La vie ne fait pas de cadeaux

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1er décembre 2018 - 20 mois avant toi

J’entends la sonnette de l’entrée retentir et mon fils courir pour ouvrir la porte. Mes parents sont enfin arrivés. Je suis soulagée qu’ils aient pu venir si vite.

Une nouvelle contraction me tord de douleur et je me plie en deux pour l’accueillir. Elles sont de plus en plus fortes.

J’ai expliqué à mon petit garçon que j’avais juste très mal au ventre et qu’il allait passer le week-end chez ses grands-parents. Il y avait de l’inquiétude dans son regard, mais j’ai tout fait pour le rassurer. Il n’était pas au courant pour le bébé et j’ai jugé que ça ne servirait à rien de lui apprendre la nouvelle maintenant. Autant le préserver d’une déception.

Quand les premières traces de sang sont apparues, je me suis immédiatement rendue à l’hôpital en panique. Étant déjà passée par là, je savais ce que cela pouvait signifier. Mais durant l’échographie, le cœur du fœtus battait encore. J’avais aussitôt appelé Natacha, ma meilleure amie et j’avais pleuré de soulagement devant la cafétéria. Elle m’avait dit en rigolant que je devrais donner un nom de guerrier à ce futur enfant et on s’était arrêtées sur Xenia ou Hercule.

Malheureusement, les contractions étaient survenues deux jours plus tard et après un nouvel examen, l’infirmier m’avait annoncé qu’il n’y avait plus d’activité cardiaque. Il était déjà presque parti.

Nous sommes le premier jour de l’avent et dans quelques heures j’aurai perdu mon bébé. Le rêve a été aussi bref qu’un battement de cils.

Je sors de la salle de bain en me tenant le ventre. Ma maman affiche un sourire bienveillant, mais il n’atteint pas ses yeux. Elle ne dit rien, mais son regard vaut mille mots. Elle sait ce que j’endure. Quand elle était jeune, elle l’a vécu deux fois.

On dit qu’une grossesse sur cinq se termine ainsi. Du moins, on l’apprend quand ça nous arrive, comme si ça pouvait justifier la souffrance qu’on subit. Est-ce que cette information est censée nous consoler ? Pourquoi nous ? Pourquoi sommes-nous dans les mauvaises statistiques ? J’ai l’impression de faire partie d’un club secret et morbide.

Première règle du club : tu ne dois pas parler du club. Deuxième règle du club : oublie que tu as été maman, même si c’était bref. Troisième règle du club : tourne la page et arrête de te plaindre. Après tout « tu es encore jeune », ou « le prochain effacera ta peine ».

Non, je le vois encore aujourd’hui dans le regard de ma mère. On n’oublie jamais. Mais il n’y a que quand on passe par là qu’on peut le comprendre.

Ma première fausse-couche a été un véritable traumatisme, parce qu’on ne m’avait pas prévenue que ça pouvait arriver. Avant même d’avoir le ventre rond, on se projette avec l’image d’un petit garçon ou d’une petite fille. On le rêve, on le désire. Et lorsqu’on le perd, tout s’écroule d’un seul coup. Ce n’est pas le fœtus qui nous manque, mais toute la vie qu’on imaginait avec notre enfant. Une partie de nous-mêmes s’en va avec lui. Et ça, l’entourage a de la peine à le comprendre.

La seconde fausse couche a été plus horrible encore, car j’avais l’impression que le sort s’acharnait sur moi. J’ai pensé que j’étais un monstre, que j’étais incapable de porter un enfant. Je n’ai pas seulement fait le deuil du bébé cette fois-là, mais de tous les autres qui pourraient suivre. J’ai cru que je ne deviendrais jamais maman. Au point que quand j’ai été enceinte de mon petit garçon, j’ai tout vécu à l’extérieur de mon corps, parce qu’une autre déception aurait été impossible à supporter. Jusqu’à l’accouchement et même après, j’étais persuadée que j’allais le perdre. Dans le fond, je ne méritais peut-être pas de porter la vie.

C’est un peu ce que je ressens en ce moment. Si j’avais été plus enthousiaste à l’idée d’accueillir ce petit être après tant d’années, est-ce qu’il serait resté jusqu’au bout ? La culpabilité de me serre le cœur.

J’embrasse mon fils pour lui dire au revoir. Ma mère me serre fort dans ses bras et je lui dis que tout va bien se passer.

Cette fois-ci, j’ai décidé d’être consciente quand mon bébé partira. Mon corps pourra réaliser ce qui lui arrive et faire son deuil. Les deux premières fois, j’ai été endormie pour un curetage et je n’oublierai jamais la sensation que j’ai eue au réveil. Cette impression de vide intense au fond de moi, le sentiment qu’on m’avait volé quelque chose. Psychologiquement, c’est ça qui a été le plus dur à vivre. Je préfère mille fois ressentir la douleur des contractions, saigner abondamment et enfin voir partir la vie qui est restée quelques semaines dans mon ventre. Paradoxalement, ce sera moins difficile à subir.

****

Ça y est, elle n’est plus là, ma petite bénédiction divine. Je devrais être ravagée par le chagrin, mais étrangement je me sens sereine. Je crois aux signes du destin et j’ai vécu cette grossesse comme cadeau que la vie m’a offert. Expérimenter une dernière fois cette sensation de bonheur, ce shoot d’hormones qui nous rend différentes et à la fois entières durant quelques mois. Je suis reconnaissante et heureuse d’avoir pu toucher du bout des doigts ce rêve inaccessible avant l’ultime sommeil de mon utérus. S’il me faut sept ans pour tomber enceinte, je n’aurai plus l’âge la prochaine fois. C’est comme ça et je dois l’accepter.

Certains disent que les fausses couches sont des âmes qui souhaitaient expérimenter une vie et qui l’ont jugée trop difficile pour elles. D’autres que les anges élèvent ces enfants jusqu’à ce qu’on les rejoigne dans l’au-delà. Dans un cas comme dans l’autre, je les retrouverai peut-être. Maelys, Gabriel et maintenant Xenia.

Elles ont chacune un prénom parce que je les ai aimés. Mais personne ne le saura jamais.

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