Un miracle pour Noël

4 minutes de lecture

3 novembre 2018 – 21 mois avant toi

Je suis pétrifiée sur la cuvette des toilettes, le test devant mes yeux.

Deux barres.

Après quatre jours de retard sur mon cycle, je me suis décidée à le faire simplement parce qu’il traînait au fond de l’armoire.

Impossible. Quelque chose à merdé. J’ai peut-être bu un truc qui ne fallait pas.

Une bouffée d’angoisse me noue l’estomac. Je dois en avoir le cœur net, alors je me lève tant bien que mal et je m’habille en hâte pour filer à la pharmacie.

Au retour, je remonte illico. Marc me demande ce qui ne va pas et je lui annonce la nouvelle comme si je lui avais signifié que j’étais allée chercher du pain. Je l’entends jurer alors que je referme la porte.

J’ai pris le test le plus cher du rayon : électronique, ultra-sensible, et surtout impossible à mal interpréter. Celui qu’on réserve d’habitude pour les grandes occasions du genre : « Oui, mais là j’ai quand même les seins bien tendus, les quatre derniers étaient sûrement des faux négatifs ». Bref, celui qui ne laisse aucune place au doute.

Les secondes d’attente sont interminables. Le petit écran clignote. Je ne le lâche pas des yeux, comme s’il était capable de s’échapper de ma main.

Un plus bleu apparaît enfin, puis juste après la mention 1-2 se. Mon cerveau freeze aussitôt.

Une semaine.

Soit, exactement le moment où j’étais chez le magnétiseur. Avec Marc, nous avions eu un rapport la veille de mon rendez-vous.

Je suis sous le choc. Je n’arrive pas à y croire, partagée entre l’envie de rire, de pleurer et de suffoquer en même temps. Les émotions se mélangent dans ma poitrine comme un composé chimique sur le point d’exploser.

Au bout de quatre ans de déceptions, de tests d’ovulation, de calculs de cycles et de symptômes fictifs, j’avais accepté mon sort et décidé d’abandonner tout espoir. Après sept ans, le deuil était digéré depuis bien longtemps. Nous avions trouvé un équilibre à trois. On était heureux.

Notre envie d’être parents avait été un parcours du combattant dès le départ. Quand on se lance dans ce genre de projet, on s’imagine naïvement que ça va prendre un ou deux mois. Puis le temps s’allonge, s’allonge encore, jusqu’à ce qu’on comprenne que ça ne sera pas aussi facile que prévu. Je pense que c’est difficile pour le conjoint, mais pour la femme qui essaie désespérément d’avoir un enfant, il y a quelque chose en plus. La sensation d’être différente, incomplète, voire déficiente. Tout du moins c’était mon cas.

Je sais bien que la valeur d’une femme ne se résume pas à sa capacité à pondre des gamins. Mais au-delà de la pression sociale, il y a la pression qu’on se met à soi-même. On ne peut pas s’empêcher de se comparer aux autres, de se sentir frustrée.

Je me demandais souvent si j’avais fait quelque chose de mal pour mériter ça. Si j’avais fâché quelqu’un dans une autre vie au point qu’elle m’ait maudite. Dans ce genre de situation, on cherche toutes les explications possibles, même les plus farfelues.

Au bout du compte, nous nous étions battus pour avoir notre fils, à coup de seringues d’hormones et de rendez-vous chez les spécialistes. Et quand enfin notre petit miracle était né, je m’étais estimée chanceuse. D’autres couples n’avaient pas notre veine, même après des années de traitements.

Nous avions décidé de ne pas tout recommencer pour en avoir un deuxième. Parce que quand ça marche une fois, il faut repartir de zéro.

J’avais encore en tête les multiples analyses, les prises de sang, la contribution de Monsieur dans un petit flacon et les piqûres dans la cuisse. Et bien pire que cela, le test des trompes. Celui où on te clipse les ovaires pour injecter un produit dans ton corps histoire de savoir si ta tuyauterie interne fonctionne.

Ça fait mal ? avais-je demandé nerveusement ce jour-là. Le médecin m’avait répondu en toute décontraction derrière mes jambes écartées : ça dépend. Si elles sont bouchées, oui, certaines femmes hurlent parfois. Un vrai bonheur à expérimenter. Je crois d’ailleurs que ma pudeur a claqué la porte il y a un moment déjà. On est un peu fâchées elle et moi.

Revivre tout ça, non merci. Nous n’en avions plus la force. J’admire les couples qui subissent ces traitements plus longtemps. Et je comprends aussi pourquoi certains ne tiennent pas.

Marc et moi nous sommes dits que si on devait avoir un deuxième enfant, il se débrouillerait pour venir naturellement. Mais ce deuxième n’a jamais jugé bon de faire son apparition… jusqu’à maintenant. Sept ans après.

Marc toque à la porte des toilettes avant de passer la tête par l’entrebâillement. Il constate ma mine ahurie et réalise tout de suite.

—Oh non ! lâche-t-il.

Je ne saisis pas si c’est encore son humour cynique ou s’il est sérieux. C’est toujours difficile de comprendre ce qu’il pense vraiment. Mais sur le coup, je me sens blessée. Parce que moi-même j’ai des doutes, et que j’aurais préféré qu’il crie de joie pour me rassurer.

J’ai peur. Je n’arrive pas à savoir si après si longtemps j’ai envie d’être à nouveau maman. De toute manière, je n’ai plus le choix. La culpabilité me ronge, l’angoisse me serre le cœur, mais derrière tout ça il y a une petite lumière qui me dit qu’un miracle vient d’avoir lieu. Comme dans la chanson de Stéphane Eicher, j’ai fait un bébé pour Noël.

Annotations

Vous aimez lire littlemoon10 ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0