. Au-delà d’un rideau presque noir de sang, ondulant avec les battements de mon cœur, on devine la teinte blanchâtre d’une côte.

Il reste silencieux, mais je peux sentir une gravité nouvelle l’entourer.

J’ai à peine le temps de me demander ce qui allait se passer maintenant, quand je remarque un mouvement dans ma vision périphérique. Il cherche quelque chose dans les recoins de ses vêtements, au niveau de sa ceinture. Il n’a toujours pas prononcé un mot, mais il semble déterminé.

Brusquement, un frisson glacé m’envahit.

Un vague souvenir, la vision d’une dague emplissent mon esprit, et j’ai la nausée. S’apprête-t-il à mettre fin à mes souffrances ? Est-ce là un dernier acte de pitié ?

Ses muscles se contractent autour de moi. Il a trouvé ce qu’il cherchait. Sa respiration se bloque, comme pour se fortifier. Une fois encore ce jour-là, je me dis que j’allais mourir.

Et je n’étais toujours pas prête.

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