Interruption

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La salle des fêtes était une vaste pièce haute de plafond où régnait une atmosphère étouffante saturée de vin et des odeurs de banquet. Sur les murs étaient étendues des tentures rouges qui cumulées à la lumière rougeoyante des feux où tournaient des porcs à la broche, achevaient de donner à la salle son atmosphère irréelle. À la fois chaleureuse et suintante d'une froideur du plus grand snobisme.
Les sénateurs accompagnés des membres de leurs familles devisaient dans la joie et le vin. Sirotant, s'empiffrant, et courtisant à tout va. Un orchestre de troubadours jouait un air guilleret au rythme des occupations des aristocrates. Puis soudain, l'orchestre s'arrêta.
Un valet en livrée bleue coiffé d'une perruque fit irruption dans la salle accompagné d'une sonnerie de trompette. Tous prêtèrent attention, curieux de ce qui arrivait. Le valet cria d'une voix puissante:
- "Le consul et sénateur, sieur Onmal Ankassen."
À ces mots, le consul entra d'une démarche triomphante. La main toujours soudée au pommeau de son épée, et le torse bombé de plus belle.
- "Dame Oniress Ankassen." Annonça le valet.
L'intéressée entra lentement, scrutant les convives de son regard perçant tout en s'éventant. Elle portait une fine rapière à la ceinture, ce qui était assez unique pour une femme.
Elle esquissa une révérence à la salle et rejoignit Onmal d'un pas pressé.
Les autres convives regardaient ce couple avec curiosité. Un homme en pourpoint argenté et mauve, un verre de vin à la main, interpella un de ses compagnons pour l'interroger à leur sujet.
- "Qui est ce dénommé Ankassen au juste ?" Dit il innocemment.
Son interlocuteur n'était autre que le sénateur Irving, un vieillard chauve à l'allure de furet. Celui-ci, très au fait de la situation politique actuelle eut un petit rire amical en constatant l'ignorance de son ami.
- "Mon cher, Ankassen est la tête à connaître de nos jours. Chaque fois que je passe près d'une fenêtre j'entends les gueux de Vinrek prononcer son nom. Je n'ose imaginer ce que ce serait si je sortais dehors." Il se passa une main sur son crâne dégarni. "Que vous dire de plus ? Ce jeune coq a des origines aussi obscures que ses intentions. Une chose est sûre, c'est un chef charismatique. Quand à savoir si ses nombreuses victoires militaires sont à mettre sur le compte du talent ou de la fabulation, c'est une question sur laquelle il serait hasardeux de faire des affirmations.
- Et cette demoiselle, qui est elle ?
- Elle ? C'est Oniress Ankassen. Elle est toujours dans l'ombre du consul.
- C'est donc sa femme ?
- Nul ne sait vraiment quelle est leur relation." Dit il avec un haussement d'épaules. "Peut être est-ce sa femme. Peut être est-ce sa sœur. D'aucun prétendent qu'elle est peut être les deux. Mais plus sûrement la seule chose qu'ils partagent n'est que la soif de pouvoir et de reconnaissance. Ainsi peut être qu'un goût malsain pour les choses de la guerre."
L'orchestre avait recommencé à jouer. Le vin coulait à flot. Les rires résonnaient. Onmal et Oniress étaient plus ou moins tenus à l'écart par les autres sénateurs, surtout Oniress qui en tant que femme à l'aspect guerrière inspirait le mépris. Elle le rendait bien par ailleurs. Son regard aiguisé semblant jauger chaque personne avec attention et cruauté. Elle mesurait ses prochaines cibles et se délectait à la pensée du moment où elle les évincerait.
Onmal parlait avec tous ceux qui le voulaient bien, et n'hésitait pas à affirmer son assurance de gagner les prochaines élections, tout en offrant aux jeunes courtisanes des récits effrayants sur la nécessité de se mobiliser contre les bêtes sauvages.
C'est alors que l'orchestre s'arrêta sans coup férir.
Le même valet que plus tôt apparut derechef et s'excusa:
- "Messieurs les sénateurs, un messager prétend avoir un message d'importance capitale à transmettre au sénat." Voyant des protestations monter dans la salle, il tempéra en ajoutant: "Je sais que ces messieurs ne désirent pas être gênés dans leurs célébration quotidiennes, mais ce monsieur a fait valoir son droit de citoyen de voir le sénat, ainsi que l'urgence latente des informations qu'il apporte. Il a même été jusqu'à me menacer de son glaive. Aussi j'ai pris sur moi de l'annoncer."
Aussitôt, les magistrats reposèrent les morceaux de viande dégoulinants de gras dont leurs bouches étaient remplies et les verres de vin qu'ils tenaient à la main. Ils réajustèrent leurs perruques et leurs chapeaux, puis le messager entra.
C'était un soldat en livrée bleue de Vinrek, couvert de poussière, de boue et de traces de sang. Son allure avachie et ses jambes arquées témoignaient qu'il avait galopé un long moment. Il était entouré par quatre licteurs, dont le rôle était de protéger les magistrats de l'intrus.
Il mît un genou à terre devant les sénateur et déclara, la voix entrecoupée des signes d'un certain essoufflement:
- "Messieurs les sénateurs… je vous demande de m'excuser pour vous avoir interrompu, mais il est vital que vous preniez connaissance de l'information aussi vite que possible. Une horde de bêtes sauvages s'est formée avec à leur tête un monstre défiant tout ce que l'on connaissait jusque là… mais surtout… la horde est actuellement à moins de deux jours de marche de Vinrek et menace de marcher sur la ville elle même."
Un murmure d'appréhension parcourut la salle. Onmal et Oniress faisaient des messes basses, tandis qu'un sénateur déclarait impérieusement:
- "C'est intolérable ! Comment avez vous pu faire aussi mal votre travail ?
- Sauf votre respect messire," rétorqua le messager, "Nous avons fait tout ce qu'on pouvait. Après chaque échec, plus de créatures venaient grossir leurs rangs. Je suis le seul survivant et je n'ai pas quitté mon poste avant que mon supérieur m'ait ordonné de courir alerter Vinrek.
- Qu'importe vos excuses, vos efforts ont été insuffisants. Il n'est pas envisageable que le combat soit mené à la cité même. La panique que cela provoquerait serait terrible, sans parler des esclaves dont nous ne saurions que faire."
C'est alors qu'Onmal s'avança et prit la parole.
- "J'ai juré de protéger la cité contre ce genre de péril. Ne vous souciez plus de cette affaire, messieurs les magistrats. Je sais ce qu'il faut faire. Je vais moi même mener mes troupes en dehors de la ville et écraser cette armée avant qu'elle ne puisse croître encore plus. Je les arrêterai avant qu'ils ne puissent atteindre Vinrek, soyez en sûrs. C'est là ma transcendante mission."
Les autres sénateurs ne comprirent pas réellement à quoi il faisait allusion, mais ils approuvèrent tous d'un seul homme, trop heureux de voir le problème sortir du champ de leurs responsabilités, et satisfaits aussi à l'idée que le consul puisse y laisser la vie.
Onmal se précipita vers le messager et l'aida à se relever.
- "Mon brave, j'admire votre courage et votre dévouement. Dites moi tout ce qu'il faut savoir sur cette armée de bêtes, je veux connaître les moindres détails, leur organisation, leurs effectifs, et surtout: leur chef."
Le messager parut surpris, mais il s'adapta très vite.
- "Il vaut mieux partir aussi vite que possible." Dit-il. "Allons rassembler vos troupes et je vous exposerai tout ce que je sais en cour de route."

Onmal et Oniress s'éclipsèrent en compagnie du messager, vite rejoints par une douzaine de licteurs de la garde personnelle du consul. Les autres sénateurs attendirent qu'ils se soient éloignés, puis l'un d'entre eux aboya un ordre. L'orchestre se remit à jouer, et la fête reprit dans l'insouciance.

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