5. Retour au bièrecail

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Je retrouvai l’ambiance cosy de mon appartement. J’ôtai ma veste et aperçus un paquet sur le comptoir de la cuisine. Il était finement emballé et accompagné d’une carte :

Petit cadeau de bienvenue

À très bientôt, si Dieu le veut bien

- June -

En l’ouvrant je découvris la machine à boisson qu’elle avait fabriquée plus tôt dans le Cloud. Je débranchai immédiatement ma vieille cafetière toute chlorée et la remplaçai par cette petite merveille qui elle, ne s’entartrerait pas.

Eau, thé, café, soda, jus pressé, smoothies et boissons moins chrétiennes, elle pouvait tout distribuer et disposait d’un éventail de parfum disproportionné. Je décidai de la nommer « June O’ Matic ».

Je m’installai ensuite dans mon canapé en regardant attentivement mon nouveau portable. Je repensai à cet après midi à l’Everest Building en ayant du mal à croire que tout cela était réel. Me voilà maintenant Séraphin, agent du Paradis à votre service. Je commençai à me demander qui j’allais aider en premier. Serait-ce une personne croisée au hasard dans la rue ou bien un proche ? Je pensai à mes connaissances en me penchant sur leurs difficultés et une personne sortit du lot : Gwen.

Elle n’avait pas de chance avec ses parents, son père disparu quand elle avait six ans et sa mère enchainait les dépressions depuis une dizaine d’années, délaissant sa fille unique pour des mecs sans prétention et de l’alcool. Gwen s’est lancée dans la vie active en alternant les petits boulots et, en parallèle, suivie des cours de théâtre. Elle aspirait à devenir une actrice reconnue et pour son premier rôle, elle jouait une femme de chambre tombant amoureuse d’un grand propriétaire terrien, le tout sur un fond de campagne anglaise début dix-neuvième siècle.

Lorsque je l’ai rencontrée il y a trois ans, elle habitait avec un type violent nommé Ben. Elle affichait régulièrement des bleus et ne donnait parfois aucun signe de vie pendant plusieurs jours. Quand elle réapparaissait, elle arborait toujours un sourire radieux qui masquait son calvaire. Après sa rupture, j’ai réussis à la convaincre d’emménager chez moi provisoirement ; pour la protéger de ce sociopathe qui ne lâchait pas l’affaire. C’est durant cette période que nous sommes vraiment devenus amis. Des rituels ont commencé à se mettre en place tel que le fameux Sushi-Game of Thrones, incontournable du lundi soir ou encore les sorties à vélo le long de la promenade du Brooklyn Bridge Park.

Bref, je suis presque tombé amoureux d’elle.

Ce que je retenais de tout ça, c’est qu’à cause de ce mec, elle a quitté le milieu du cinéma et dit au revoir à sa carrière. Je tenais un début de piste, si j’arrivais à aider Gwen à remonter sur scène et à punir son ex, je ferais d’une pierre deux coups. Pas mal pour un début. Avant de partir en guerre contre les salauds de ce monde, je devais apprendre à me servir de l’Edenphone, histoire de faire mieux que ma glace bourguignonne.

Je commençai par fouiller dans les paramètres pour y trouver un guide d’utilisation. Après un bon quart d’heure de lecture, je compris un peu plus le fonctionnement de l’appareil et les règles associées.

J’observai les divers éléments de mon appartement en me demandant ce que je pourrais bien arranger, histoire de m'exercer. Je suivis le conseil de June et visai petit, un simple mug ébréché ferait l’affaire. Je m’en saisi, le posai sur la table du salon et m’assis face à lui. Après un clique sur l’option « réparer », une étincelle blanche s’engouffra dans le sillon, brilla un instant et s’éteint. J'avais désormais devant moi une tasse flambant neuve.

Génial ! Et si je le remplissait ? pensai-je.

Un liquide brun et fumant commença à s’élever et des guimauves surgirent de sous la mousse. J’y trempai les lèvres, avalai une gorgée et reposai le mug, content de mon oeuvre.

Autre chose, je dois essayer autre chose.

Je fis le tour de l’appartement en réparant mes affaires usées : des vêtements troués ; une porte de placard grinçante ; mes cordes de guitares oxydées ; ma chasse d'eau défectueuse et tout un tas de bricoles.

Après ce qu’il m’a paru être la plus belle heure d'amusement de ma vie, la sonnerie du téléphone me ramena les pieds sur terre.

— Salut Frank, qu’est-ce que je peux faire pour toi ? lançai-je en guise de salutation.

— Ah ah, salut ! Dis-moi, est-ce que tu es dispo disons, tout de suite ?

— Je range un peu l’appart mais je n’ai rien d’important en vue, pourquoi ?

— Pour faire court, je déménage et je me retrouve tout seul avec mon frigo devant l’immeuble.

— Ah ! qu’est-ce qu’il c’est passé ?

— Joe m’aide depuis ce matin et il s’est coincé le dos donc il est rentré chez lui se reposer. Si tu pouvais me donner un coup de main en vitesse ça serait génial ! répondit-il d’un rire gêné.

— Ok, envoie moi ton adresse et je te rejoins.

— Super, t’es au top ! Je te paierais un coup pour te remercier, conclue-t-il avant de raccrocher.

Je reçus l’adresse dans la minute. Frank emménageait à Bay Ridge, le quartier sud-ouest de Brooklyn réputé pour son nombre impressionnant de restaurants italiens et pour le Verrazano-Narrows Bridge, pont où les marathoniens passent chaque année. J’enfilai une petite veste en cuir et me mis en route. Je traversai Cranberry Street et atteignis Brooklyn Bridge Station en moins de cinq minutes. Le reste du trajet en revanche, dura près d’une heure. Je retrouvai Frank assis sur le perron d’un bel immeuble à l’angle de la 99e et de la 4e avenue, fumant sa cigarette en compagnie d’un imposant bloc anthracite d’un bon mètre quatre-vingt.

— Te voilà enfin, j’ai cru que tu t’étais perdu en route, plaisanta-t-il.

— Quelle idée d’emménager aussi loin. Et en plus il faut que je me tape cette enclume ! rétorquai-je en lorgnant l’appareil démesuré.

— C’est l’appartement de ma tante, elle vient de s’installer en Europe et elle a bien voulu me laisser l’habiter, sans frais.

— C’est très généreux de sa part et le quartier à l’air sympa, remarquai-je en regardant les alentours. Bon, combien ça pèse une machine comme celle-là ? dit-je en m’attendant au pire.

— Pas loin de deux-cents kilos, il faut le porter au quatrième étage, au niveau des dimensions, ça passe sans problème, nota-t-il en tapotant la carcasse métallique. Et évidemment, l’ascenseur est en panne, sinon ce ne serait pas amusant.

— Génial… Tu finis ta clope et on s’y met ?

Il hocha la tête en prenant une grande inspiration de fumée de blonde.

Je pensai au long moment d’effort qui m’attendait quand la poche intérieur de ma veste vibra. Une simple notification qui eut le mérite de me rappeler que ce genre de problème n’en était plus un. Je pointai discrètement mon téléphone en direction du réfrigérateur et abaissa le curseur du poids à vingt-cinq pour-cent, réduisant le tout à cinquante kilos, beaucoup plus supportable. Frank termina sa tige et se plaça d’un côté, prêt à soulever le morceau.

— Aller on y va. Un… Deux… Trois !

Le frigo bascula sans effort. J’agrippai les rebords et suivis Frank dans sa lancée. Arrivé dans le hall je lui demandai de marquer une pause.

— Je vérifie l’ascenseur, on ne sait jamais.

Je ressortis mon Eden, et remis en marche le système d’élévation en deux secondes. Je pressai le bouton d’appel avec appréhension et un bruit de transfert de charge se mit à ronronner. Après un instant, les portes s’ouvrirent, nous invitant à entrer.

— Ah ! Tu vois, ça fonctionne !

— Cool, ça sera plus simple que prévu. Aller on le charge à l’intérieur, lança-t-il.

Le temps de la montée fut nettement plus bref qu’à l’Everest Building, il faut avouer qu’ici, le style n’était pas le même. Frank disposait maintenant d’un beau loft industriel composé de briques et de verrières, décoré de cartons empilés aux quatre coins des pièces et d’un frigo à mille dollars. Le veinard. Une fois l’appareil branché, il sortit deux bières d’une glaciaire et m’invita à le suivre dans le salon.

— Merci mon pote, c’est vraiment cool, dit-il en me tendant une bouteille.

— Je t’en prie, j’avais du temps libre. C’est surtout dommage pour Joe, je lui rafle la première bière dans ton nouvel appart.

— T’en fais pas, il s’en remettra, c'est un costaud. D’ailleurs je pensais inviter toute la bande un soir, si ça te dis, tu es le bienvenu.

— Ça changera de chez moi, dis-je en donnant un coup de décapsuleur. Tu aurais dû voir le foutoir ce matin !

— Joe m’a donné deux, trois détails sur hier soir justement, apparemment Gwen ne t’aurait pas lâché de la soirée, c’est vrai ça ? demanda-t-il en laissant échappé un sourire plus qu’explicite.

J’avalai ma gorgée de travers, les bulles envahirent mes narines et me firent tousser.

— Quoi ? Non, pas plus que d’habitude, repris-je en essayant de reprendre ma voix.

— Aller, tout le monde sait qu’elle te plaît. Qu’est-ce que tu attends ?

— Arrête tes conneries, on est amis, ça s’arrête là. Et elle sort avec l’autre là… Comment il s’appelle déjà ? Son footballeur philosophe… dit-je en m’emmêlant les pinceaux.

— Tu parles de Juan mais ça n’a pas duré longtemps leur histoire. En tout cas, rien n’indique qu’elle soit engagée avec qui que ce soit en ce moment. Je pensais que tu le savais.

On s’envoyait des tonnes de messages mais curieusement nos rapports intimes n’ont jamais fait l’objet de grandes discussions. Peut-être par pudeur ou par simple correction, qui sait.

— On ne parle pas vraiment de ce genre de chose, je te mentirais en disant n’y avoir jamais pensé mais je n’ai pas envie de flinguer notre amitié, on s’entend tellement bien, lui confiai-je.

— Je vais te dire, plutôt que de ne pas agir par peur de la perdre, tu devrais foncer ! Tu t’amuserais bien plus avec elle qu’avec des Kleenex, lâcha-t-il d’un ton graveleux.

— Alors toi, tu es vraiment le roi des beaufs…

Je continuai de boire ma bière en voulant maintenant prendre des nouvelles de Gwen. Je me décidai à lui envoyer un message lorsque Frank m'entraina dans une visite de son nouveau palace. Nous déambulions de pièce en pièce, chacun allant de sa petite remarque sur tel ou tel détail. La visite se termina par le toit. Le ciel était bien dégagé, nous permettant d’admirer l’énorme structure métallique du pont Verrazano.

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