Véra

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Alors qu'en Ugreterre se préparait la guerre, arriva à la cour un messager de Cubéria.

" Ho grand monarque des Ugres, issu de la plus grande lignée d'entre toute, quel reproche m'adresse tu ? Pour avoir en un coup encellulé celui et celle qui un jour sur mon trône s'assiéront. Peut-être est-ce là la conséquence des fâcheux événements qui ont tourmenté le bourg de Bordes ? Ils ne sont pas de mon fait. Moi qui venait vers toi chargé de présents et qui ai à leur tête dépêché la chair de ma chair, peut-être ai-je éveillé jalousie chez monarque qui vous tient en moins haute estime que moi. Probablement devriez-vous porter votre regard plus à l'ouest, mais par les liens sacrés qui nous unissent, rendez à Sargonne ses héritiers et au père son fils. "

Le roi Yder refusa promptement et le contraire eut suscité grand étonnement. Néanmoins, ses certitudes vacillèrent et l'idée que le coupable ne fut pas celui que les faits désignaient germa en son esprit. L'ennemi pouvait être plus vil plus malveillant que celui auquel il croyait.

Arriva un jour plus tard un courrier Exinien porteur d'un message empreint de l'irritation qu'engendre une formidable injuste. 

"Au petit roi des lâches. Je n'ai cure de vos querelles avec votre voisin. Quel à été la faute commise par ma fille ? Celui de s'être mariée au fils de votre agresseur ? Il eut été de bon aloi de ne point vous engendrer trop d'ennemis en même temps et de rendre une enfant exinienne à sa partie lorsque celle-ci n'est aucunement l'origine de votre offense. Il serait fâcheux qu'il lui soit arrivé quelque mal que ce soit et seul le prompt renvois de la princesse en ses terres serait à même d'apaiser mon courroux. "

Bien qu'il n'était un mystère pour personne que ces deux rois étaient odieux l’un à l’autre, les mots choisis par Bertrand étaient outrageantes et il n'eut pour seule réponse que l'emprisonnement de son messager. 

Les agissements qui en decoulèrent furent en tout point conformes aux certitudes que pouvait sous-entendre pareille situation et, n’ayant rien à se reprocher, le royaume d’Exinie n’était pas disposé à se montrer patient. La clameur populaire ne tarda pas à se faire entendre et les puissants des cinq comtés observaient leur souverain afin qu'en la réponse qu'il donnerait il ne les déshonore.

Gaïl le Vénérable, Mémoires du Monde d'Omne

***

Véra, la reine mère, assise sur une chaire marquetée et richement incrustée de cuivre et d’ivoire, se tenait droite, les mains posées sur ses jambes. Depuis la mort du roi Thibérion, elle n’avait jamais quitté sa longue robe de deuil et portait toujours une guimpe qui voilait son cou, ses épaules et ses longs cheveux blond vénitien. Les habits sombres mettaient en valeur le teint pâle de son visage en olive et le tissu serré contre son cou rehaussait la rondeur de ses joues. Son nez fin, long et droit était couronné par deux grands yeux clairs imprégnés de mystère. Son corps au port altier, élégant et élancé, avait peu souffert des ravages du temps. Elle était la personnification de la dignité. Caribéris, venu lui rendre visite dans sa chambre, avait en rentrant congédié sa dame de compagnie. La chose était suffisamment rare pour que Véra s’en étonne.

— Tu dois être bien embêté pour venir demander me demander conseil. Quels irrésistibles tourments te mènent à moi mon fils ? 

— Je suis à la croisée des chemins mère, j’ai une décision difficile à prendre et j’aimerais votre avis.

L’auguste femme releva la tête et admira un instant les impressionnantes tapisseries qui recouvraient les murs de ses appartements. Il n’y était mis en scène que des combats menés par les rois précédents. Contre des rivaux, contre des royaumes, contre des envahisseurs et même contre des bêtes fantastiques. Le conflit, le sang, la mort, représentés de manière crue et réaliste, entouraient quotidiennement Véra comme un reflet de la longue et répétitive aventure humaine.

— Est-ce au sujet de la guerre qui se prépare face au Grandval ? demanda-t-elle.

— C’est lié, mais disons plutôt que je veux en façonner la suite. Je pense adopter de nouvelles croyances religieuses. 

— Pour projeter des suites à donner à une guerre, il faut commencer par la gagner. Pourquoi une telle fantaisie alors qu’elle n’en est qu’à ses préparatifs ? 

Caribéris tourna les yeux vers une statue située à sa gauche. Les chandelles réparties en grand nombre dans la pièce, la tintait d’une lueur cuivrée. Elle représentait Claudion, le roi fondateur de la dynastie des Gargandra, tuant une vouivre. La sculpture était primitive, les détails grossiers. Mais il s’en dégageait un sentiment de vivacité et de puissance, immanentes à l’histoire de Sargonne. Le pied fermement ancré sur la tête de la bête, l’épée s’abattant sur son cou, elle était le symbole d’une volonté de fer terrassant une force supérieure.

— Malgré l’avertissement personnifié par mon prestigieux ancêtre, je n’ai aucun doute sur notre capacité à écraser l’ennemi, répondit-il sans quitter l’objet des yeux. Nous nous préparons à réquisitionner les meilleurs soldats d’Exinie et d’Ugreterre, ces tribus barbares ne feront pas le poids. Mais serons-nous capables de garder notre royaume une fois notre territoire agrandi ? Si nous nous en remettons aux pays de l’ouest, c’est avant tout parce que nous ne pouvons-nous permettre d’affaiblir notre armée. Nous savons que derrière le masque de la courtoisie se cache chez eux la haine de Sargonne. Notre stratégie repose davantage sur la nécessité de les affaiblir plutôt que sur un réel besoin de leur soutien. Comprenez, cela va bientôt faire deux siècles que nous régnons sur le Thésan et rien n’a changé, on ne peut se focaliser vers un point sans se méfier de la direction opposée.

— Oui tes ancêtres ont toujours dû composer avec ce problème, mais que vient faire la religion là-dedans ? 

— Une grande partie du peuple thésanais est converti à une nouvelle religion nommée le kaolisme. 

— Une de plus oui, ta femme est d’origine maubodrienne, elle priait Samal, avant qu’elle ne se convertisse pour t’épouser. Le savais-tu ? 

— Bien sûr mère, elle ne me cache rien. 

— Mais en quoi ces kaolites peuvent-ils t’être plus utiles que les cinq ? 

— C’est une croyance très différente. Les cinq sont craints, mais le peuple les honore par intérêt. Dans le Kaolisme, c’est exactement le contraire. Ils doivent respecter la volonté divine et s’y plier. Cela donne un cadre. Les cérémonies ainsi que les règles sont communes à tous, quelle que soit l’origine de chacun. Le monde lui-même a un début et même une fin qui unit tous les êtres vivants dans une destinée commune : la mort n’est qu’une renaissance. J’y vois un formidable moyen de faire naître l’unité sur le Thésan. 

Véra eut un sourire dubitatif.

— Cela fait beaucoup de concepts auxquels nous ne sommes pas familiers. N’as-tu pas peur, au contraire, de créer une scission avec ton propre peuple ? 

— Si ! Et c’est bien pour cela que je vous demande conseil, avoua humblement le monarque. Malgré tout... Les bénéfices seraient grands. En m’érigeant comme protecteur des kaolites, bon nombre d’exiniens, d’ugres, de maubodriens, de systagénois et j’en passe, auraient intérêt à voir mon autorité dépasser celle de leur propre roi. Si les peuples me soutiennent, qu’importe leur suzerain. 

— Le pari est risqué, mais pas fou. Tu as tout à fait raison, les personnes, quelle que soit leur position, sont beaucoup plus attachées à leurs avantages qu’à leur roi. Nous en savons quelque chose. Mais dans ce cas, pourquoi ne pas te tourner vers Samal ? Ta femme pourrait être un appui de poids. 

— Parce que Samal est un dieu tout-puissant et ses adorateurs n’ont de compte à rendre qu’à lui. Chez les kaolites, il est la part matérielle de Kao qui édifia le monde et à ce titre ils l’honorent comme une fraction de leur dieu. Cette vision est bien plus cohérente avec mon statut de souverain qui bâtit un royaume, car elle s’inscrit dans la continuité de son œuvre. Ainsi, en façonnant le monde que Samal a construit, le roi perpétue l’ambition divine et il devient une part de Kao. Dans l’ordre des choses, un kaolite n’aura d’autre choix que de me placer au-dessus des rois. 

La reine mère parut profondément troublée. Elle répondit néanmoins :

— Mais le peuple abandonnera-t-il des dieux qui récompensent pour un dieu qui impose ? 

— Vous le savez mère, le monde ecclésiastique s’effondre. La résurgence de ces religions venues du passé n’est pas complètement désintéressée. Elles garantissent la vie éternelle. Les cinq quant à eux, ont toujours divisé et plus nous nous éloignons du jour de leur disparition, plus les citoyens doutent de ce qu’ils étaient. Les choses changent, il faut faire preuve d’audace pour donner une nouvelle direction à l’histoire. 

Véra tentait de rester digne, mais des larmes coulaient sur ses joues. Caribéris l’attira vers lui et la prit dans ses bras. 

— Que vous arrive-t-il mère ? 

— Ne t’inquiète pas mon fils, ce sont des larmes de joie. 

Elle se recula légèrement pour le regarder dans les yeux et dans sa voix, la fierté se mêla à la tristesse.

— Tu n’étais même pas destiné à régner, mais ton grand frère est mort alors que tu avais à peine quatre ans. Lorsque, huit ans plus tard, ton père est parti à son tour, j’étais effondrée et le synarchéin mettait le Thésan à feu et à sang. Tu avais seulement douze ans et les barons voulaient notre mort. C’est toi qui m’as donné la force de me battre, je voulais t’assurer un avenir même si je ne pensais pas voir un jour la fin du cauchemar. Et te voilà devenu un fin stratège, te voilà avec des idées qui vont bouleverser le cours des choses en profondeur. Tu seras probablement vu comme l’un des plus grands Gargandra, le nom de Caribéris fera oublier celui d’Yvanion. 

La reine mère s’échappa de l’étreinte de son fils, essuya ses larmes et se ressaisit. Ses sanglots avaient complètement disparu lorsqu’elle reprit froidement :

— Je me convertirais au kaolisme pour t’aider à endoctriner le peuple. Mais toi, ne renie surtout pas les cinq, joue le jeu des confessions qui cohabiteront, tu dois être celui qui rassemble. Tout ce que tu as à faire c’est autoriser la liberté de culte. Interdis les persécutions religieuses et trouve à ces kaolites une figure, une autorité qui fasse le lien entre toi, Kao et eux. 

— J’ai peut-être déjà quelqu’un qui pourrait jouer ce rôle, je dois juste attendre qu’il prenne sa décision. 

— Il n’est pas intéressé ? 

— Il est fanatique. Il a été jeté au cachot pour trouble à l’ordre public, mais il est éloquent et maîtrise l’art de convaincre. J’ai semé les graines du changement dans son esprit, il ne reste plus qu’à attendre de voir si elles prennent. Il a trois jours pour répondre. 

— Nous ne pouvons nous permettre de nous en remettre au hasard. Dis-moi où il se trouve, je me charge de le rallier à ta cause. 

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