6. Rouge

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Après plusieurs minutes à prendre l’air, je reçus un nouveau message. Celui-ci n’avait rien d’agréable, tant pour moi que pour son expéditeur.

« Ben est en train de défoncer ma porte, HELP HELP HELP »

Mon sang ne fit qu’un tour. Les veines de mes tempes se resserrèrent comme un étau, portant à ébullition ma vieille caboche. Je lui répondis du tac au tac : Appelle les flics, j’arrive !!!

Je quittai l’appartement de Frank aussi subitement qu’il m’avait demandé d’y venir. J’attrapai le premier taxi que je croisai et indiquai au chauffeur l’adresse de Gwen. J’insistai sur la gravité de la situation, complètement paniqué mais il ne sembla pas prendre ma remarque au sérieux.

— Hey mon bonhomme, on se calme ! Je vais te déposer mais hors de question de prendre le risque de perdre ma licence. Tu sais combien ça coûte, toi ?

— Ecoute-moi bien toi, à l’heure où je te parle il y a un psychopathe qui est en train d’agresser ma petite amie donc ta licence je m’en cogne ! Si elle clamse ce soir, tu auras son sang sur les mains. C’est ce que tu veux ? Non ! Alors mets les gazs et je te paierais de quoi te t'offrir dix tacots comme celui là !

Grace à Dieu (jeu de mot involontaire), il entendit ma demande et colla immédiatement son pied au plancher, l’appât du gain surement.

Gwen avait la chance d’habiter à East Village, quartier des artistes punk rock new-yorkais par excellence, et à deux pas du Tompkins Square Park. Un endroit charmant si on oublie les tarés qui viennent défoncer votre porte. Le trajet dura moins de vingts minutes. Mon Eden généra un sac en papier kraft rempli de dollars que je ne pris même pas la peine de compter, je le lançai au chauffeur sans me retourner et continuai ma course, prêt à en découdre.

Je montai les escaliers en trombe avec la ferme intention de coller mon poing dans la gueule d’un type qui n’en a pas reçu assez.

La porte d’entrée était fracturée. A l'intérieur je vis avec effroi un chaos digne d’une scène de thriller. Les meubles avaient été retournés, le sol était jonché de vêtements, de bibelots cassés et de bris de verre. Par endroit, je distinguais ce qui semblait être du sang, le mien se glaça d’un coup, j’imaginais le pire ! J’appelais Gwen en priant pour que ces traces ne soient pas les siennes !

A mesure que j’avançais dans ce foutoir, j’entendis des sanglots qui émanait de la salle de bain. Elle me rendis mon appel d’un cri perçant qui me fendis le coeur.

Je la découvrit assise contre sa baignoire, le visage tuméfié, la lèvre sanglante. Elle tenait dans ses bras une petite boule de poils blanche maculée de rouge. Elle pleurait de toute son âme, jamais son visage n’avait affiché pareil tristesse.

— Marc ! Il l’a tuée… Il a tué Mirabelle ! gémit-elle, tremblante.

« OH PU-TAIN » fut la seule chose qui me vint à l’esprit en découvrant la scène.

— Qu’est-ce qu’il c’est passé ? Tu es blessée ? lui demandai-je en m’approchant d’elle sans savoir ou poser mes mains.

— C’est Ben, il est arrivé sans prévenir… Il voulait qu’on se remette ensemble mais je lui ai dit que c’était fini, que je ne voulais plus avoir affaire à lui et… il a tout saccagé... et Mirabelle, elle voulait me défendre, petite mère et… il l’a attrapée et jetée contre le mur. J’entend encore le bruit de l’impact, mon Dieu ce n’est pas vrai, dis moi que ce n’est pas vrai ! Marc, je ne me sens pas bien, Marc s’il te plait…

Elle était en état de choc. Elle essayait d’articuler mais la violence de l’agression l’avait complètement déboussolée. La petite créature était inerte dans les bras de sa maitresse, ce chien si adorable qui ne vivait que par amour avait connu une mort des plus brutale ; sans raison et par pure cruauté. Je l’enlaçais en guise de réconfort en sachant pertinemment que rien à cet instant ne pourrait la consoler. Toute ma colère et mon dégout pour cet homme s’envolaient l’espace d’un instant. La tristesse et la compassion prenaient le dessus mais jamais je n’avais ressenti d’aversion aussi profonde pour un être vivant, jamais !

Je lui relevais le visage pour plonger mon regard dans le sien.

— Ecoute moi attentivement Gwen, il va payer pour ce qu’il a fait, tu m’entends ? Je vais y veiller, ce type est trop dangereux, il faut qu’il disparaisse de la circulation. C’est une promesse en diamant !

Elle paniqua de nouveau, me suppliant de ne rien faire, apeurée à l’idée de revivre un pareil traumatisme. Je continuai de la calmer avant de reprendre :

— Bon, je vais t’aider à prendre quelques affaires et je vais t’emmener chez moi. Tu ne peux pas rester ici après ce qu'il s'est passé, ok ? Et je vais m’occuper de Mirabelle, ne t’inquiète pas je ne ferais rien sans ton accord.

Elle acquiesçait et me laissait prendre le petit être inerte et l’envelopper soigneusement dans une serviette. Elle continuait de pleurer, elle aimait tellement sa chienne qu’elle la trouvait plus humaine que la plupart des gens. Plus humaine que cet enfoiré en tout cas. Mais pas de bol mon pote, tu as maintenant un agent du Paradis aux fesses et crois moi, tu es dans la merde !

J’emmenai Gwen dans son salon pour l’aider à regrouper des affaires, de quoi tenir plusieurs jours. Une fois son sac bouclé se posa la question de Mirabelle, on ne pouvait pas la laisser dans ce désordre comme une vulgaire paire de chaussette qui traine. Je proposai à Gwen de l’enterrer à l’endroit de son choix mais elle refusa catégoriquement, elle ne sut quoi faire. Garder le cadavre de son chien, si mignon soit-il, n’était clairement pas une solution envisageable.

Une idée me traversa l’esprit.

La petite voix dans ma tête me dit que c’était interdit.

Mon coeur choisi de ne pas l’écouter.

Je me tournai vers Gwen, lui attrapa les mains et pris un ton des plus solennel.

— Je vais te demander de m’écouter attentivement Gwen, je veux que tu prennes ton sac et que tu m’attendes sur le palier. Et surtout, ne me pose aucune question, c’est clair ?

Elle me regarda sans comprendre ce que je venais de lui demander.

— Qu’est-ce que tu vas faire ?

— J’ai dit, AUCUNE question. Ni aujourd’hui, ni demain, jamais ! Tu me fais confiance ?

— D’accord, je t’attend dehors...

Je l’accompagnai jusqu’à la sortie de l’appartement et repoussai la porte.

Je revins dans la salle de bain et m’agenouillai devant le linge imbibé de sang. Un glissement de doigt déverrouilla mon Eden, je pointai l’objectif en direction de l’animal et une icône rouge d’avertissement clignota. Une tension s’empara de moi. Je fermai les yeux et validai mon choix. Je les rouvris, appréhendant un déluge ou un quelconque retournement défavorable et restai figé. La serviette se mit à remuer, des poils blancs commencèrent à frétiller et une petite truffe noire semblait renifler. Elle gigota maladroitement, cherchant à se libérer de l’emprise du drap de bain. Ses yeux s’ouvrirent timidement, elle semblait se réveiller d’un long sommeil. Elle bailla en laissant échapper un sifflement aigu et approcha son museau de ma main, reniflant mon odeur pour ensuite m’adressa un doux coup de langue que j’interprétais comme un « merci ». Je craignis un effet secondaire mais pour l’instant, tout eu l’air normal. Mirabelle remuait la queue, visiblement contente de voir une autre trogne que celle de Ben. Je la caressai et la pris dans mes bras, elle s’empressa de me lécher frénétiquement le visage, folle de joie.

— Bon, et si on allait retrouver ta maitresse, qu’est-ce que tu en dis ?

Mirabelle me répondit d’un aboiement jovial. Je quittai cet appartement complètement ravagé avec un sentiment d’accomplissement et de bien être. Lorsque Gwen me vit arriver avec sa chienne dans les bras, elle hurla de bonheur et la mitrailla de bisous et de caresses. Elle n’en revenait pas, l’animal ne présentait plus aucune trace de blessures et arborait une robe impeccable.

— Mais… Comment c’est possible ? Elle était… bégaya-t-elle.

— Qu’est-ce qu’on avait dit ?

— Enfin c’est… un miracle, il n’y a pas d’autre mot !

— J’avais dis aucune question Gwen, tu te rappelle ?

Elle rouvrit la bouche mais aucun son n’en sortit. J’appuyai mon regard pour lui faire comprendre de lâcher l’affaire et un énorme sourire se dessina sur son visage, la joie reprit le dessus.

— C’est tellement irréel ce qui vient de se passer, je n’arriverais plus jamais à dormir à cause de ça. Je ne sais pas si tu es un magicien ou sorcier mais tu ne me dira rien, c’est ça ?

Je hochai la tête en affichant un sourire narquois, content de mon tour de passe passe.

— Ok, je ne te demanderais pas d’explication. En revanche tu mérites les meilleurs remerciements du monde !

Elle enroula ses bras autour de moi et me serra d’une force qui montrait un niveau de bonheur assez élevé. Elle déposa un baiser sur ma joue et ajouta :

— Est-ce que ta proposition est aussi valable pour les cotons ?

— Les cotons ? Tu parles de Mirabelle ?

— Oui, c’est un coton de Tulear, une race originaire de Madagascar.

— Evidemment, c’est valable pour toi et ton bichon, répliquai-je d’un ton ironique.

— Coton ! Pas bichon ! ria-t-elle. En tout cas elle à l’air de beaucoup t’aimer, je ne sais pas ce que vous avez fait tout les deux mais vu les circonstances, je la comprend.

— Aller en route, je suis rincé.

Le trajet du retour marquait la fin d’un journée riche en émotions. Je me serais bien passé du dernier chapitre mais au final, Gwen avait retrouvé le moral et Mirabelle était pleine de vie. Evidemment, il restait à s’occuper du dangereux malade mental mais dans l’immédiat, c’est de repos dont nous avions besoin.

En arrivant, Gwen décida de prendre une douche, histoire de se laver de cet épisode traumatisant. La petite chienne commença à gambader dans l’appartement pour prendre ses repères avant de jeter son dévolu sur mon canapé. Je m’approchai du June O’ Matic et choisis un mix chocolat/noisette/banane/fraise bien mousseux pour évacuer la tension. Je m’assis à la table de la cuisine et au moment ou mes lèvres touchèrent le bord de la tasse, je me sentis soudainement nauséeux. Le temps d'avaler une gorgée et de poser ma tasse, mon ventre sembla m’aspirer de l’intérieur. Mes intestins me firent atrocement souffrir et un son de cloche raisonna dans ma tête. Je me sentis partir et ensuite, c'est le noir complet. Plus de son, plus d'image.

Je reprenais peu à peu connaissance et le tintement métallique s'adoucit . Ma vision était trouble, mes oreilles bourdonnaient et mon ventre était incroyablement noué. Je clignais des yeux pour retrouver mes capacités visuelles et je constatais que je n’étais plus chez moi. L’environnement dans lequel je me trouvait était très lumineux, blanc et moelleux. Ça me rappelait quelque chose…

Je me redressai tant bien que mal et sentis un sol très doux s’enfoncer légèrement sous mon poids. Je reconnus le Cloud avec ses nuages toujours aussi agités. Le voyage instantané me laissa assez embrouillé mais je me doutai de la raison de ma convocation. Une minute passa quand j’entendis l’ascenseur s’ouvrir. Jimmy et June marchaient à grand pas vers moi, visiblement assez remonté.

J’allais avoir droit à un savon en bon et du forme…

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