4.

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— Anna, Anna

Anna ouvrit les yeux, une voix chère à son cœur l’avait tirée de son sommeil. Ou bien était-ce dans ses rêves ?

— Papa ? murmura-t-elle en étirant ses membres douloureux et raidis par l’humidité glaciale.

La nuit était tombée sur la jungle guatémaltèque. Anna frissonna. Si, à la surface, la température avoisinait les 18 degrés, sous terre, elle chutait considérablement. Dans son sac, elle récupéra une chemise qu’elle enfila par-dessus la sienne. Maigre protection. Elle attrapa ensuite le briquet de Robert et s’en servit pour tenter de se réchauffer. Elle jeta un coup d’œil vers le trou ouvert sur un firmament scintillant entrecoupé d’arbres qui se balançaient dans le vent. Les secours n’arriveraient certainement pas avant l’aube. Son regard se déplaça ensuite vers la galerie. Anna plissa les yeux. Au loin, une lueur rougeoyante dansait sur les murs. Intriguée, elle n’hésita qu’une seconde, elle avait largement le temps d’explorer les lieux avant que son mari ne revienne la chercher.

— Papa ? répéta-t-elle en s’avançant avec lenteur et difficulté dans le tunnel, le briquet tenu droit devant elle. Sa jambe blessée lui arrachait une grimace à chacun de ses pas.

Elle secoua la tête, son père ne pouvait pas être ici. Impossible ? Anna commença à en douter. S’il était lui aussi tombé dans ce trou, il avait très bien pu trouver une sortie de l’autre côté. Un craquement résonna soudain dans la cavité. Anna se baissa et saisit une paire de lunettes dont les verres étaient brisés. Elle étouffa un cri en les reconnaissant. Elle venait d’obtenir la réponse à ses questionnements. Elle accéléra l’allure, la douleur à sa cheville bientôt remplacée par l’espoir de revoir son père.

— Père ! J’arrive !

Elle vira à droite, les parois de pierre étaient recouvertes d’épaisses racines qui laissaient entrapercevoir des bas-reliefs très anciens. Anna, essoufflée, posa sa main à l’angle du mur pour reprendre sa respiration, mais la retira d’un geste vif. Quelque chose l’avait piqué au doigt et une goutte de sang perlait. Elle observa en détail les racines sur les murs et remarqua une multitude d’épines minuscules réparties sur toute leur surface.

— Saleté de plantes, maugréa-t-elle en suçant la petite entaille.

Elle reprit sa course tant bien que mal en suivant le tunnel, là où la lumière s’intensifiait de plus en plus, et elle déboucha enfin dans une immense cavité qui laissa la jeune femme bouche bée. Anna West tomba à genoux et admira, des larmes plein les yeux, la belle rougeoyante. La fleur des dieux. Elyranthus Candentis. Elyranthe.

Anna West resta en pamoison un temps indéfini devant un tel présent de la nature. Elyranthe avait été le rêve de son grand-père, de son père, puis celui de Robert. Pas le sien. Au contraire. Pourtant, quelque chose venait de changer chez la jeune femme. Son cœur, protégé jusqu’alors par une épaisse gangue d’amertume, se remit à battre au rythme de sa flamme intérieure, réactivée. Renaissance d’un organe à l’abandon. Si bien que, sa cuirasse, soumise à tant de passion fulgurante, éclata. La splendeur d’Elyranthe surpassait de loin tous les croquis esquissés grossièrement par son père dans son journal ou la faible petite fleur imaginée dans son esprit d’enfant. Elle trônait, reine en ces lieux, au milieu de ruines. Celles d’un ancien temple, oublié par le temps. Il émanait d'Elyranthe un harmonieux mariage entre la délicatesse d’une rose, la rondeur d’un arum, l’odeur exquise d’un jardin fleuri et la taille imposante d’un raffesia. Mais ce qui impressionnait le plus la biologiste fut l’indescriptible couleur rouge rubis étincelant du pistil central. Ses pétales ivoire irradiaient de lumière, effet accru par le rayon de l’astre lunaire qui filtrait par l’ouverture d’un autre puits au-dessus d’elle. Un trésor floral touché par la grâce de la lune.

Après de longues minutes contemplatives, Anna se redressa enfin à la recherche d’indices concernant son père, mais n’en trouva aucun. Elle remarqua une autre galerie située derrière la plante merveilleuse, malheureusement un éboulement en avait condamné l’entrée. La seule issue consistait à revenir sur ses pas. La scientifique oublia un instant son espoir déçu de revoir un jour son père vivant et se mit à rêver.

— Elyranthe, dans lequel de tes organes réside ton essence miraculeuse ? Ne t’en fais pas, nous prendrons soin de toi ma belle rougeoyante, dit-elle en s’approchant de la fleur.

Elle effleura la surface d’un pétale. Sa douceur lui rappelait la peau d’un nourrisson allié à la fragilité d’une aile de papillon. Anna finit par s’endormir à ses côtés, faisant fi du froid qui régnait. La perspective d’une renommée prochaine se dessinait sur son visage apaisé.

La lune acheva sa course nocturne et céda sa place aux premières lueurs de l’aube, dans un écrin de parme et d’or. Des cris lointains réveillèrent Anna en sursaut. Elle eut un moment de flottement embrumé au sein de son esprit somnolent, mais quand elle aperçut Elyranthe, ses souvenirs affluèrent à sa mémoire. La fleur avait refermé ses pétales autour d’elle en un cocon protecteur.

Elle éclot à la nuit tombée. Intéressant, pensa la biologiste.

— Anna ! Où es tu ? Annaaaaa !

La voix de son mari la tira de ses pensées. Robert ! Anna se releva et ramassa ses affaires à la hâte. La douleur à sa cheville atténuée, elle courut le plus vite possible vers l’endroit où elle était tombée.

— Je suis là, Robert ! cria-t-elle en débouchant sous le trou. Je l’ai trouvée !

Son mari, visiblement soulagé, arborait de grandes cernes violettes.La nuit avait manifestement été de courte durée pour lui.

— Ton père ?

Une once de tristesse embua les yeux d’Anna.

— Malheureusement, non. J’ai trouvé ses lunettes, mais aucune trace de lui. En revanche, j’ai découvert Elyranthe ! Elle est là-dessous. Il faut absolument que tu descendes !

— Tu… tu as réussi à la... tu es sûre qu’il s’agit bien d’elle ?

— Mais oui ! Certaine, répondit Anna, irritée.

— Mon dieu ! J’arrive tout de suite, le temps d’accrocher ça à un arbre, expliqua-t-il en faisant glisser de son bras une corde épaisse. J’ai dû retourner au village. Les indigènes me l’ont donnée, mais ont refusé de m’accompagner.

Une fois sous terre, Anna montra Elyranthe à Robert et lui décrivit sa beauté à la nuit tombée. Se posa ensuite la question du transport. Comment la ramener aux Etats-Unis sans lui causer de dommages irréversibles ?

— Elle est trop imposante et ne survivra pas au voyage, constata Robert.

Il observa la fleur avec minutie quelques minutes en s’attardant près des pétales extérieurs, à la limite des longues racines.

— Là, s’écria-t-il en désignant du doigt des excroissances. Je vais prélever ces boutures et nous recréerons cette plante chez nous, dans le laboratoire.

Il sortit ensuite un couteau de son sac qu’il stérilisa à la flamme du briquet et découpa soigneusement quelques fragments d’Elyranthe. Il ouvrit ensuite une boîte en verre, prévue en cas de trouvaille végétale intéressante, dans laquelle se trouvait deux pommes de terre. Il les coupa en deux et piqua les boutures à l’intérieur de la chair.

— Cela devrait suffire à maintenir une bonne hydratation, mais nous devons nous hâter de rentrer.

— Mais… et mon père ?

— Honnêtement, je ne crois pas qu’il soit encore de ce monde. Désolé, mon colibri, je suis dur, mais nous avons la chance de réaliser son rêve: accéder à l'immortalité !

Anna se décomposa. Elle savait que Robert avait raison, mais avait préféré s’accrocher à une espérance illusoire. Elyranthe, quant à elle, était bien réelle. La mort dans l’âme, elle dit adieu à l’être qui lui manquait tant et se concentra sur son avenir.


Le retour se passa bien plus facilement qu’à l’aller. Arrivés à Charleston, dans leur Virginie occidentale, les deux époux consacrèrent plusieurs mois, dans le plus grand secret, à la sauvegarde et à la croissance d’Elyranthe. La première bouture déboucha sur un échec, mais en modifiant quelques paramètres, Robert parvint, au prix de longues nuits d’insomnie, à recréer la fleur d’immortalité. Une fois éclose, elle dévoila, comme la plante mère avant elle, toute sa magnificence au clair de lune.

— Maintenant, c’est à moi de jouer, déclara Anna West, les traits tirés. Elle se sentait pourtant prête à tous les sacrifices, nécessaires dans toutes avancées majeures.

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