Choc

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Le temps était compté. Chacun se précipitait vers son poste. L'air se chargeait de toute la tension de ces hommes qui retenaient leur souffle, attendant autant qu'ils le redoutaient le moment où ils devraient se servir de leurs bras pour se battre et survivre.
En face avançaient les bêtes. Créatures à l'aspect d'animaux dont les vestiges d'humanité ne servaient qu'à rendre plus ignobles leurs caractères bestiaux. La seule vision de ces choses était effroyable car ils étaient la dégénérescence absolue de l'homme, dépravés autant que des animaux peuvent l'être et vicieux comme seuls des humains peuvent l'être. Leur parodie d'organisation martiale alors qu'ils marchaient en rangs irréguliers et brandissaient des étendards rudimentaires faits de peau tannée ne faisait que rendre plus intolérable la vision cauchemardesque des animaux bipèdes dont la multitude de cornes toutes plus difformes les unes que les autres éveillait chez les humains une terreur primaire. Leur rage primitive et leur furie bestiale qui s'échappait à chacun de leurs grognements bestiaux semblaient une masse inébranlable de haine et d'injures qui se précipitait sur les humains pour les écraser. Malgré l'absence de mot, remplacés par des reniflements de mufles et des claquements de sabots durs sur le sol, les humains comprenaient jusqu'au plus profond de leurs âmes ce que cette marche funeste annonçait: «nous sommes les bêtes, nous sommes là pour vous détruire vous et vos pitoyables civilisations, tout ce que vous connaissez et tout ce que vous avez construit n'est que vanité sans but face à la toute puissance de la nature, nous sommes là pour le raser jusqu'aux fondations et ne vous laisser que des ruines salées sur lesquelles pleurer.»
Leurs poils encore luisant du sang de leurs victimes passées s'amoncelaient en une vague brunâtre et jaune. À leur tête avançait un corps massif, uniformément rouge, aussi brillant et à la fois annonciateur de ténèbres que le soleil couchant. Cette créature, plus grande et plus terrifiante que toutes les autres guidait ses séides, pointant les humains avec son sabre et faisant claquer un long fouet barbelé. La chose était montée sur un imposant char primitif tiré par des loups d'une taille monstrueuse. Aux roues du char étaient accrochées d'immenses lames de faux, menaçant quiconque oserait s'approcher de ce char une fois lancé en pleine course.
Onmal et Oniress observaient cette avance à la longue vue, sans bouger de leur carrosse. Les sentinelles leur avaient parlé de cette bête rouge, un dégénéré plus rusé, plus fort et plus brutal que les autres. C'était autour de lui que s'était rassemblée cette horde. Aux yeux des bêtes il était un messie.
Les tirs d'arbalète commencèrent à se déchaîner aussitôt que les hardes bestiales furent à portée. Avec des claquements secs, les carreaux s'envolèrent en sifflant et vinrent perforer leurs cibles avec une impitoyable violence. Les pointes acérées traversaient sans peine les armures rudimentaires et mal entretenues des cornus qui encaissaient avec des grognements et des cris gutturaux. Un aboiement de leur chef et les créatures pressèrent le pas. C'était inhabituel. D'ordinaire les bêtes couraient jusqu'à leurs adversaires, quitte à arriver devant eux essoufflés, mais en l'occurrence le maître de la horde savait retenir ses troupes.
Les animaux commençaient à tomber sous le barrage de tirs. Avec des gémissements de frustration, les guerriers qui n'étaient même pas encore parvenus jusque devant l'ennemi expiraient, leurs corps massifs s'écroulant sous le poids des carreaux fichés dans leur chair.
Les arbalétriers envoyaient un feu nourri. Les trois rangs se relayant sans cesse pour tirer puis recharger. Leurs arbalètes étaient des modèles à répétition, un simple geste permettait de recharger en quelques secondes, et la pluie de tirs ne s'interrompait que quand un arbalétrier tombait à court de munitions, et aussitôt des valets qui faisaient la navette depuis l'arrière leurs ramenaient de quoi continuer à tirer sans ralentir. Il était vital d'infliger le plus de dégâts possible à la horde à ce moment là. Onmal et Oniress savaient que c'était sur cette partie du plan que reposait leur dernier espoir d'une bataille rapide. Il leur fallait profiter de ce moment où les bêtes étaient incapables de riposter pour briser leur moral, et ceci fait, les animaux ne seraient plus capables de tenir une longue bataille et s'enfuiraient rapidement.
Tout était une question de synchronisation. Alors que les arquebusiers tiraient, les lanciers derrière eux se tenaient aux aguets du signal de leurs officiers, lesquels guettaient l'avance des bêtes avec appréhension. Il leur fallait réagir le plus tard possible, mais à temps tout de même.
Finalement, avançant sous la grêle de tirs, les monstres vinrent assez près des arquebusiers pour que ceux ci puissent sentir leur haleine putride. Les guerriers bêtes poussèrent des cris de fureur primitive en brandissant leurs haches, leurs fauchons, leurs gourdins et leurs fléaux, et ils se ruèrent sur les arquebusiers, accélérant l'allure de leurs sabots, lentement d'abord, puis de plus en plus vite jusqu'à galoper sur les derniers mètres. Les officiers hurlèrent leurs ordres avec de grands gestes, les arbalètes lâchèrent leurs dernières volées, puis les soldats lâchèrent tout et reculèrent au pas de course, talonnés par des monstres cornus. L'armée se remit en branle, chaque unité se déplaçant en parfaite synchronisation comme les rouages d'une grande horloge. Les arbalétriers reculèrent, les lanciers avancèrent. Cela au moins se passa parfaitement tel qu'il était prévu. Quelques arbalétriers furent massacrés en hurlant par des animaux assoiffés de sang, mais le choc de la charge à proprement parler se heurta à un mur de piquiers préparés qui les attendaient de pied ferme et encaissèrent tout avec flegme et maîtrise. Les hommes d'arme du centre donnèrent l'exemple en massacrant une première vague de bêtes dans une confrontation féroce, forçant la ligne adverse à se reculer ce qui brisa définitivement l'élan de la charge. Les lanciers tinrent tant bien que mal, leurs carrés étant désorganisés par les charges tonitruantes de ces bêtes féroces qui s'approchaient trop près pour que leurs lances puissent frapper. En plusieurs endroits ils durent lâcher leurs piques et dégainer les sabres et les dagues qu'ils avaient à la ceinture pour entrer dans le combat rapproché.
Sur les flancs, les mercenaires amorcèrent une manœuvre de recouvrement pour tenter de frapper les bêtes directement sur leurs flancs. À la gauche de l'armée, les mercenaires parvinrent à prendre leurs ennemis par surprise, engageant un combat d'une violence inouïe. Les bêtes ripostaient avec un zèle surprenant, et en quelques instants les cadavres s'amoncelèrent dans les deux camps. Sur le flanc droit en revanche, la manœuvre fut balayée par une charge inattendue. Cachés au milieu de la masse vivante de bêtes, des chars par dizaines se préparaient à attaquer de flanc. Menés par un aurige au poil noir dont la tête de chèvre était surmontée de cornes pointues et d'une crinière de plumes violacées, les véhicules primitifs se mirent en branle et jaillirent des rangs bestiaux, tractés par des bêtes quadrupèdes aux difformités outrageantes. Les mercenaires ne purent rien faire. Ils furent frappés de plein fouet par ces chariots de bois et de métal rouillé, piétinés par des animaux difformes, et fauchés par les passagers des chars qui maniaient faux et hallebarde avec une rage sanguinaire. Ceux qui survécurent à cette tempête de roues, de métal et de sabots virent alors l'infanterie des bêtes leur fondre dessus pour les mettre en pièces.
Le reste détala à toutes jambes, jugeant qu'ils n'étaient pas assez payés pour faire face à un tel déchaînement de violence. Mais leur fuite fut stoppée net par l'action d'un seul homme.
Mandranngar de Cieldr marcha à la rencontre des mercenaires, son crâne lisse auréolé d'une lumière divine. Il parla, et chacun de ses mots résonnait comme un gong qui réveillait une part endormie des esprits. Il prononça une prière à Methrovirsk et leva son marteau qui s'illumina d'un feu si intense que l'on eut cru que son fer avait disparu.
Une lumière divine, chaude et rassurante, surgit de nulle part et vint envelopper de sa radiance chaque soldat de l'armée. Passée la surprise quand à ce miracle, les soldats reprirent courage, tandis que les monstres reculaient, aveuglés par ce feu béni qui leur était anathème. Les humains sentirent une vigueur nouvelle parcourir leurs veines, et poussèrent un cri à l'unisson tandis qu'ils frappaient avec plus de force et de dextérité.
Le consul se félicitait que le prêtre soit venu. Onmal fit envoyer un ordre aux canons par l'intermédiaire de ses licteurs. C'était pour faire face à ce genre de situations qu'ils avaient placé les pièces d'artillerie sur la colline, à l'arrière. Les armes furent chargées et orientées vers les chars.
Ceux ci avaient totalement percé les lignes humaines. Leur formation amorçait un virage, se préparant à charger de nouveau mais de dos cette fois-ci, ce qui causerait inévitablement des dommages colossaux.
Les mèches furent allumées.
La première volée frappa la tête de la formation, les boulets traversant les structures branlantes des chars en déchirant et brisant tout avant de s'enfoncer profondément dans le sol. Le char de tête de l'aurige à plumes vit une roue être arrachée en même temps que la moitié du char. Le conducteur s'agrippa à ses rênes, mais il glissa de son compartiment, et se retrouva au sol, empêtré dans ses rênes, tandis que l'autre moitié du véhicule basculait par dessus lui. Il fut traîné sur le sol, écorché vif jusqu'à ce que mort s'ensuive. Une deuxième volée de tir fut ordonnée, deux boulets partirent tandis que le troisième canon faisait long feu. Puis une troisième volée partit des deux canons encore fonctionnels pendant que les servants s'affairaient à régler le problème du troisième canon. Les sept boulets qui partirent au total détruisirent maints chars, et les chariots qui les suivaient furent stoppés dans leur élan ou ne se stoppèrent pas et virent leurs essieux se briser sur les restes des chariots détruits. Il en résultat un grand désordre, car la masse de chars en mouvement ne pouvait que difficilement s'arrêter, et finalement à force de se percuter et de se piétiner les uns les autres, toute la formation fut arrêtée et déboussolée. Dénués de chef et dépourvus d'élan pour charger, les chariots des bêtes furent à la merci de la contre attaque des mercenaires menés par Mandranngar de Cieldr, qui les réduisirent proprement en charpie.
Onmal et Oniress sentirent tous deux un poids se libérer de leurs épaules. Cette charge de dos aurait pu être fatale pour toute leur armée. Pour autant, ils n'étaient pas tout à fait rassurés. C'était la première fois qu'une horde de bêtes réunissait de la sorte des dizaines de chars.

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