« Mon frère, mon ami, mon fils, mon camarade »

Je vois venir sur nous un climat bien maussade,

Qui va, du Masculin, laminer les faveurs,

Passe-droits, attributs, franchises et honneurs

Dont notre genre fait depuis toujours usage

Pour diriger le monde à sa fidèle image !

Quelque chose est en train de changer, et demain

Je crains que le nouveau s'écrive au Féminin !

Regarde autour de toi la femme qui s'active

Et force le respect par son initiative ;

On la voit au dehors, au dedans, courir incessamment,

Quand ce n'est pas pour l'un, c'est pour l'autre et pendant

Qu'on trompe notre ennui dans des jeux imbéciles

Ou perdons notre temps en pratiques stériles,

Elle écrit patiemment l'autre scénario

Dans lequel nous n'aurons qu'un rôle de grouillot ;

Chaque jour elle apprend, s'exhale et prolifère

Et surpasse en tous lieux le mieux que l'on sait faire ;

Elle pense et agit et s'exprime autrement,

Et dès lors l'on conçoit les choses clairement ;

Et petit à petit, sans l'homme, elle dessine

Le décor prometteur d'une ère féminine !

Quoi, tu doutes ! j'entends grogner ton argument :

« C'est l'homme qui détient la force et sait comment

Protéger son foyer et les âmes à charge,

Avec ses bras musclés et sa carrure large !...

C'est l'homme qui produit l'élixir séminal

Et prolonge l'espèce en son élan vital :

Qu'il cesse d'opérer et c'est la fin du monde !...

C'est encor l'homme qui - comme avec la Joconde -

Par mille soins portés à la femme qu'il voit

Sait ouvrir sa splendeur au plus large qui soit,

Et la fait s'augmenter vers la plus haute sphère,

A la condition qu'elle marche derrière ! »

Je connais tout cela, j'entends ce que tu dis,

Mais tu me décris là notre ancien paradis,

Et je peux, point par point, t'en réfuter la grâce

Dans tout ce que je vois aujourd'hui qui se passe !

La force dont tu parles : à quoi sert-elle enfin,

A part couper du bois ou bêcher le jardin !

Quelle femme a besoin lorsque le danger gronde

D'un torse masculin pour protéger son monde,

Elle qui sait fort bien, au moindre trafalgar,

Prendre tous les devants et tenir l'étendard

Pour montrer le chemin à tout son entourage

Et, à défaut de force, afficher du courage !

Endurante à souffrir et robuste au labeur,

On l'entend toujours moins se plaindre en son malheur,

Que l'homme chatouilleux terrassé par un rhume,

Ou qui dans tout bobo décèle un apostume !

Sur ce point, c'est assez ! l'homme en sa majesté,

Celui qu'on a connu, n'est plus ce qu'il était ;

Tu crois toucher le fond ?... Mais c'est encor que dalle,

Car la femme bientôt va se passer de mâle !

Jusqu'ici, grâce au Ciel et à la Vierge autant,

L'homme porteur de vie, en mâle dominant,

Daignait, après parade et savantes caresses,

Féconder dans la règle épouses et maîtresses,

Et selon son humeur et son tempérament

Pouvait tergiverser ou vouloir ardemment !

A présent c'est fini, c'est elle qui décide

Et, le sourire en coin, commet le parricide

En procréant sans lui, sans son appoint moqué,

Sans que son nom parfois ne soit même évoqué,

Après avoir choisi librement la paillette

Répondant à ses vœux de garçon ou fillette !

Et l'homme reste là, comme un ancien acteur,

Qui regarde la scène assis en spectateur,

Et se voit dépouillé de son grand personnage :

Macho, Pygmalion ou Tintin à la plage !

Oh ! je t'entends me dire, en homme de progrès :

« Qu'il ne faut point nourrir trop longtemps des regrets

Sur le vieil art de vivre et ses siècles prospères,

Et qu'avec d'autres temps moins inégalitaires

Nous verrons dans nos droits la femme s'immiscer

Et qui sait jusqu'à nous peut-être se hisser ;

Et qu'après tout s'il faut qu'en ce frais équipage

L'homme se voit contraint au double pilotage,

Nous saurons bien toujours trouver le bon moment

Pour leur parler d'amour avec du sentiment,

Et par ce procédé trouver une ouverture

Pour ramener à nous toute la couverture ! »

Mais tu rêves l'ami, tu penses en homme âgé !

Crois-tu qu'elle voudra tant soit peu partager

Ce qu'elle aura conquis chez nous de haute lutte,

Et viendra se pâmer après un air de flûte !

Estimons-nous heureux si, dans le meilleur cas,

Elle nous garde encor près d'elle comme en-cas,

Comme amant ou potiche ou factotum utile

Qui sache sur le toit remplacer une tuile !

Ainsi l'on nous verra - tout comme elle autrefois -

Dans un costume fait par leurs nouvelles lois !