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Une année plus tard, Anna West réussit le pari de créer un sérum capable de régénérer n’importe quel tissu vivant. Vint alors le moment, tant attendu pour le couple de scientifiques, de dévoiler leur découverte lors d’un congrès international sur la santé à New York. Leur démonstration sur une peau nécrosée qui cicatrisa en quelques minutes provoqua un silence oppressant dans la grande salle de conférence. Anna West jeta un coup d’œil inquiet à son mari, elle appréhendait la réaction des firmes pharmaceutiques. Il était en effet bien plus lucratif de vendre des médicaments à un patient durant des années plutôt qu’un sérum capable d’éradiquer la maladie en une seule dose. Le doute commença à l’envahir. Son mari semblait, lui, plutôt confiant ; il bombait le torse, le sourire figé dans l’attente d’une réaction quelconque. Anna s’adoucit en l’observant. Elle le trouvait beaucoup plus séduisant depuis que ses tempes grisonnaient. Un détail à la commissure de ses lèvres, pourtant, déclencha une onde de panique en elle. Elle plissa les yeux. La peau de son mari, marquée par les premières rides, se mit à s’affaisser avec lenteur le long de son visage comme de la cire chaude autour d’une bougie. Anna hoqueta d’horreur. Robert se tourna vers elle, l’air interrogateur. Des lambeaux de peau dévoilèrent la chair et les os. La biologiste ferma les yeux dans un réflexe protecteur. Au même moment, une salve d’applaudissements parcourut l’auditoire et Anna émergea de sa torpeur. La peau de son mari avait repris son apparence normale. Personne, dans le public, ne semblait avoir remarqué le malaise d’Anna West ni la scène à laquelle elle venait d’assister.

— Tout va bien, ma chérie ? murmura Robert sans se départir de son sourire.

— J’…j’ai cru un instant que… ce n’est rien, la fatigue sans doute.

Le manque de sommeil était la seule explication possible à cette sinistre hallucination.

Ce congrès fut le point de départ de la gloire tant désirée. Un enchaînement médiatique déferla dans leur vie : conférences de presse, interviews, articles dans les meilleures revues scientifiques, en passant par des propositions de contrat avec de grands laboratoires et de riches bienfaiteurs intéressés par le produit miraculeux. En quelques mois à peine, Elyranthe fit le tour de la planète et devint le must-have. Cette fleur allait changer la face du monde.

Deux ans plus tard, Anna et Robert West obtinrent la consécration ultime, leur rêve se réalisait enfin : nominés pour le prix Nobel de physiologie ou médecine en 1960, il leur fut décerné sans surprise. Devant la communauté scientifique de l'Institut Karolinska à Stockholm, Anna West ne cachait pas son émoi, ni sa fierté. L’assemblée, majoritairement constituée d’hommes à son grand désarroi, dardait sur elle des yeux parfois envieux voire dédaigneux, parfois admiratifs. Le discours dans les mains, elle s’installa au pupitre avec assurance. Le roi de Suède lui serra la main et lui remit son prix. Émue, elle se tourna vers l’assemblée tandis que les flashes des appareils photos crépitèrent.

— Ralentir le vieillissement et la dégénérescence cellulaire est le plus vieux désir de l’humanité, discourut-elle. L’immortalité n’était qu’un fantasme. Aujourd’hui pourtant, Elyranthe nous l’offre sur un plateau d’argent. Je dédie ce prix Nobel à mon grand-père, Harry Brainford, et mon père, Victor Brainford, sans qui rien n’aurait été possible. J’ai réalisé leur rêve, que je considérais chimérique il y a quelques années encore, à l’aide de Robert West, mon époux et éminent botaniste qui regrette de n’avoir pu être présent en ce jour très particulier pour l’avancée scientifique. Le monde s’apprête à…

Anna s’interrompit. Elle coula un regard apeuré sur l’auditoire qui la fixait avec attention, ses mains devinrent moites et son rythme cardiaque accéléra.

— Tout va bien, madame West ? s’inquiéta le roi à ses côtés.

Anna n’osa pas le regarder. Elle savait ce qu’elle verrait : un visage à la peau décomposée, laissant apparaître les os et des yeux révulsés, prêts à sortir de leurs orbites. Comme ceux qu’elle apercevait devant elle. Elle essaya d’ignorer ses macabres visions et se concentra sur un point dans le vide.

— Oui, ce n’est rien, reprit-elle d’une voix chevrotante. Je disais donc que le monde s’apprête à changer.

« Ne dévoile pas ta peur, ne les fixe pas. Ce n’est qu’un effet secondaire de la fatigue que tu ressens. » pensa-t-elle pour se rassurer, en vain.

— Nous sommes conscients de l’importance capitale d’Elyranthe et des transformations qu’elle amènera dans notre quotidien. Ainsi, nous espérons que le sérum servira pour le bien commun de tous et non pas dans le seul but d’enrichir encore…

Anna s’interrompit à nouveau. Au fond de la salle, une silhouette familière lui adressa un petit signe de la main. Son cœur rata un battement, elle froissa, dans un tic nerveux, le discours dans sa main.

— Père ? s’écria-t-elle devant une assemblée déconcertée.

Elle descendit en vitesse de l’estrade sans s’attarder sur les messes basses acerbes proférées à son encontre.

— Est-elle folle ?

— C’est peut-être un effet secondaire de l’utilisation du sérum, vous avez vu sa peau lisse ? Nul doute qu’elle l’utilise.

— C’est son mari qui aurait dû venir…

Anna West se contenta de jeter des regards noirs sur l’assistance avant de se précipiter vers la porte, là où la silhouette avait disparu. Ses pas résonnèrent dans le long couloir. Vide. Aucune trace de son père.

— Suis-je en train de perdre la tête ? se demanda Anna qui enfouit son visage dans ses mains, des larmes invisibles inondant son cœur hanté par la culpabilité.

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