Chapitre 2

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Deuxième chapitre...

Le pas lourd, Esméralda retourna dans le salon. Elle se laissa tomber dans le canapé en écrasant la boite de mouchoirs en papier. Les yeux vides, dirigés vers le plafond et la tête sur les oreillers mouillés de pleurs, elle fit un retour en arrière sur son passé et pensa que sa vie n'était qu'un vaste gâchis.

— Maudit destin, déplora-t-elle à mi-voix. Même avec mes enfants, j’ai tout raté… Je n'ai pas su faire… J'ai tout fichu en l'air...

À l'évocation de Maxime et Alexandra, ses deux enfants de vingt et vingt-trois ans, Esméralda eut un pincement au cœur. Elle devait bien l'admettre, elle avait lamentablement échoué. Son foyer ne ressemblait pas à ses rêves de famille idéale. Et même si toutes ces années, elle s’était voilée la face et naïvement illusionnée ; même si longtemps, elle avait cru ne pas être une aussi mauvaise mère que ça ; même si au fond... elle savait... elle admettait avec douleur avoir raté la mission. Elle l'avait compris quand ses enfants avaient quitté le nid à peine leur majorité acquise et avaient quasiment rompu les ponts. Oui, elle devait se rendre à l’évidence. Depuis leur départ, Maxime et Alexandra s'étaient coupés d'elle. Rarement, ils prenaient de ses nouvelles et rarement, ils venaient à la maison. En prime, le peu de fois où ils participaient à des repas de famille, ils débarquaient toujours avec des quantités de reproches à lui faire. C'était elle et pas Christian qui était visé. Toujours. Systématiquement. Elle n'était jamais assez ceci, jamais assez cela. Ou bien alors elle s'y prenait mal, ne comprenait rien à rien, exagérait tout et tout le temps, etc. Bref, rien n'allait jamais ! Elle avait l'impression d'être leur plus grand ennemi et pourtant elle les aimait. Elle en était affligée, mais que faire ? C'était trop tard... Trop tard de toute façon...

— Christian faisait le tampon entre moi et les enfants, reconnut-elle à mi-voix. Il faisait le gendarme dès qu'ils me rabaissaient trop ou s'associaient pour me condamner. Maintenant qu’il n’est plus là, qui me protégera d'eux ? Qui prendra ma défense quand du haut de leur arrogance imbécile et immature, ils me jugeront encore et encore jusqu'à me déchirer davantage le cœur ? Qui leur expliquera que leur vision des choses est égoïste et étriquée ? Qui leur demandera d'être indulgents avec moi ? Qui l'exigera en tapant du poing sur la table ? Qui viendra à mon secours dorénavant ? Christian savait le faire... Je leur en veux ! Je leur en veux à tous ! Je leur en veux d'être aussi durs avec moi ! Si méchants. Ils m'accusent de ne pas avoir été une bonne mère. Me répètent que vingt ans durant, je les ai saoulés avec mon passé foireux et que c'est à cause de mes plaintes continuelles qu'ils sont partis de la maison. Mais ce n'est pas juste ! J'ai essayé. J'ai essayé de faire tout mon possible avec eux. Oui, malgré mes déchirures, j'ai lutté pour bien les élever et leur donner le nécessaire. Seulement, j'ai fait avec ce que j'avais... et j'avais peu... si peu... Se rendent-ils compte au moins que j'ai manqué de tout ? Que moi, je n'ai jamais reçu ni amour, ni respect, ni considération, ni le moindre " je t'aime " de la part de mes parents. Jamais ! En ont-ils conscience ? Mmm... Évidemment que non ! C'est d'abord eux et eux seuls qu'ils regardent ! Ah ça, leur petit nombril ! Oh et sans nul doute qu'en apprenant la désertion de leur père, ils vont me dire que c’est de ma faute et que lui aurait bien mérité une médaille pour m’avoir supportée aussi longtemps. Ils vont rajouter qu’il a dû en avoir ras-le-bol de mes crises de folie et de mes perpétuelles jérémiades, et que je n'ai à m'en prendre qu'à moi-même s’il m'a laissée tomber pour une autre. Oh... tels que je les connais, ils me balanceront un truc du genre : « Et maintenant débrouille-toi ! Viens pas pleurer dans nos baskets ! Tsss... Et de toute manière, viendront-ils encore me voir ? »

Tournée sur le côté, Esméralda grommela :

— Chiotte ! Vie de merde ! Moi qui croyais que ma vie de femme rachèterait ma pourriture d’enfance et me l'a ferait oublier ! Moi qui croyais que… que d'être une mère et d'avoir une famille rien qu'à moi, ça effacerait toutes mes blessures... Bobards ! Quelle merde !

Esméralda tira un mouchoir coincé dans le bas de son dos et se moucha bruyamment.

— Putain de saleté de merde ! continua-t-elle. Tu as vu Christian ? Hein ? Tu as vu dans quel merdier tu me laisses ? Sur l’épaule de qui je vais pleurer quand mes angoisses seront trop fortes ? Qui prendra dans ses bras les soirs de gros cafards ? Qui caressera mes cheveux pour me calmer ? Qui séchera mes larmes ? Hein ? Qui, tu peux me le dire ! Qui ? Putain de saleté de merde ! Christian, tu n'avais pas le droit de te barrer comme ça ! Non, tu n'avais pas le droit !

Silence...

— J’ai peur… J'ai peur de mourir… J'ai peur de me fiche par la fenêtre plutôt que de vouloir continuer à vivre... Qui m'empêchera de le faire ?

Les genoux sur la poitrine et l’oreiller sur sa bouche, Esméralda sanglota sur son malheur jusqu’à s’endormir d’épuisement. Dans le salon à l’odeur de renfermé, trois heures passèrent, longues et silencieuses. Et quand Esméralda émergea, ses yeux mouillés balayèrent le sol où s'amassaient des lettres et des photos qu'elle avait de rage, déchirées ou chiffonnées. Son regard désabusé flottait sur les souvenirs amoncelés retraçant l'histoire d'un temps disparu pour toujours. Parmi les sourires entaillés et les souvenirs froissés, une bouteille de whisky. Elle avait roulé au pied du canapé et Esméralda l'a récupéra d'un bras lourd. À proximité, une photo de mariage qu'elle serra entre le pouce et l'index.

« Quel beau moment, se disait-elle en contemplant la joie sur leur visage de jeunes mariés. Nous étions si amoureux tous les deux. À cette époque, pas un instant je n'aurais pu penser que tu me quitterais. Pas un instant je n'aurais pu présager d'une rupture aussi moche. »

Esméralda examinait le cliché quand son œil se fit soupçonneux. À y regarder de plus près, elle estima que le sourire de son mari ne semblait pas très naturel et discerna dans son regard un semblant d’hypocrisie.

« Tsss... Voilà bien la vanité de l’homme dans toute sa dégueulasserie ! s'irrita-t-elle. Voilà bien l’image du traître en puissance ! Celui qui pensait peut-être déjà davantage à lui plutôt qu’à nous ! Était-il sincère quand il a juré s'être marié pour le meilleur et pour le pire ? Putain de crise de la quarantaine qu'il m'a pondue à cinquante ans ! Putain de démon de midi ! Partir sans se retourner pour vivre une passion amoureuse ! Une vulgaire passade ! Quelle connerie ! Je trouve ça nul, dégueulasse et gerbant ! Enfin, ce qui me rassure c'est que sa jeunette va elle aussi devoir supporter sa mauvaise humeur et ses chaussettes qui schlinguent ! »

Tournée vers les fantômes du passé qu'elle voyait comme un tas de détritus, Esméralda songea que sans Christian à ses côtés, elle ne parviendrait pas à surmonter cette rupture. Victime d’une nouvelle injustice, elle se compara à tout ce qui était déchiré, piétiné, froissé et gisant sur le sol. Elle se dit qu'elle n'était plus bonne à rien ! Inutile ! Elle se sentait méprisée et rejetée, pareille à un objet sans importance. Elle se voyait comme un accessoire obsolète, remplacé par un autre plus fonctionnel et plus récent.

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