Chapitre 3

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Troisième chapitre...

Étendue, les yeux dans le vague, Esméralda méditait : « À cinq ans, je suis morte... À cinq ans, mon père m'a tuée en souillant mon intimité. À cinq ans, il a utilisé son autorité sur moi pour m'abuser... pour me violer, me dépouiller de moi-même et saccager tous mes repères. À cinq ans, mon père m'a utilisée comme un objet sexuel et a fait naître en moi le rejet, la colère et l'insécurité. Mais à vingt ans ! À vingt ans, Christian est venu m'envelopper de ses bras amoureux et m'a réchauffé de ses mots tendres. Je me souviens... Je me souviens lui répéter que je ne valais rien. Les yeux brillants, il répondait que j'étais une reine et que je comptais énormément pour lui. J'avais fini par le croire. Oui. Grâce à lui, je m'étais reconnectée à la vie et j'avais entamé un chemin de guérison. »

Esméralda se rappela que la patience, la tendresse et l'amour de son mari l'avaient aidée à reconsidérer ce corps vandalisé. Lui revint en mémoire que pour donner une chance à leur couple, elle avait appris à anesthésier sa douleur et appris à combattre ses blessures. Durant ces trente années de mariage, elle s’était battue pour ne plus s'identifier à un vulgaire objet de plaisir, mais pour se reconnaître en tant que femme et s'affirmer en tant qu’Esméralda Dolorès dé la Cuenté épouse Duranton. Elle s’était battue pour tenir au mieux son rôle de mère et d'épouse, mais admettait que c'était bel et bien l’affection de Christian qui l'avait aidée à tenir bon. Humblement, elle reconnaissait que les encouragements quotidiens de son mari lui avaient permis de ne pas flancher et de ne pas faire de grosses bêtises. Oh, combien elle adorait se voir dans les yeux de son mari. Elle y voyait une femme belle, désirable et respectable. À ses côtés, " l'éternel bonheur et l'espérance " étaient devenus possibles. Grâce à lui, elle s'était autorisée à croire à la promesse d'une vie douce et heureuse. Oui grâce à lui, elle y était arrivée. Et même si un reste de phobies et quelques déroutantes périodes de spleen avaient quelquefois troublé et assombri leur vie couple, ils avaient su cheminer ensemble et atténuer la casse. Sans affirmer qu'elle se sentait bien dans sa tête et dans sa peau, Esméralda avait gagné en assurance et obtenu une certaine paix intérieure. Grâce à Christian, elle avait savouré les périodes exempt de nuages noirs et apprécié les accalmies.

« Tout comme mon équilibre, mon bonheur était fragile, ruminait-elle fataliste. Il ne tenait qu'à un petit fil, nommé Christian. Sans lui, je me sens de nouveau méprisée et abandonnée... De retour en enfer... ».

Se souvenir de ce long travail pour prendre confiance en elle et s'apercevoir que finalement sans Christian, la vie lui échappait, découragea Esméralda. Elle pleura de plus belle avant d'hurler dans son coussin :

— Pourquoi continuer ? Je ne veux plus ! Je ne veux plus continuer ! »

Tandis qu'Esméralda se lamentait, un bruit au-dehors se fit entendre. Elle sortie la tête du coussin. Puis, désorientée et confuse, elle se demanda qu'elle heure il pouvait être et regarda vers la télé grand écran qui affichait minuit trente.

La bouche pâteuse, les lèvres sèches, une grosse migraine et la nausée, Esméralda appuya ses doigts sur ses tempes dans un mouvement circulaire. Doucement, elle quitta le canapé et s'avança dans la pièce. Il faisait froid. Elle remonta son peignoir sur sa nuque et heurta son verre d'alcool laissé par terre. Le roulement du verre sur le carrelage résonna dans sa tête. Elle posa une main sur son front puis d'un pas lent, elle s'approcha de l’halogène du salon. Accroupie, elle programma l'interrupteur sur " lumière basse et tamisée " et retourna s’étendre sur son canapé en cuir.

Paupières closes, Esméralda Dolorès se reconnecta à la petite Esméralda à peine âgée de cinq ans. Elle se rattacha à la petite fille assassinée dans son lit d'innocence, dont le père s'était servi pour satisfaire sa perversion. Des tous premiers abus, Esméralda n'avait que de minces souvenirs. Toutefois, elle se rappelait qu'au commencement son père lui chuchotait des mots sucrés et se permettait quelques attouchements qu'il baptisait " Les petits guilis ". Il l'assurait que c'étaient des gestes paternels et affectueux. Des gestes tout-à-fait normaux mais qu'il disait très spéciaux. " Tous les papas ne sont pas aussi gentils avec leur fille chérie ", lui murmurait-il au creux de l'oreille. " C'est une chance pour toi d'avoir un papa aussi attentionné qui s'occupe aussi bien de ton petit corps. C'est pourquoi, tu dois jurer de ne le répéter à personne... " Il avait rajouté que c'était pour jouer et que c'était bien. Au fur et à mesure des nuits, son père avait délaissé "Les petits guilis" pour le jeu appelé "Les secrets de l'amour ". Ainsi, à force de la leurrer, de la manipuler, de l'attendrir, de lui mentir et de la cajoler faussement, son père avait fini par cambrioler sa grotte mystérieuse en prétextant qu'il était juste et bon qu’il la déflore le premier.

— Mon père, ma mère, Christian, les enfants... se disait-elle à voix basse. Finalement, on m'a toujours trompée, rejetée, blessée... abusée... . La maltraitance est mon lot ! Saleté de pourriture de destin !

Esméralda se questionnait. Elle se demanda s'il était bon qu'elle s'attardât ainsi sur son enfance traumatique, puis s'assura d'un " Non ! " franc, sonore et direct. Esméralda savait pertinemment que de songer au passé ne faisait que raviver sa douleur et la déprimer davantage. Et pourtant... Pourtant, à chaque fois qu'elle était au plus mal, spontanément et systématiquement, elle se repassait le film. Pourquoi ces retours machinaux sur l'horreur ? Était-ce pour y trouver des réponses et réduire sa souffrance ? Ou bien était-ce un processus de destruction ? Histoire de souffrir encore plus... Esméralda n'en avait aucune idée mais reproduisait toujours le même schéma de supplices.

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