Quelqu’un du Grand Palais, plus ou moins locataire,

Est venu me prier de cesser de me taire

Et l’aider à trouver une solution

Pour sauver le Pays et son élection.

Bien que ne goûtant point qu’à l’heure de la sieste

L’on vienne m’agacer ou me faire la quête,

J’ai répondu présent au déchirant appel

De ce monarque issu du vote universel !

« Vous êtes, m’a-t-il dit, ma ressource dernière,

Vous seul pouvez m’aider à sortir de l’ornière

Et retrouver les ors, les femmes et l’argent

Et les baisers perdus de mon peuple d'avant !

— Ce sera volontiers, votre Altesse, lui dis-je,

Mais pourquoi me penser l’homme de ce prodige ?...

— L’on m’a tant célébré votre esprit vicieux,

Que j’ai voulu savoir la chose avec mes yeux,

Et je dois avouer que déjà votre mine

Laisse voir en façade une façon de fouine

Qui me remplit de joie et me donne motif

A vous donner les clés d’un projet collectif !

Les remèdes courants comme : brouiller les pistes…

Faire de la fumée… accuser des lampistes…

Ne sont plus aujourd’hui de nature à guérir

Un peuple souffreteux qui finit par s’aigrir

Et se trouve des maux, des peurs occidentales,

Qu’aucune faculté n’a vu dans ses annales !

C’est d’un geste nouveau que viendra le salut,

D’un projet délirant et d’un hurluberlu !

Je vous vois bien porter le rôle et le costume :

Mettez en mouvement le feu de votre plume

Et donnez-moi de quoi redresser le moral

De tous les tire-au-flanc du corps électoral ! »

Je n’ai pas eu besoin de faire un séminaire

Pour former en deux mots la réponse pour plaire :

« La guerre, Majesté : c’est la guerre qu’il faut !

Voilà le bon outil pour gommer un défaut !

Aujourd’hui, le bon peuple élevé dans le calme

Refrène ses instincts, s’amuse du gendarme,

Et ne trouve plaisir qu’à tricher sur l'impôt

Ou haïr son voisin pour sa couleur de peau !

S’il reste - Dieu merci - toujours très irascible,

Il ne sait se fixer sur une seule cible !

Son agressivité si belle ne vaut rien

A se tenir bornée à son concitoyen

Faute de s’exprimer d’une voix unanime

Dans un puissant conflit, joyeux et légitime !

Les anciens le savaient qui restaient boutefeu,

Revanchards et teigneux dès le cessez-le-feu

Et limitaient au mieux le temps de l’armistice

De peur de retomber dans quelque méchant vice ! »

Bien que très averti des forces des esprits,

Le monarque pourtant demeura fort surpris

Qu’un propos si construit soit seulement possible

Et qu’en si peu de mots l’on soit compréhensible !

« C'est un bon plan, dit-il, mais êtes vous certain

Que la foule - passé le temps du serpentin -

Ne rechigne à quitter ses aides sociales

Ou le confort douillet de mœurs provinciales,

Car si chacun veut bien, au nom de ses valeurs,

Brûler une bougie ou déposer des fleurs,

Je crains que pour aller marcher sous la mitraille,

Il ne s’en trouve pas autant que ceux qui braillent

Pour me foutre dehors à poil sur le pavé,

Sans un mot, sans un pot et sans indemnité !

Je dépêche parfois des petits bouts d'armées

Dans des pays paumés, des terres opprimées,

Pour défendre l’Amour ou tel autre intérêt :

Mais pour les gens d’ici l’exploit reste discret !

Il n’intéresse pas ! … On fait la fine bouche !...

On ne s’exalte pas avec une escarmouche !

— Sans vouloir vous froisser, lui répondis-je encor,

Le peuple pour le coup n’a pas tout à fait tort !

On se bat bien trop loin - aux quatre coins du globe -

Et petit à petit le soutien se dérobe,

Car il faut captiver bien plus qu’un feuilleton,

Qu’un divertissement ou même un Téléthon,

Pour trouver le chemin du cœur de la patrie

Et garder son public dans la sensiblerie !

— Si je vous comprends bien, reprit le Président :

Il faut trouver un tiers pour forger l'incident

Qui ne doit point loger trop loin de la frontière

Et susciter chez nous une haine sincère !...

J’ai beau chercher partout, je crains de ne savoir

D’où viendrait ce danger que vous dites bien voir !...

Le Suisse quelquefois montre de l’insolence

Par des façons d’aller qui sentent l’opulence,

Mais je ne sache pas qu’il convoite tout bas

De quitter ses cantons pour nous tordre le bras!...

— Il ne faut point chercher du côté de l’Helvète

Pour trouver l’ennemi pressenti pour la fête ;

Il vous faut regarder plutôt vers l’outre-Rhin,

Du côté de Francfort, de Cologne ou Berlin ;

C’est là que se tapit l’ennemi historique,

Le seul que le Pays connaisse et revendique !

— Grand Dieu ! c’est l’Allemand que vous toisez ainsi,

Avec du sang dans l’œil et ce propos noirci !

Sachez bien qu’aujourd’hui cette amitié m’est chère ;

On se fait des cadeaux à chaque anniversaire

Et nous nous embrassons plus de dix fois par an :

Nous le considérons quasiment en parent ! »

Je crus bien mon idée à son heure dernière,

Tant ce chef des soldats fit voir une manière

De grande affection pour ce proche germain,

Mais sans l’intensité qu'on avait sous Pétain !

Puis il se ressaisit et fit ce commentaire :

« Je ne discute point les bienfaits de la guerre

Qui ouvre un vaste champ à l'innovation

Et sait doper l'emploi de chaque nation,

Mais la paix cependant recueille des suffrages,

Elle a ses partisans si j’en crois les sondages !

La querelle, au surplus, présente une vertu

Qu’à la condition de n’être point battu !

Pouvez-vous m’assurer de la fin de l’histoire

Et me donner l’espoir d’une prompte victoire ?

L’Allemand a ceci de commun avec nous,

Qu’il tarde très souvent à plier les genoux,

Et je ne voudrais pas qu’un match interminable

Finisse par lasser un mouvement friable !

D’autre part j’ai bien peur qu’à se lancer tout seul,

Sans un parrain puissant qui nous ferait filleul,

Une sorte d’allié de préférence riche,

Le succès attendu ne tienne pas l’affiche !

Et pour parachever ce bref questionnement,

Un dernier point me vient, insidieusement :

Avez-vous un avis, même à l’état larvaire,

Du motif à donner pour déclarer la guerre

A ce très vieil ami qui se fait du souci

A me voir patiemment creuser mon déficit !

— Ce sont là des pudeurs qui toutes vous honorent,

Lui rétorquais-je alors, et vous montrent encore

Dans un raisonnement tout à votre portrait,

Celui d'un être mou, dilettante et distrait !

Bien qu'étant à deux doigts de vous claquer la porte

Pour aller ramasser chez moi la feuille morte,

Je vous dois mon conseil au nom de la raison

Que je vois en défaut dedans cette maison !

La paix est un état violent qui s'ignore !

Je vous le dis tout net et vous précise encore

Qu'en tous lieux où la paix sévit depuis longtemps,

On y voit des débats, des peuples mécontents

Qui veulent exprimer des sentiments contraires

A ceux des grands patrons et de leurs actionnaires,

Et n’ont qu'un seul souci : la consommation,

Qu’ils exigent sans frein ou modération !

De grâce abandonnons l’état de paix durable

Et posons un concept plus nouveau sur la table !

Inventons « le conflit sans cause et permanent »,

Librement décidé pour le contentement

De ces deux nations quasiment fusionnelles,

Qui passent tout leur temps en brouilles et querelles !

L'une et l'autre montrant de forts tempéraments

S’ennuient dans le train-train, tout comme les amants,

Et ne se sentent, au vrai, bien à leur avantage

Que dans les bons moments de lutte et de carnage !

C’est pour cette raison que je crois essentiel

De bien nous engager, par un acte officiel,

A ne point décevoir par un conflit de paille

En réclamant la paix après une bataille !

Il ne faut pas douter que cette motion

Soit reçue à Berlin avec émotion,

Car la race autrefois fière dans ses allures,

Se lasse, m’a-t-on dit, d’assembler des voitures

Et se verrait assez revenir à Paris,

Pendant que le maquis occupe les maris !

— Il me semble en effet que je vois là matière,

Reprit le Président, à franchir la frontière

Avec un bon motif pour l'un et l'autre camp,

Sans que viennent râler ni l’ONU ni l’OTAN !

Votre raisonnement plein de fine malice

Me parait cependant receler comme un vice :

Pour tenir ces accords bien scrupuleusement,

L’on devra donc longtemps, voire indéfiniment,

Combattre et harceler l’ennemi partenaire,

Pour que ce grand bonheur commun fasse carrière ?...

Ce n’est pas la durée, en soi, qui gêne un brin,

Mais plutôt que le bal, de fait, n’ait plus de fin !

Il me semble pourtant - même si c’est dommage -

Qu’il faudrait bien qu’un jour un vainqueur se dégage,

Car on ne conçoit pas qu’un temps d’hostilité

S’achève un beau matin sur une égalité !

La troupe, le curé, les enfants et le maire,

Voudront, n’en doutons pas, chanter et se distraire

Pour fêter dignement le naufrage allemand !…

Raconter le détail de cet écroulement !…

Réclamer de l’argent ! … Exiger qu'on s'excuse !…

Toutes choses on le sait qui dans ce cas amusent !

Avez-vous cogité sur son côté festif

Dans vos arrangements sur ce dispositif ?

— Si fait, mon Souverain ! cependant je précise

Que si sur un gâteau l’on veut une cerise,

Il nous faut oublier ces anciennes douceurs

Qui sont d’un autre temps et laissent des aigreurs,

Et poussaient quelquefois la troupe impatiente

A signer des assauts de façon foudroyante

Pour profiter bientôt du plaisir innocent

D’aller chez le vaincu faire l’intéressant !

La guerre de demain, celle que je propose,

Devra prendre son temps, sans négliger la pause ;

Elle désignera chaque été son gagnant,

Lequel se trouvera vaincu l’été suivant,

Et l’on ira pareil chaque année à la suite !

De mi-juin à fin août la paix sera prescrite,

Chacun pourra partir chez l’autre pour bronzer,

Reconnaître un enfant ou pour l’indisposer ;

Il sera dans son droit de prendre des vacances

Et de venir chez nous avec ses exigences !

Du coup un an sur deux nous serons le vainqueur,

Nous fêterons les morts, nous rirons de bon cœur,

Nous goûterons la paix, la musique créole,

Le jazz, le charleston et la grippe espagnole !

Bref, nous accéderons à cet état subtil

De se sentir vivant après un grand péril !

N’est-ce pas là, mon Cid, une aubaine bien grande

Pour soigner son profil et bâtir sa légende,

Et pour mettre avec soi le sot, le ricaneur,

Qui jusqu’ici vous voit en pleutre ou en gêneur ?

Chacun racontera vos exploits de stratège

Et voudra promptement monter sur le manège !

Dès septembre venu l’on voudra s’engager,

Pour se battre à tout prix et bien se soulager

De trop de retenue et de trop d’abstinence

Et libérer enfin ses instincts en souffrance !

N’est-ce pas là, Splendeur, comme un remède sûr,

Pour garder un boulot longtemps dans le futur,

Certes assez mal payé mais de quelque avantage,

Et qui vous fait briller la truffe et le pelage ?

— Je ne cacherai pas, répondit la Splendeur,

Que pour bien maintenir le soufflet à hauteur,

La recette paraît d’un niveau bien facile,

Et dans l'habileté du premier imbécile !

Mais ne pensez-vous pas qu'il serait plus heureux

Que pour bien s'assurer l'on s'y présente à deux,

Lorsqu’on a comme nous certes une belle envie

Mais de tout petits bras et point trop d’énergie !

Que diriez-vous d’aller chercher l’Américain

Qui connaît nos climats et les plis du terrain ?

— Rien n’est plus encombrant qu’un soutien efficace,

Qui finit tôt ou tard par vous prendre la place

Dedans les défilés ou le lit conjugal

Et tarde à retourner dans son pays natal !

Alors je vous le dis, avant que de conclure :

Si l’on veut profiter pleinement de la cure,

Rien ne vaut l’entre-soi, sans qu’un tiers étranger

Intempestivement nous vienne déranger ! »

N’ayant dès lors plus rien à traiter, plus de doute,

Le Monarque mit fin à cette aimable joute,

Et partit réfléchir à mon invention,

Pour en peser l'effet sur son élection,

Juste après m'avoir dit, avec ces yeux de biche

Qui font tout le succès de sa fameuse affiche :

« Vous n’êtes point, mon cher, comme ce mage indien

Qui vous enfume tant qu'on ne comprend plus rien !

Vous avez l’esprit clair et la phrase concise

Et dès lors je vois bien ce qu'il faut que je dise ! »

─ !?...

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J'entends bien mon lecteur qui demande à savoir

Si d'un prochain conflit il peut garder l'espoir,

Et s'il doit se tenir, avec son paquetage,

Dans l'attente d'aller perpétrer un carnage !

Hélas, je n'en sais rien ! Peu m'importe après tout,

Je ne me sens pas prêt pour faire un casse-cou,

Et me contente assez de penser, sans rien faire,

En laissant bien autrui s'amuser à la guerre !

En revanche j'aurais je crois quelque plaisir

A voir un jour mon nom au fronton de Saint-Cyr,

Et le remerciement de la mère patrie

A ma guerre innovante et à son industrie !

« A Charlentoine, la patrie reconnaissante »