Chapitre 24

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Il y a un démon au village

Un monstre, un être vilain

Qui te couperait bien les mains

Pour en faire son quatre-heure

Il use de la magie noire

Nous lie à lui, à son âme

Par la force, par le sang

Pour que quand passe le temps

Il puisse continuer à te voir

Même dans la mort

Il y a un démon dans le village

Fuis dans les bois

Et prie pour qu’il ne te trouve pas.

Tiré de Comptines de magie

de Harlène Norlangarth


La boutique se tient devant nous. Petite, étroite, encastrée entre deux immenses immeubles résidentiels. Coincée dans une ruelle peu fréquentée. Si les doutes m’envahissent à mon arrivée devant la bâtisse, la pancarte « Harvey & cie » accrochée sur la façade m’indique que je suis bien au bon endroit.

- Quel genre de commerce ça peut bien être ?

Aucune devanture à proprement parler : la vitrine ne consiste qu’en un paravent de toile bariolée de coloriages enfantins, dissimulant l’intérieur du magasin. Aucun indice sur l’activité se tenant ici. Seulement ce slogan cryptique collé sur la vitre. « Au-delà de ce que tu vois ». L’appréhension monte en moi. Mais…

Cling !

Sans daigner répondre à ma question, Til’ pousse la porte d’entrée. Même si l’indécision me clouait littéralement sur place, rien ne changerait : je n’ai pas d’autre choix que de le suivre. Après tout, quoi de plus stupide que de rester planter devant la boutique de son futur employeur alors que tu as déjà fourni tant d’efforts pour y parvenir ? La conversation plus tôt avec le garçon me revient en tête. Non, ce n’est pas le moment de penser à ça. Il faut que j’aborde cette occasion unique avec un esprit clair !

Je pousse la porte d’entrée.

Cling !

La petite cloche au-dessus de ma tête sonne.

- Mah, je suis à vous tout de suite, cher client !

Une voix chantante se fait entendre dans l’arrière-boutique. Ainsi que des bruits étranges. Des aboiements. De la ferraille qui s’entrechoquent. Le son perçant d’un sifflet.

Grrr ! Wouaf !

- Attends-nous là.

Au milieu du vacarme, c’est à peine si j’ai réussi à entendre le garçon.

- Quoi ? Qu’est-ce que tu as dit ?

Pas de réponse.

Sans même un regard pour moi, Til’ se dirige vers la porte derrière le comptoir et y disparaît. Ah… Évidemment. À quoi je m’attendais aussi ? Nerveusement, je passe une main dans mes cheveux alors que je me prépare à attendre. Mon pied tapotant le sol en rythme.

Grrr ! Wouaf !

Les minutes s’écoulent et le vacarme ne cesse d’augmenter en volume. Ma salive a du mal à passer dans ma gorge alors que mille scénarios se déploient dans mon esprit. Combat de canidés illégaux, règlements de compte, torture, une belle brochette d’hypothèses, plus sordides les unes que les autres, que je secoue d’un mouvement de tête. Martha a confiance en ce… Harvey. Ça ne doit donc pas être si terrible que ça, si ?

Mes yeux explorent la petite pièce. Peu de lumière y pénètre. À peine quelques rayons volés au voisinage. À part ça, il n’y a pas grand-chose à rapporter. Un comptoir en bois pour accueillir les clients, des cartes de visite impeccablement rangées en une pile. Les mêmes que celle que je conserve dans ma poche. Si Martha ne m’avait pas confié qu’il cherchait une assistante, jamais je n’aurais compris ce geste ainsi. Quelle idée tordue de me proposer un emploi de cette manière aussi ? En me donnant une carte de visite en coup de vent juste après mon altercation avec Karibou… À peine un bonjour, à peine une explication. Ceci étant dit, Clochette, lui, avait deviné.

Bien malgré moi, son visage me revient. Ses cheveux poivre sel, son air rieur. La petite clochette tatouée au coin de son œil. Mes lèvres se pincent rien que de repenser à lui. Je tente de repenser toutes ces pensées au fond de mon esprit, de prendre de grandes inspirations. Paix intérieure.

Je le déteste ! Comment il a pu croire que je tomberai si facilement dans le panneau !? Avec son sourire niais, là, je suis sûre qu’il se disait que c’était dans la poche. Quel mec stupide aussi ! On en serait pas là si seulement il avait… !

S’il avait quoi ?

Je serre les dents. Pincement au cœur.

Soupir. Je n’ai plus envie d’y penser. C’est du passé. J’ai juste envie… de l’oublier. Détournant le regard de cette pile de cartes, je cherche une distraction aux alentours et j’en trouve une. Un bouquet. Des dahlias blancs. Exubérant amas de pétales aussi gros qu’un poing, elles trônent fièrement dans leur vase bariolé de dessins d’enfants. Leur parfum délicat se déploie dans toute la pièce. Il me ferait presque oublier ces horribles bruits venant de l’arrière-boutique.

Clang !

Wouaf ! Wouaf !

Cling !

Presque. Un rictus nerveux soulève mes lèvres alors que je tente de garder mon calme, de ne pas prendre mes jambes à mon cou. Pense à de paisibles prairies vertes avec des petits moutons roulant le long des collines. À leur toison voluptueuse, à leurs mignons bêlements. Plein de petits moutons, oui.

Clac !

La porte s’ouvre en trombe.

- Mah, je ne savais pas !

À peine le temps d’apercevoir une tignasse dorée. Une silhouette sautant par-dessus le comptoir.

Pam !

Impact. Ses pieds rencontrent le sol. À peine le temps de comprendre ce qui se passe. Mes yeux s’écarquillent. Je recule de quelques pas. Le jeune homme m’a prise dans ses bras.

- Qu’est-ce que… !?

- Mah, vous devez vous sentir tellement perdue !

Oui. Oui, tout à fait. Je ne suis pas sûre de comprendre ce qui est en train de se passer, là, tout de suite. Mais c’est pas la question !?

- Ça me brise le cœur d’apprendre ce qui vous est arrivé !

De quoi ?

- Il n’y a vraiment pas de honte à se faire avoir de la sorte, je vous l’assure !

Honte ? Mais de quoi ? Ma tête tourne. Ça va trop vite ! J’ai le temps de penser à rien.

Ploc ploc !

Des gouttes sur mes cheveux. Mon corps se tend. Mon esprit panique. Ce n’est pas ce que je crois que c’est, j’espère ? Mais alors que je pondérais si oui ou non il s’agissait de larmes, je me sens soudain repousser.

Un peu.

Juste à une longueur de bras.

Eux qui me serraient encore tout contre lui l’instant d’avant viennent enfin de me libérer. Mais à peine le temps d’inspirer que déjà ils me fourrent un papier dans les mains.

- Tenez ! Ça devrait suffire à rembourser votre dette je pense.

Dette ? Mais de quoi… ? Mon regard vient effleurer ce que je tiens entre mes doigts. Je me fige. Un chèque. Avec beaucoup de zéro d’affilée. Tellement… de zéros… Non ! Je secoue la tête, reviens à la réalité. Ce n’est pas le moment de saliver ! Il faut que je comprenne ce qui est en train de se passer. Immédiatement, mes yeux se relèvent, se posent ce parfait inconnu. Qui, à mon grand damne, continue de déblatérer des bêtises :

- Mah ! Si un jour je rencontre cette Bande des Écureuils, je vous jure que je les castagnerai pour vous venger !

Bande… des Écureuils ? Mais de quoi est-ce qu’il parle ? Je fixe du regard ce fou à lier. Les cheveux blonds en bataille, la chemise toute froissée. Les larmes plein aux yeux. Il pleure comme jamais je n’ai vu quelqu’un pleurer. Les yeux rougis, des reniflements à gogo. Un petit chiot. Un adorable petit chiot gémissant de douleur.

Qui risque bien de devenir mon employeur.

Même si je ne l’ai aperçu que brièvement, il n’y a pas erreur sur la personne : c’est bien lui qui m’a donné cette carte de visite. Ces cheveux, ces yeux et même cette tenue. Cette révélation me choque presque autant que la somme sur ce chèque.

- Ma Mama m’a toujours dit qu’il fallait être prudent quand on sortait la nuit.

- Attendez… !

- Car, il y a toujours des méchants qui vous attendent au tournant pour vous détrousser de toutes vos friandises.

- De quoi… ?

- Mais Mama ne m’avait jamais prévenu qu’ils pouvaient aussi vous prendre votre argent ! Je suis choqué et outré d’apprendre cela. Je vous le jure : je récupérerais ce qu’ils vous ont… !

- MAIS LAISSEZ-MOI EN PLACER UNE !!!

Mon cri résonne dans toute la boutique. Immédiatement, celui que je devine être Harvey se tait. Enfin, il a fermé son clapet. Le silence qui suit me paraît presque assourdissant en comparaison, mais peu importe. Je peux enfin m’entendre penser.

- Désolé si je vous ai surpris, mais…

Alors que je relève la tête pour lui refaire face, je me fige en voyant sa réaction. Le chiot me fend encore plus le cœur maintenant qu’il a arrêté de japper. Ses gros yeux attendrissant, cette moue au bord de laisser échapper un sanglot et pourtant il fait tout pour se retenir. Non non non ! Ce n’est pas le moment de penser à ça ! Souviens-toi : c’est peut-être ton futur employeur. Je me masse les tempes pour m’éclaircir les idées.

- J-je peux savoir de quoi vous parlez depuis tout à l’heure ? C’est quoi… ça ?

Ça. Je ne peux décidément pas le nommer autrement. Ce bout de papier dans mes mains vaut une fortune ! Au point de me donner le vertige. Mon bras tremble rien que savoir ce qu’il tient. Il faut… il faut que j’éclaircisse cette situation, sinon je crois que je vais devenir folle. Qui aurait cru un jour que je perdrais mes moyens devant de l’argent ? Une telle somme en plus de cela !

- Vous n’avez pas besoin de faire semblant, vous savez ?

Étonnement, c’est la voix larmoyante du jeune homme qui me ramène à la raison. Du bout des doigts, il ne cesse d’essuyer les larmes se reformant à l’infini au coin de ses yeux. Il me fait un grand sourire chaleureux.

- Il n’y a pas de honte à avoir, vraiment. Le petit Tiloméo m’a déjà tout raconté.

Le petit Tiloméo… vous a raconté quoi ? Un souvenir remonte.


- Cependant, je ne peux décemment pas accepter une telle somme d’argent de votre part.


Oh… Mes yeux se posent à nouveau sur le chèque. C’est vrai que j’ai parlé d’argent devant lui.

Ce petit démon !

Cling !

À peine me suis-je retournée pour attraper ce garnement par le col qu’il avait déjà pris la poudre d’escampette. Néanmoins, je ne lâche pas l’affaire.

Cling !

La porte claque. Je déboule hors du magasin. Le froid me fait l’effet d’une claque. Mais c’est à peine si je le sens. Je tourne la tête, à gauche, à droite.

Mais il n’est déjà plus là.

-Ah… ah ah ah…

Un rire nerveux remonte le long de ma gorge. Il ne vient pas de faire ce que je crois qu’il a fait, hein ? Il ne vient pas de manipuler un pauvre gars pour qu’il me prête une somme astronomique juste pour ensuite m’abandonner en me laissant la tâche très savoureuse d’expliquer tout ce malentendu ? Nan, il est trop gentil pour ça. C’est le petit ange à Martha.

- TIL’!!!

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