Chapitre 23

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Une CM – comme le désigne les Trappeurs – ne doit être en aucun cas approchée par de simples civils ! S’il est raisonnable d’affirmer qu’elles soient toutes dotées d’intelligence, il ne faut pas oublier que même les plus savants des animaux peuvent montrer leurs crocs. Comment on reconnaît une CM ? Des compétences hors normes. Il est vrai que des sens surdéveloppés sont difficiles à percevoir, cependant, tout ce qui peut vous paraître louche – des objets qui se déplacent, de la glace ou du feu surgissant de nulle part – peuvent vous mettre la puce à l’oreille. Néanmoins, tout ceci est très beau, mais très difficile à vérifier sans utiliser la force brute. Si vous voulez un bon conseil pour débusquer une CM cachée parmi nous, l’apparence reste, selon moi, ce qu’il y a de plus déterminant. C’est très simple, ils n’ont rien en commun avec les humains. Des peaux de couleurs extravagantes, des oreilles aux formes absurdes, des griffes, des crocs, de la fourrure ! Imaginez si on ne pouvait même pas s’appuyer dessus, s’ils nous ressemblaient en tout point, ce serait l’anarchie : le Conseil Continental ne pourrait pas garantir la sécurité de tous, ô pauvres et faibles humains que nous sommes ! Alors, croyez-moi quand je vous dis de vous fier qu’à vos yeux.

Extrait d’une interview de Charles Gossman à la radio SPELL


- Merci encore.

Ma tête s’incline légèrement devant tant de générosité.

- Mais ce n’est rien voyons. À peine des broutilles.

Un nouveau matin, une nouvelle journée. Nous nous tenons dans le hall d’entrée de « Chez Martha et Luther ». Derrière les rideaux à demi-tirés, on ne devine que la nuit noire. Le Soleil ne s’est pas encore levé. Rien qu’à l’idée de sortir, j’en tremble d’avance. Le temps était pourtant encore doux hier, mais il semblerait que le cycle des saisons nous ait rattrapées. Les températures chutent, on découvre les premières gelées. L’hiver se promet d’être rude aux abords de la Muraille.

Martha, elle, semble s’y être déjà préparée. Ou plutôt devrais-je dire, elle semble s’y être préparée pour trois. À peine avais-je descendu les escaliers un peu plus tôt que déjà elle me tendait un manteau bien chaud. Noir. Classe. Qui donne une grande liberté de mouvement tout en gardant au chaud. Til’, lui, à l’air déjà moins emballé par ce présent. Il faut dire qu’en ce moment même sa mère l’agrippe d’une main de fer par le col.

- Au contraire même, j’aimerais pouvoir en faire plus pour vous.

Le garçon n’essaie même pas de se débattre – après tout, je doute qu’il possède déjà la force de renverser une Aventurière de son calibre. Il se tient simplement là, à ses côtés. Silencieux. Mais fulminant de tous les pores de son corps. Les bras croisés, le regard incendiaire, il exprime de toutes les façons possibles son mécontentement. Ses yeux verts brillant dangereusement sous ses boucles noires et son gavroche fourré.

- C’est très gentil de votre part. Je vous suis déjà très reconnaissante pour…

Petit coup d’œil vers le garçon qui fait mine de ne rien écouter.

- … pour beaucoup de choses. Cependant, je ne peux décemment pas accepter une telle somme d’argent de votre part.

Gênée et ne pouvant me forcer à accepter, Martha passe une main sur sa nuque.

- Si c’est ce que tu veux, petite alouette, je ne m’y opposerais pas.

Mais son visage exprime tout l’inverse. Presque enfantin, un air boudeur s’esquisse sur ses traits mûrs. Des joues légèrement gonflées, les lèvres un tantinet pincées. Le regard fusillant le vide un bref instant. Le malaise me prend à la gorge. L’ai-je… vexée ? Refuser une offre débordant d’autant de bonne volonté peut froisser même la plus noble des âmes, je le sais bien. Mais… Martha n’est pas ce genre de personne… Elle doit sûrement comprendre les raisons qui motivent mon refus… non ? L’incertitude me fend le cœur. Cette sensation d’être sur le fil du rasoir, je la déteste.

Je voulais simplement ne pas les mêler à toute cette histoire.

- J-je ne souhaite pas vous causer plus d’ennuis que je ne l’ai déjà fait. Indiquez-moi simplement comment me rendre jusqu’à « Harvey & cie », ça me suffira amplement pour trouver mon chemin.

Ma voix tremble. Ma salive a du mal à passer, je tente de me calmer. Une grande inspiration et on relâche tout. L’anxiété, la peur. On relâche dans la nature toutes ces inquiétudes parasitaires.

Chasser le naturel et il revient au galop.

Je tente d’endiguer leur flot, fais tourner la même pensée en boucle. Martha n’est pas contre moi. Elle respectera mon choix. Il faut que j’y croie. Que j’ai confiance. Mes yeux se ferment un instant. Même si au fond… Léger pincement au cœur. Une infime partie de moi tremble de l’avoir contrariée.

Mais il faut croire que je me faisais de la bile pour rien.

- Alors ça, j’en doute fortement !

Sursaut. Son explosion d’enthousiasme m’a prise au dépourvu.

- Harvey est un bon gars, mais cela ne veut pas dire qu’il en est moins excentrique.

Je recule d’un pas. Qui n’aurait pas réagi de cette manière en voyant l’état dans lequel elle se met ? Ses yeux s’enflamment. Son sourire flamboie. La détermination exalte chaque cellule de son corps. Une bombe à retardement basiquement. Qui est sur le point de m’exploser en pleine face. L’opportunité qu’elle attendait tant s’est enfin présentée à elle et elle n’en cédera pas un iota. Un frisson remonte le long de mon dos. L’appréhension de ce qui va suivre fait courir mon cœur. Elle ne va pas faire ce que je crois qu’elle va faire, si ?

- Sa boutique est si bien cachée qu’il est difficile pour les non-initiés de la trouver. C’est pour quoi…

Elle tire Til’ devant elle.

- … ce gentil garnement va vous guider jusqu’à votre futur employeur !

Oh non.

- Je n’ai pas raison, Til’ ?

Elle l’a fait. Je me mordille la lèvre alors que la culpabilité me ronge. Je souhaitais tout sauf l’entraîner là-dedans. Mais il est trop tard pour ça : je doute de pouvoir faire changer d’avis Martha. Alors, silencieusement, je présente mes excuses au garçon. Et sans surprise, mes bons sentiments ne l’atteignent pas. Son regard me crible d’éclairs. Je fais de mon mieux pour les ignorer. Tout comme lui évite soigneusement de répondre à sa mère.

- J’ai dit : n’ai-je pas raison, Til ?

Toujours rien.

Contrariée, Martha le secoue allégrement. De gauche à droite, le garçon est baladé. Jusqu’à lui faire cracher la réponse qu’elle désirait.

- Oui, oui ! C’est bon ! J’vais le faire ! Lâche-moi maintenant !

Le garçon parvient à s’extirper hors de la portée de l’Aventurière ; elle le laisse faire. Les habits légèrement froissés, il les arrange en grommelant. Son humeur encore plus sombre qu’avant.

- Et bien, vous voyez. Même ce chenapan est d’accord avec moi.

Silence.

Seul mon sourire gêné et les insanités mâchouillées de son fils lui répondent. Mais cela ne semble en rien l’affecter. Au contraire même, Martha semble en être fière. Après tout, elle vient de réussir à imposer une tâche à son fils bien aimé aussi bien que de m’aider. Contre notre gré. Soupir. Avec sa personnalité, à quoi je m’attendais aussi ?


- Faîtes comme chez vous, ici, nous sommes tous une grande famille !


Une action pour nous rapprocher, pour resserrer nos liens à moi et à Til’. Si pour autant ils existent. Nouveau soupir. Il est vrai que nos contacts peuvent se résumer en deux mots peu valorisants : épars et non constructifs. Une bousculade par-ci, un regard en coin par là. S’ils sont loin d’être amicaux, ils n’en ressortent pas pour autant mauvais. Après tout, il existe sans doute des personnalités en ce bas monde qui ne peuvent pas coexister paisiblement. Peut-être est-ce le cas pour nous ? Peut-être que tous ces minis conflits ne découlent que de cette source naturelle ? Ou bien, toute cette réflexion n’est que le fruit de mon envie de ne fournir aucun effort…

- Je suis sûre que Til’ ne te dira rien de tout ça. Alors, comme tu n’es pas familière du coin, petite alouette, fait attention à prendre ces précautions en sortant tôt le matin. Tout d’abord…

Avec toutes les meilleures intentions du monde, Martha m’énumère gentiment toute une liste de trucs et d’astuces, réactions ou lieux où se rendre en cas de pépin. Mais je ne l’écoute que d’une oreille distraite. Un goût amer persistant dans ma bouche.

Les enfants sont des êtres effrayants.

Des frissons me parcourent. Je frotte mes bras alors que des souvenirs remontent. Des souvenirs de Mer’u. Pour bien des aspects, leur fragilité apparente peut faire naître chez n’importe qui une envie de les protéger.

Mais pas chez moi.

Ce serait me voiler la face que de ressentir ça. Car, il n’y a pas plus cruelle que la haine aveugle d’un enfant. Pour un oui ou pour un non, ils sont capables de vous mettre à genoux.

Parce qu’il vous est impossible de répliquer.

Parce qu’il vous est impossible de leur ouvrir les yeux.

Parce que je ne suis qu’une étrangère et que mes sentiments, mes opinions ne valent pas mieux que de la poussière.

Nouveau soupir. Sans doute je dramatise un peu. Sans doute, Til’ n’est pas suffisamment immature pour jouer à cela. Mais il n’en demeure pas moins qu’il ne me porte pas dans son cœur et sa dédication, presque effrayante, à me le rappeler me fait si facilement vaciller. Les liens humains ne se forcent pas, je ne peux donc pas le pousser à m’apprécier.

Il est donc préférable qu’on en reste là.

D’autant plus que je le comprends. Qui ne réagirait pas ainsi à une intruse ? Qui lui vole l’attention de sa mère, qui habite chez lui ? À son âge, il est parfois difficile de faire la part des choses.

- Et c’est tout ce qu’il y a à savoir !

-… ?

Mon attention revient dans le présent.

- Aller, aller ! Ne traînez pas ! Ce n’est pas en restant plantés ici que vous serez productifs !

À peine ceci fait, je vois l’Aventurière s’avancer vers moi. Sa main se pose sur mon épaule, l’autre empoigne celle du garçon. Un grand sourire sur les lèvres, elle met son plan à exécution. Une poussée et quelques pas.

- Passez une bonne journée !

Avant que le battant de bois ne se referme derrière nous.

Et c’est ainsi que Martha nous mit tous les deux à la porte.

Dans le froid.

Et la bonne humeur.

Immédiatement, je me mets à grelotter, à claquer des dents. Mes mains se réfugient dans les poches de mon tout nouveau manteau. Et puis plus rien. Pas un geste, pas un pas. Juste un silence pesant qui s’installe entre nous. Je me tourne vers Til’. Ma bouche s’ouvrant, prête à débiter des mots d’excuses, à l’oral cette fois.

Mais elle s’arrête sur sa lancée.

Le garçon me lance un regard morne. Vide. Ennuyé. Un bref contact visuel qu’il brise sans remords. Son attention retournant sur ses mains gelées. Souffle. Un petit nuage blanc se forme devant sa bouche. Puis il frotte vigoureusement ses doigts. Pouce contre pouce, index contre annulaire, annulaire contre majeur et petits doigts. L’espoir de récolter une étincelle de chaleur animant chaque friction. Mes lèvres se pincent en voyant cela. Je tergiverse un instant et… Soupir. Je fouille dans mes poches.

- Tiens.

Je lui tends une paire de gants. Un peu datés, par endroits écorchés, mais toujours en un seul morceau. Mes gants de Trappeuse. Til’ les observe. Ses yeux décortiquent le moindre détail de ces bouts de tissus, comme s’ils s’agissaient d’objets inconnus pour lui. Ou un tas d’immondices, je ne saurais trop dire. Les secondes défilent, les muscles de mon bras commencent à faiblir. L’expression figée sur mon visage commence à s’effriter. Il va les prendre oui ou non ?

Heureusement, à mon grand soulagement, il ne me fait pas attendre plus longtemps : il les empoigne prestement. Sa main frôlant la mienne. Si petite. Et calleuse. Sans un remerciement, le garçon les enfile, puis déploie ses doigts à plusieurs reprises. Tendus, pliés, tendus, pliés. Pour tester leur confort. Léger hochement de la tête. Il semble satisfait.

Ah… Mon bras retombe. Mes doigts rongés par le froid. Un étrange mélange de satisfaction et d’amertume bouillonne en moi. Mais peu importe. Ce qui compte c’est que, si cela peut au moins rendre sa corvée plus agréable, j’en serais hautement soulagée. Comme un poids qui s’est envolé, un drapeau blanc levé. Si pépin il y a, j’aurais la conscience tranquille de ne pas être celle qui a commencé la bagarre.

Tac ! Tac !

Sans un mot, sans un regard, Til’ s’en va sans moi. Nouveau soupir. Je m’y attendais un peu, je dois bien l’avouer. Sans plus me faire prier, je lui emboîte le pas. Ainsi, nous marchons en silence. Lui, tête basse, mains dans les poches et de temps à autre donnant des coups de pied dans l’air, shootant dans des cailloux imaginaires ; moi, tête haute, les mains gelées et parfois une étrange envie de crier.

Les rues sont vides. Le ciel est noyé d’encre et de nuages. Mon regard, qui l’effleurait, chute lentement. Je frissonne. Il est encore tôt. À mon tour, mon souffle dessine des traînées blanches dans l’air glacial. Je les regarde flotter, s’élever et disparaître dans le noir. Je resserre contre moi les pans de mon manteau, jette rapidement un œil aux alentours. Les faibles flammes résiduelles des lampadaires jettent sur les pavés une lumière tremblotante. Juste assez forte pour discerner les allées désertes et les maisons endormies ; juste assez faible pour invoquer des monstres depuis les ténèbres qu’elle ne peut éclairer. Des bruits ricochent contre la pierre. Ils me parviennent en échos brouillons, à peine plus forts que des murmures. À cette heure, les rues de Tarn ne sont encore fréquentées que par quelques ombres frissonnantes.

– Je fais ça parce que Ma’m me l’a demandé. Ne te fais pas de fausses idées.

Surprise. La voix de Til’ me fait sursauter. Elle résonne dans la rue, déchire le silence, avant de ralentir et de se répercuter sur les murs. De plus en plus faibles. En à peine un instant, ils meurent dans les rues et le froid.

Silence.

Nous continuons à marcher. Après quelques pas, ne me voyant pas réagir, le garçon reprend à mi-voix :

- Les gens comme toi ne méritent même pas de l’approcher.

- Les gens… comme moi ?

- Ne fais pas comme si tu ne savais pas.

Ma gorge se serre, mes sourcils se froncent.

- Et bien, si, je ne sais pas.

À peine ces mots filent-ils hors de ma bouche…

Tac !

… qu’il se retourne brusquement.

- Bien sûr que tu le sais !

Une lueur dangereuse brillant dans son regard.

- Tu es le genre de personne qui s’infiltre dans la vie des autres. Un parasite. Qui les manipule et gagne leur affection. Pour ensuite les pousser à résoudre tous leurs problèmes sans avoir à lever le petit doigt.

Souffle. Je ne peux empêcher un de mes sourcils de se lever. Ce genre d’attaque ne m’atteint plus.

- Et sur quoi tu te bases pour dire ça au juste ?

Les poings du garçon se serre. Il ne reste pas indifférent à ma provocation.

- Tu crois que je suis aveugle, que je suis comme Ma’m ?! Que je ne vois pas que tu es un nid à emmerdes ! Tu empestes la mort à plein nez, merde ! Toutes les belles promesses que tu fais, c’est de la poudre dans les yeux ! Une fois que tu auras aspiré tout ce qu’il y a à prendre de nous, tu disparaitras sans rien dire !

Souffle. Péniblement, il reprend son souffle. Les nuages s’accumulent devant sa bouche. Sans doute le froid mordant refroidit-il un peu ses ardeurs.

- Je ne sais pas pourquoi Ma’m ne l’a toujours pas compris, mais… Si elle ne veut pas ouvrir les yeux, tant pis, je la protégerais !

Pourtant, le feu dans ses yeux ne vacille pas. Comme pour les marteler davantage dans ma tête, il prend le temps d’articuler chaque mot qui suit :

- Je ne te laisserai pas faire du mal à Ma’m.

Mon corps s’est depuis longtemps figé.

Ah…

Ce sentiment… Mon cœur se serre devant un discours si enflammé. À la fois familier et… Terrifiant. J’ai beau me dire que je me trompe, qu’il s’agit d’autre chose, mais… Il n’y a d’erreur possible. Même s’il tente de le cacher derrière des airs bravaches, Til’ a peur.

De ce sentiment d’impuissance qui le ronge.

Mon humeur s’assombrit. Mes lèvres hésitent. Que puis-je bien dire à un enfant qui semble avoir des cicatrices sur son cœur ? Mon regard s’attarde sur ses sourcils froncés, sa moue déterminée. Je ne sais pas comment m’occuper d’enfant. Comme une patate chaude que l’on m’aurait refilée et dont je ne saurais que faire. Je ne connais rien de lui, de son passé. Et pourtant, je le sens, en tant qu’adulte, je me dois de le libérer de ce poids qu’il s’est imposé. Mais… Mon cœur bat à tout rompre. Les enfants sont des êtres si effrayants parfois. Alors que les rues désertes me font parvenir les échos de ses paroles, je me décide à lui répondre, doucement cette fois :

- Ce n’était pas dans mes intentions.

À cela, son nez se plisse, sa mâchoire se contracte. Intensément, ses yeux verts me fixent. Tentent de déterminer si c’est bien la vérité qui vient de sortir de ma bouche. Méfiant.

Je m’éclaircis la voix.

- Ta mère…

- Ce n’est pas ma mère.

-… Très bien, Martha alors. Martha, c’est une personne que j’admire… et chéris beaucoup. Si cela ne tenait qu’à moi, je l’impliquerais le moins possible dans mes affaires, mais il semblerait qu’elle en ait décidé autrement.

- Ne rejette pas la faute sur elle !

Ses mots claquent dans l’air. Il fulmine.

- Rien ne t’empêchait de dire non.

Flottement. Le silence harponne et suit de près ses mots.

Il n’a pas tort. Si je m’étais plus imposée, si ma volonté n’avait pas craqué, j’aurais su dire non à Martha et nous ne serions pas là, tous les deux, dans le froid, en train de supporter la présence de l’autre. Ce n’est pas le rôle d’un enfant d’aider un adulte. Pour le moment, ce n’est qu’une petite histoire de guide, mais qui sait jusqu’à quel point elle pourrait s’impliquer. Elle pourrait se mettre en danger.

Mes soupçons sur la disparition d’Harion, s’ils s’avèrent justes, pourraient lui coûter cher.

- C’est vrai, je l’admets : je n’ai pas fait tout ce qu’il fallait pour l’écarter.

La nausée s’invite dans ma gorge.

- Tout comme j’aurais pu faire autrement pour sauver ma coéquipière.

Repenser à elle me donne le vertige. Repenser à son visage que j’ai oublié me dégoûte.

Repenser à nos années ensemble me donne envie de vomir.

Nous étions censées être inséparables, ne former presque qu’une. Tant d’années passées à essayer de mieux se connaître perdues dans le vent. Tant d’années en sa compagnie gâcher par ma faute. Par mon erreur. Puis par ma mémoire. Qui ne serait pas malade en réalisant cela ? Cependant… Mes paupières tombent un bref instant. Ce n’est pas le moment de ruminer tout ça. Je pourrais y passer des heures que je n’obtiendrais pas l’ombre d’une réponse. Alors, inutile de trop y penser…

- Mais, les choses sont ainsi et je n’y peux rien. Il est trop tard pour regretter quoi que ce soit.

… car, j’aurais bientôt toutes les informations dont j’ai besoin pour me rappeler. Il me faut juste rassembler assez d’argent.

- Ce que je peux faire, en revanche, c’est éviter que cela se reproduise.

Que les révélations qui me seront faites soient douloureuses, que les souvenirs qui me reviendront soient cruels, peu importe, je les encaisserai tous.

- Je ne sais pas ni pourquoi ni comment ton intuition s’avère aussi juste – ou peut-être est-ce parce que tu as entendu certaines choses qui ne t’étaient pas destinées -, mais, s’il y a une chose dont je suis sûre…

Parce que je ne veux plus jamais que cela ne se reproduise. Parce que la peur et la douleur sont les meilleures motivations…

-… c’est que je ferai tout pour empêcher que cela n’arrive aussi à Martha.

Pour ne plus jamais perdre personne.

- Et pourquoi je te croirais ?

- Parce que je te dis la vérité.

-…

- Crois-moi, Til’, quand je te dis que je veux la protéger.

-…

- Tu veux bien m’accorder cela au moins ?

L’hésitation se peint sur le visage du garçon. Un bref vacillement dans son regard, comme une petite étincelle qui accepte bien de me croire. Avant que tout revienne à la normale. À nouveau stoïque, il me fait face. Pour un enfant, il est déconcertant de le voir faire une telle expression.

Presque comme s’il avait déjà trop vécu.

Je ne peux, cependant, la contempler que le temps de quelques battements. Car, sans un mot, Til’ me montre son dos. Du bout de ses doigts, il enfonce davantage son gavroche sur la tête. Enterrant toute chance pour moi de lire sur son visage. Souffle. Alors qu’il se remet en marche, je lui emboîte à nouveau le pas. Chacun se préoccupant de sa petite vie, n’épargnant pas une pensée pour l’autre. Le soulagement me submerge. Il semblerait que j’ai su maîtriser l’incendie. Avec cette idée réconfortante en tête, je trace mon chemin dans la suite du garçon.

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