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Est-ce ici ? Est-ce l’endroit ?

Depuis que la pente a faibli, le ruisseau s’est élargi en un chapelet de mares. La dernière, bien plus vaste que ses sœurs, s'étire jusqu'à former un lac aux eaux noires, adossé à de hautes murailles de pierre. Tout autour, les pans des buttes boisées sont un écrin moucheté d’émeraude et de rouille aussi dense qu’un pelage. À l’exception des écureuils et de quelques limaces, vous n’avez croisé aucune bête depuis l’aube et le silence, en ces lieux, est presque inquiétant.

Le jour a décliné. S’il demeure clair, le ciel s’est paré d’un gris pâle rosissant légèrement au-dessus des parois rocheuses. Vous arpentez les rives du lac à la recherche d’un nouveau cours, d’un débord vers des terres en aval, d’un chemin pouvant vous conduire dans les profondeurs cachées, mais il n’y a rien. Il semble que vous y soyez.

« Les efforts de la marche auront avivé tes effluves humains. Lorsque tu arriveras, lave-toi. » À regrets, vous ouvrez l’épaisse houppelande de peau retournée offerte par l’homme, dénouez la corde retenant le plaid qui couvre vos jambes nues, retirez les bottes fourrées bien trop grandes pour vos pieds et approchez du rivage. L’eau brune vous rend votre reflet. Ce lac a-t-il seulement un fond ? À l’aide d’une branche, vous sondez les abords vaseux et avisez enfin une avancée plus douce que les autres. Une longue inspiration gonfle votre courage autant que vos poumons. Il est temps.

À peine plongés dans le froid mordant du lac, vos pieds se recroquevillent et une crampe féroce s’empare de votre mollet gauche, vous invitant à rebrousser chemin. Mais la nécessité sait se faire plus forte que la souffrance : les dents serrées, vous pressez le pas jusqu’à ce que l’eau vous arrive à la taille. Vos dents claquent et votre respiration s’est accélérée. Les pulsations de votre cœur battent à vos tympans. Dans le ciel, la lueur du jour s’est fanée et l’obscurité progresse sur la vallée en une nappe plus oppressante encore que le silence. Il faut faire vite. De vos ongles courts, vous grattez la peau de vos jambes, vos bras, votre ventre, vous frottez jusqu’à ce que l’irritation vous réchauffe, rincez votre corps de vos mains en coupe, frottez de nouveau, pliez vos jambes pour un bain complet qui vous coupe le souffle et ressortez aussi vite que possible.

Pour achever la « toilette », vous vous roulez dans les feuilles mortes et l’humus avant d’enfiler vos frusques d’une main tremblante. Brindilles et aiguilles de pins se sont prises dans vos cheveux que vous nouez en une tresse brouillonne qui dégouline sur le cuir de la houppelande.

Le froid est tel que même dans la pénombre vous percevez la teinte bleutée qui fonce vos ongles et qu’aucun ébrouement ne parvient à interrompre le claquement de vos mâchoires. Enroulée dans la peau à l’odeur d’étable, vous vous pelotonnez au pied d’un hêtre tortueux dans l’espoir de vous réchauffer. À quelque distance, un tapis de châtaignes dans leurs bogues vertes attise la faim qui s’est de nouveau emparée de vous. Accepteraient-ils un feu ? Non, vous ne le pouvez pas, ne l’osez pas. Quelle folie ce serait de tout gâcher maintenant !

Avant l’obscurité complète, vous décidez de tirer du bois mort jusqu’au pied de l’arbre, le dressez contre les branches les plus basses pour établir un abri précaire que vous couvrez de fougères et de mousses et dont vous tapissez l’intérieur des feuilles mortes les plus sèches que vous trouvez. La couchette de fortune craque et crépite lorsque vous vous y allongez, les pieds en avant, mais bientôt la hutte s’emplit d’une douce tiédeur qui vous protègera de l’air nocturne. Les poussières humides font naître quelques éternuements vite calmés et vous tentez de ne pas songer aux insectes et autres rampants qui hument votre peau et se glissent dans les replis de vos habits. La lune n’est pas encore visible. La nuit sera longue.

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