Pauvre commencement

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Au sommet de la colline d'Alrask surplombant le champ de bataille, le carrosse du consul était là, à l'arrêt. Onmal et Oniress s'y prélassaient tranquillement, protégés du soleil par des tentures de soie. Autour d'eux, ils étaient une cinquantaine de licteurs, dévoués et implacables, pistolets au poing et regard alerte. Plus bas, des lanciers préparaient leurs armes. Ils s'empressaient de prendre position, courants comme des fourmis avant de s'assembler d'un seul homme en des carrés parfaits qui s'hérissaient de pointes. Devant eux, les arbalétriers s'étalaient en trois lignes parfaitement droites, encadrées par des officiers constamment en alerte, prêts à donner l'ordre de repli. Pour cause, les arbalétriers étaient en première ligne, et les troupes de mêlée se tenaient derrière eux, prêts à intervenir. Onmal avait formé des rangs compacts de lanciers et avait placé au centre, comme noyau dur de son armée, des hommes d'armes en armure lourde, équipés de masses d'armes et de boucliers. Une force de mêlée résistante pour faire graviter le reste autour d'eux. Sur les flancs avaient été déployées des troupes d'assaut. Des mercenaires pour la plupart, dont le consul s'était payé les services au dernier moment. Ces combattants sans loi ni pitié brandissaient des coutelas et des cimeterres barbelés en riant d'avance à l'idée du massacre et du butin qui les attendait. Le tout se fondait de loin en une marée d'uniformes multicolores, bleus, verts, violets, turquoises et mauves; et d'armures noires. Des aumôniers passaient dans les rangs en répandant de l'encens et en prêchant la parole de Methrovirsk pour motiver les hommes.
Le déploiement était somme toute classique. La victoire dépendrait de la faculté de réaction du consul, ainsi que de son utilisation des atouts qu'il lui restait en réserve.
Les canons étaient des engins rares et coûteux; malgré tout, Onmal était parvenu à se procurer trois magnifiques pièces d'artillerie. Entourées d'essaims de servants et ingénieurs, les trois gueules d'airain lorgnaient la plaine depuis le sommet de la colline. Le consul ne s'était que rarement servi de telles armes, mais il en savait beaucoup sur leur potentiel dévastateur.
Sur le côté de l'armée, auréolé d'une lumière surnaturelle qui faisait reluire son armure argentée, le haut prêtre Mandranngar de Cieldr s'agitait furieusement. C'avait été une agréable surprise pour Onmal d'apprendre que le saint homme désirait se joindre à eux dans cette bataille. Mandranngar s'était justifié, disant que Vinrek ne serait sauvée que si Onmal était élu commandeur sérénissime de la ville. Pensant accomplir par la même la volonté de Methrovirsk, il s'était joint à l'armée du consul pour lui accorder comme soutien les pouvoirs de son dieu. Le clerc avait le crâne aussi bien que le visage rasés de près, et portait une robe de mailles sous son imposante cuirasse. D'une seule main il brandissait un redoutable marteau enchanté dont les runes sacrées décuplaient d'éclat à chacun de ses cris guerriers, tandis que de l'autre main il tenait un épais livre de prière relié à sa ceinture par une chaîne d'acier. Il s'agitait frénétiquement, psalmodiant des verbes sacrés et murmurant des imprécations à l'encontre de l'ennemi.
Sur la colline, à gauche du carrosse, se tenait un homme d'un tout autre genre. Revêtu d'une toge magenta et coiffé d'un turban. Il se tenait là, les bras croisés en contemplant le champs de bataille de ses yeux vitreux. C'était un puissant sorcier occultiste, célèbre pour ses capacités de destructeur. Il répondait au nom d'Anal Shapnyr, et Onmal le connaissait très bien. Le consul avait pu négocier sa participation à la bataille en jouant sur une ancienne dette que lui devait le sorcier. On voyait bien derrière sa barbe noire et sale que l'occultiste ne désirait rien moins qu'être là. Certains prétendaient que ces pouvoirs lui avaient fait entrevoir les futurs possibles pour le déroulement de cette bataille, et que bon nombre d'entre eux étaient funestes.
Oniress avait passé les semaines précédentes à étudier les cartes tactiques de la région, et rien n'avait été plus facile pour elle que de déterminer le lieu idéal pour intercepter la horde. Onmal et Oniress, à eux deux, étaient sûrs de pouvoir se constituer une stratégie à même d'anéantir n'importe quelle adversaire. Les bêtes n'étaient pas connues pour l'intelligence de leurs tactiques, ils abordaient donc la chose avec un certain optimisme.
- "Les bêtes ont deux principaux points faibles." Avait déclaré fièrement Onmal. "L'absence de cavalerie et l'absence d'armes de tir. Leur technologie primitive les limite tellement qu'ils ne peuvent pas envisager d'autres tactiques que foncer bêtement et le plus vite possible de sorte à engager la mêlée. Pour les contrer, il faut placer ses armes à distance au mieux pour les cribler de tirs le temps qu'ils approchent, puis, sitôt que le contact devient inévitable, leur opposer une ligne solide capable de les contenir tandis qu'on charge de flanc avec les troupes capables d'infliger le plus de dégâts."
Mais Oniress avait ajouté une idée.
- "Nous ne devons pas leur laisser la possibilité de fuir une éventuelle charge. Le mieux est de garder notre cavalerie loin derrière et de lui faire suivre un chemin détourné. Au moment où les bêtes parviendront au contact, la cavalerie les prendra de dos. Étant donné le peu de discipline dont ils disposent, cela suffira à signer leur perte.
- Excellente idée !" S'était exclamé Onmal. "Nous enverrons nos chasseurs à cheval escorter la cavalerie lourde pour éviter qu'ils se perdent. Mais alors nous n'aurons plus de cavalerie légère pour harceler les flancs.
- Qu'importe. Si cette seule charge de nos hussards réussit, la bataille sera déjà terminée."
Aussi, désormais, dans leur carrosse, Onmal et Oniress étaient bien embêtés face au dernier chasseur qui soit revenu vivant.
- "Comment ça tous morts ?!" Cria le consul. Oniress lui fit signe de parler plus bas. Si la rumeur se répandait, cela pourrait causer la panique chez leurs soldats.
L'homme qui était devant eux avait les mains encore toutes tremblantes, son regard perdu dans le vide, comme s'il avait peur en regardant leurs visage de revoir quelque chose qui le terrifiait.
- "Je sais ce que je dis." Articula-t-il enfin. "Moi aussi j'ai du mal à y croire. Jusque là les hordes fonctionnaient simplement comme des bandes indisciplinées d'animaux marchant sans réfléchir en détruisant tout. Mais cette maudite bête rouge…" il s'interrompit un instant, comme perdu dans ses pensées. "On ne pouvait pas savoir qu'ils utilisaient des éclaireurs. Comment on aurait pu s'en douter ? C'était une première dans l'histoire. On est d'abord tombés sur quelques petites bêtes, des sans cornes avec des groins et qui manipulaient des sortes d'arcs rudimentaires. On s'est pas posé de question lors de la première escarmouche. Ils ont finalement attendu qu'on entre dans la forêt et là…" il s'arrêta. Tous les muscles de son corps venaient de se crisper. "Un massacre… partout… dans le marais on avait aucune chances. Ils ont d'abord buté les chevaux puis ils se sont mis à fracasser les crânes et trancher les gorges des gars tombés dans la boue en armure lourde. Les chasseurs on avait un peu plus de chance… en théorie. Il en venait de partout. Ils étaient parfaitement embusqués, dans les arbres, sous la boue… partout. Pas un seul survivant à part moi. Je ne veux pas vous dire ce qu'ils ont fait aux cadavres… je ne veux pas m'en souvenir…"
Onmal eut un grognement. Il passa un bras hors du carrosse et appela un licteur.
- "Veuillez accompagner cet homme chez les cantinières. Veillez à ce qu'il ne parle à personne."
Le chasseur partit avec le licteur, laissant Onmal et Oniress se concerter.
- "Nous espérions une victoire rapide," dit Oniress, "mais sans cette charge nous n'avons pas le choix. Il faudra combattre jusqu'au bout, quitte à finalement laisser la horde se disperser.
- Je sais." fit Onmal. "Ce qui m'inquiète, c'est aussi cette histoire d'archers. De mémoire d'homme, jamais les bêtes n'ont employé d'armes à distance."
Il avait le sentiment de s'enfoncer tête la première dans un piège. Mais non, c'était ridicule. Ce n'étaient que des animaux, peut être tendaient-ils des embuscades, les loups aussi le faisaient. De là à dire que c'étaient des éclaireurs envoyés par la bête rouge…

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