N'importe qui

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N'importe qui pourrait le faire. C'était cette pensée qui guidait la jeune fille vers son lit de mort. N'importe qui pourrait le faire. Avec de la volonté, avec du courage. N'importe qui pourrait le faire. Cependant, elle manquait de tout. Son image d'elle-même n'était que lâcheté, paresse, culpabilité et mensonge. C'est pourquoi elle souhaitait en finir. Pour faire cesser son mal, que ses pensées cessent de la tourmenter, que le vide s’imprègne d’elle et lui souffle au loin son malheur. Mais par manque de courage et de volonté, se culpabilisait-elle, jamais la jeune fille ne saurait trouver la force de mourir d’elle-même.

N'importe qui ferait l'affaire. C'était ce message que souhaitait faire passer la Mort. N'importe qui ferait l'affaire. Pour peu que l'âme soit jeune et déprimée, n'importe qui ferait l'affaire. Cependant, elle en voyait passer des suicidés, mais jamais elle ne s'arrêtait pour les regarder. Elle avait trop à faire pour s'occuper de ces n'importes qui. Son armée d’âmes au désespoir prenait forme et la Mort se devait d'alimenter leur détresse en continuant de chuchoter aux vivants, aux morts et aux entre-deux, qu'ils feraient mieux de lâcher prise et de la suivre. N'importe qui ferait l'affaire. Suivez-moi dans ma tourmente ! s’exclamait-elle. Éteignons ensemble la lumière, car c'est elle qui nous rend sombres !

Tu ne devrais pas le faire. C'était ce que répétaient les gens autour de la jeune fille. Ils étaient inquiets, ils avaient peurs. Tu ne devrais pas le faire. Mais la jeune fille était perdue. La Mort lui susurrait des promesses à l'oreille, la tenait au creux de sa main. Tu ne devrais pas le faire. Cependant, ils n'étaient d'aucune aide. Ils lui répétaient qu'elle divaguait, que tout s'arrangeait un jour, que la mort n'était pas une solution et qu'elle devait rester forte. Rester forte, pensait-elle avec tristesse. Tu ne l’as jamais été, tu ne le seras jamais, et tu le sais, lui soufflait la Mort en se moquant cruellement de la naïveté des mortels.

Je sais qu'elle va le faire, jouissait la Mort. Elle l'attendait depuis longtemps, cette suicidée qui s'accrochait malgré tout. Je sais qu'elle va le faire. La Mort n'avait plus qu'à la guider vers ce train qui passait près de chez elle, ou vers la pharmacie qui renfermait un véritable paradis de morts amusantes. Peut-être même pourrait-elle envisager de la faire saigner. Mais tout de même, je sais qu'elle va le faire, se félicitait-elle en pensant au nombre de fois que la Vie lui avait arraché sa victime des mains.

J'abandonne, c'est trop difficile. La jeune fille pleure, sa tête veut exploser. Elle vient d'avaler plusieurs médicaments qu’elle sait puissants et dont la pharmacie est pleine. Elle sait qu'elle va mourir, mais elle ne le veut plus. Ça fait trop mal, c'est trop difficile. Elle pense à ses parents, à ses amis, à tout ce dont elle rêve. Son geste peut être réparé, elle le sait. J'abandonne, c'est trop difficile. Elle attrape le téléphone et compose le 911. Quand ils arrivent, elle convulse déjà. Mais il n'est pas trop tard, ils peuvent la réparer. Cependant, la Mort la broie entre ses doigts. Elle la tire, la tire encore, furieuse que sa proie soit sur le point de lui échapper à nouveau. J'abandonne, c'est trop difficile, je ne t'accompagnerai pas plus loin, crie la jeune fille à sa meilleure amie. Elle repousse la Mort avec force et courage. C’est fini, elle vivra.

N'importe qui ferait l'affaire. C'est ce que se répète la Mort en se rongeant les ongles. Tant pis pour elle, qui sera victime de nous courroux à tous. Mon armée prend de l'ampleur, nous pourrons bientôt souffler la bougie, celle de la vie. N'importe qui ferait l'affaire. Cependant, elle en voyait passer des suicidés, mais jamais elle ne s'arrêtait pour les regarder. Elle avait trop perdu pour s'occuper de ces n'importes qui. Sa frustration d'avoir été vaincue par la Vie la rongeait et l'enflammait. Je devrais descendre et goûter à la Vie, juste pour comprendre ce qu'elle a de mieux que moi, lui chuchotait une voix à l'oreille.

Même moi, je peux le faire. Et la Mort se suicida pour s’abandonner à la Vie.

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