Le botaniste sourd

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Nous habitons une route très fréquentée. Vous qui êtes français, si vous avez comme moi la trentaine, et que vous avez voyagé en voiture durant votre enfance, l’exemple qui ressemble le plus à notre chez nous d’aujourd’hui c’est une maison au bord d’une route départementale ou nationale dans les années 1990. Juste avant l’essor des autoroutes. Oui, c’est bruyant, mais on s’y fait.
Le pic de circulation est habituellement aux alentours de midi, quand les gens vont manger, chez eux ou ailleurs. Car oui, ici, les gens ne mangent que rarement sur leurs lieux de travail.
Alors en plus du bruit de circulation inhérent à tout trafic, il y a voitures de police et camions de pompiers qui zigzaguent entre les voitures congestionnées et klaxonnantes, à grands coups de gyrophares et de freins bruyants. Imaginez le tintamarre.
Aujourd’hui je suis à la maison. La situation est telle que je l’ai décrite ci-dessus. Presque midi. Accident un peu plus haut doublant les embouteillages, gyrophares… Mais pour ce qui est du volume sonore, klaxons, crissements de pneus… Pas un son.
Sans la vue de ce regroupement massif de source sonore, mettons que je ne regarde pas par la fenêtre en cet instant, je pourrais aisément me croire dans une cave. Pas même le bruit de fond du souffle de vent. Rien.

Vous allez penser que je suis sourd, depuis récemment. Et vous n’auriez pas tort à cent pour cent. Mais ce n’est pas exactement le cas. Ou plutôt si, mais pas uniquement pour moi. Tous les hommes sont atteints de surdité. Depuis hier, tout a finalement disparu. C’est arrivé progressivement, hier ne fut que l’aboutissement de cette absence. C’est tout d’abord les sons aigus qui ont refusé d’atteindre nos oreilles. Nous avons alors été privé de la petite quantité de ce qui se rapproche des ultrasons, qu’habituellement seuls les plus jeunes sont aptes à percevoir. Là, personne ne s’est rendu compte de rien, à part peut-être certains médecins spécialisés dans l’audition des enfants. Puis ce sont les sons plus perceptibles qui ne nous furent plus accessibles. A commencer par les chants des oiseaux par exemple. Puis progressivement, les fréquences audio que nous n’arrivions plus à entendre sont passées vers les graves, jusqu’à ce que plus rien ne nous soit audible. Ce plus rien, c’était hier. Autant chaque disparition de fréquence sonore s’est manifestée de manières différentes chez toute la population, chacun perdant de l’audition mais pas à la même vitesse, autant hier, l’entièreté de l’humanité s’est réveillée sourde en même temps. Allez savoir pourquoi, peut-être un effet de masse. Les scientifiques se l’expliquent difficilement. Tout comme ils ne comprennent toujours pas la disparition de l’ouïe humaine.
On nous a expliqué que les sons et ondes sonores existent toujours, résultant de la vibration de l’air, ou de tout milieu dans lesquels ils évoluent. Seule notre perception de cette onde a été altérée. Nous n’y avons tout simplement plus accès.

Je ne vous prends pas pour des idiots en vous racontant tout ça, mais il se peut que ce soit peu clair. Hier encore nous entendions nos voix. Par entendre il faut comprendre que nos oreilles étaient aptes à réceptionner certaines ondes sonores, et notre cerveau à les déchiffrer et leur donner un sens, une compréhension du monde dans lequel nous évoluons.
Étrangement, même si la palette sonore disparaissait des aigus vers les graves, nos voix, pourtant appartenant à divers longueurs d’ondes, aigus ou graves, ont été les dernières à être perçues. A croire que c’est notre cerveau qui, dans un soucis de compréhension finale, mettait tous ses efforts dans la communication, tel un instinct de survie dont on ne comprendrait même pas encore aujourd’hui la finalité.
Ou plutôt comme si la Nature voulait nous permettre de comprendre ce qui nous arrivait en communicant. Dans le but de nous laisser le temps de trouver une solution, ou alors tout simplement pour qu’on ne s’inquiète pas outre mesure, se sachant accompagné dans notre handicap par toute l’humanité. Si cette dernière hypothèse est la bonne, Dame Nature nous aura laissé environ quinze ans pour réaliser.
Personne ne sait exactement quand les premiers aigus nous ont abandonné. On pense d’ailleurs que tout le monde n’a pas été touché en même temps. En revanche, depuis hier, pas un seul cas de rescapé sonore n’a pu être mis en évidence.
Par contre, en fonction de notre mode de vie, tout le monde n’est pas affecté de la même manière, vous vous en doutez. Ou du moins, pas avec le même impact. Les accros au téléphone, les standardistes, les commentateurs, et autres musiciens et acteurs du bruit et du son, vont forcément être en première ligne. Même si cela impact le mode de communication de tout le monde ou presque, il est vrai qu’avec l’essor d’Internet, la consommation de communication est différente d’autrefois. Malgré tout, les discussions étaient de plus en plus sonores, avec également un nombre conséquent de vidéos et podcast regardés et écoutés.
Ce qui me vient en tête tout de suite, c’est qu’il va falloir revoir à la baisse, au moins pour un temps notre mode de vie sociale. Notre manière de communiquer, indéniablement, mais également notre manière de s’informer. Changer certaines de nos activités, peut-être même revenir au cinéma muet.
Vous connaissez l’humain, vous vous dites que si ça fait quinze ans que ça diminue progressivement, nous avons pu nous préparer. En réalité pas vraiment. Je ne dis pas que certaines choses n’ont pas changé, les concerts se sont raréfiés pour disparaître complètement, le journal télévisé s’accompagne aujourd’hui d’images beaucoup plus parlante et de sous-titres, les radios ont remplacé leurs programmes musicaux de chansons du moment par uniquement des groupes chantant a cappella.
Mais tant que nous arrivions toujours à communiquer avec nos propres voix, personne ne pouvait imaginer se trouver dans une situation tel que maintenant. Une vie complètement murée dans le silence.

Mis à part la surdité, aucun autre symptôme d’une quelconque épidémie ne s’est fait remarqué. Pas de maux de tête, pas de saignements, rien. Un mystère qui dure depuis tout ce temps.

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