Rose

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Elle était amoureuse.

Elle était amoureuse depuis qu’elle l’avait vu débarquer dans sa vie au début de l’été. Il était descendu de l’autocar, sur le bord de la route, un jour de canicule.

Elle bronzait sur la terrasse, entre la maison au crépi lézardé et le petit mur d’enceinte qui bordait la route. Elle écoutait les cigales en se dorant la peau sur son transat aux couleurs fanées.

Quand l’autocar s’était arrêté, elle avait ouvert un oeil. Elle aurait pu réajuster le soutien gorge dégrafé qui flottait sans honte sur ses seins et n’était là finalement que pour éviter une guerre civile au village. Pour elle, il n’y avait pas de raison que les bedaines couvertes de poils brillants eussent le droit de se montrer en public tandis que les poitrine des femmes, et spécialement celles qui faisaient fantasmer, ne pussent en faire autant.

Il observa les quelques maisons alentours tandis que l’autocar repartait en exhalant.

Elle écouta les pas dans les graviers, sans prendre la peine de bouger. Enfin, le visiteur fut à sa hauteur.

Il portait un chapeau brun, une chemise blanche au col entrouvert, une cravate à peine dénouée. La tenue légère de la jeune femme ne semblait pas lui faire d’effet. Il venait d’ailleurs, sans doute.

Elle se redressa un peu, ajusta le large chapeau qui lui servait d’ombrelle du bout de son index, puis, en prenant son temps, poussa ses grandes lunettes noires le long de son nez du même doigt expert. À ce moment-là elle lui jeta un regard bref, puis feignit de l’ignorer.

L’été était chaud. Le jour, il fallait tout calfeutrer pour conserver la fragile fraîcheur arrachée à la nuit. Avant l’aube, les fenêtres étaient rabattues, les portes et volets se fermaient, on tirait les rideaux. La chaleur tombait alors sur les toits des maisons, dans les champs, sur les routes, sur les gens, et saupoudrait d’écume salée tout ce qui vivait: hommes, femmes et bêtes.

Elle, elle naviguait dans cet enfer comme un poisson dans l’eau. La météo exceptionnelle de l’été 1976 lui avait donné le droit de ne porter que des robes légères, des culottes et des hauts minuscules sur sa nudité.

Au village, on cédait à l’indécence les uns après les autres, et bientôt même la boulangère vendaient ses miches sans soutien gorge, le coiffeur à son tour frisait de haut en bas, les fermières se rasaient la toison. La femme du maire, bigote comme tout, tentait d’échapper à la luxure en se barricadant dans l’église où le curé, à n’en point douter, confessait les badauds le cul à l’air.

Quant à elle, elle avait rencontré un homme qui venait de la ville, un habitué des jolies femmes et des célébrités, un homme de goût. Ce qu’il faisait au village n’avait pas d’importance.

Je partirai avec lui à la fin de l’été, pensa-t-elle en scrutant son corps devant la glace, éprise d’elle-même et de sa féminité.

Il serait fou d’elle et elle de lui, et ils feraient l’amour dans Paris, au bord de la Seine, dans un appartement de luxe, dans les salons, et elle ne porterait plus rien d’autre que des colliers de perles dont elle imaginait déjà le poids sur sa gorge.

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