Toujours pas de rouquemoute à l'horizon

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Au petit matin, Jade, rentrée les genoux entiers de la veille, se cogne par contre la tête contre le mur incliné au-dessus de son lit superposé. Cela sonne le glas. Mission petit déjeuner. Cette fois-ci, l'organisation est quasi militaire. Une s’occupe des jus de fruits, l’autre est envoyée aux boissons chaudes, la suivante va s'enquérir d’une table pendant que la dernière jongle entre les pancakes et les toasts grillés. L'efficacité est au rendez-vous. Cela tombe bien, car ce jour, elles partent en mer se frotter au monde marin dont la devise est “ Honneur, Patrie, Valeur, Discipline”. Marine est d’ailleurs emballée de se retrouver dans son élément.

La destination est insolitement exotique. Il s’agit des îles d’Aran, nom jusque là inconnu au bataillon. Pourtant le groupe Gold, au succès mondialement connu en France pendant les années quatre-vingt a chanté les îles d’Aran dont voici le refrain:

Aux îles du vent

Des grands froids du nord

Et des océans

Aux îles d'Aran

L'amour est plus fort

Plus fort que le temps

Le temps, le temps

L’amour, toujours l’amour. Mais où es-tu rouquemoute d’amour ? se demande Térébenthine. Les naïades ont choisi de visiter Inis Oírr, la plus petite et la plus orientale des îles d'Aran.

En irlandais Oileáin Árann, elles forment un archipel de trois îles situé à 18 kilomètres des côtes occidentales de l’Irlande, à la sortie de la baie de Galway. Géologiquement parlant, ces îles sont le prolongement de l’ensemble karstique des Burren dans le comté de Clare. (ça vous fait une belle jambe, hein ?)

Elles se sont dit qu'elles y rencontreraient forcément plus facilement des autochtones sur un si petit bout de terre. Que nenni. Fausse bonne idée. L’île se trouve être fort déserte et parsemée de labyrinthes de murs en pierre sèche grise, des kilomètres de murs en pierre, en long, en large, montés de la main d’hommes (probablement roux) et dont l’ambition principale était de délimiter des milliers de parcelles dans tous les sens et de toutes les tailles afin de parquer du bétail et d’éviter ainsi les mélanges douteux entre troupeaux voisins. On ne sait jamais avec la consanguinité. Mais ces hommes ont travaillé tellement dur qu’ils sont maintenant probablement tous exténués ou morts et leur descendance, s'ils ont eu la force de se reproduire, s'est barrée vite fait, bien fait de ce trou sans nom.

Elles ont marché longtemps, voire une éternité sans rencontrer âme qui vive. Les murs les guident sinueusement jusqu’à la mer où entre les galets se trouvent d’étranges cailloux beiges qui s’avèrent être des milliers de patates germées, déversées là pour s'en débarasser. S’en suit alors une bataille de galets mous qui explosent en s’éclatant contre leur cible. Jubilatoire.

Le chemin du retour est tout aussi interminable le long de ces murs étirés à l’infini. Un peu de gris, ça va, trop, bonjour les dégâts. Heureusement le ciel est bleu et la pelouse verte et au détour d’un mur de plus, se trouve un pub où restauration rime avec dégustation et bonne humeur.

"How are you doing?" "Fine and you?"

La rengaine bienheureuse de bienvenue de tout lieu. La spécialité de la maison est le Seafood Chowder. Une soupe à base de poissons ( saumon, haddock, colin), fruits de mer ( moules, crevettes), le tout cuisiné dans une base de pommes de terre, de céleri, de tomate et de champignons. Très nourrissante et particulièrement équilibrée, cette soupe est un mets traditionnel, souvent servi dans les villages côtiers d’Irlande. Accompagnée de Brown Bread sorte de pain irlandais à la mie généreuse et d’une bonne pinte de Guinness, elle est tout bonnement parfaite.

À bord du bateau qui les ramène sur le continent, les quatre pimpamtes ne font pas plus connaissance avec les marins qu’à l’aller. Elles finissent de cramer au soleil, allongées sur des transats bleus.

Pour leur dernière soirée irlandaise, on leur indique le repaire du cocktail en promotion, à ne rater sous aucun prétexte. Le cocktail élaboré à six euros cinquante au lieu de neuf euros cinquante. Attention ! La bonne affaire. Le Buddha Bar ou pour les intimes “Abudabi Abudabar”. Pour les servir, Roberto, Kevin et Pamela. Pamela, la dark, Kevin, le prépubère sagouin, Roberto, le faux Italien, vrai Irlandais parlant français.

Installées devant le bar, au premier rang, c’est l’endroit idéal pour ressentir les frustrations de tout barman, apprenti mixologue. C’est l’envers du décor où la magie du cocktail n’opère plus. Les boissons se succèdent à un rythme frénétique, c'est l’heure de pointe de la soif. Kevin le sagouin, en rate plusieurs, devant les yeux effarés des filles. Au bout de la troisième hécatombe, les doigts ruisselant de multiples alcools, il se fait remonter les bretelles par Roberto, qui l’envoie illico presto en cuisine où son côté souillon dénotera moins... Un jeune homme, dont on ignore le nom, le remplace. Il semble maîtriser avec beaucoup plus de style l’art de la mixologie. Et, le débit effréné des cocktails reprend son cours. Cet enchaînement incessant de boissons multicolores devant leurs yeux hypnotise nos quatre starlettes. Roberto tente de les ramener à la réalité en passant derrière elles et en leur fredonnant le refrain du tube de Dany Brillant (sérieux ?) :

Quand je vois tes yeux je suis amoureux

quand j'entends ta voix je suis fou de joie

quand je vois tes yeux je suis amoureux

quand j'entends ta voix je suis fou de toi

Le charme de Roberto n'est pas assez fou pour se laisser entraîner dans ses bras. Il est temps pour les girls d’aller découvrir un autre lieu plein d’espoir. Et la providence s'exécute immédiatement. Sur leur chemin, elles passent devant une devanture rose clair où on lit “Bite club”. Ce nom est tellement improbable pour Térébenthine qu’elle souhaite prendre une photo. Elle cherche le meilleur smartphone d’entre toutes car les lumières violentes des lettres en néons rose floutent les deux mots. Il est donc nécéssaire d'avoir recours à la sélection du filtre "intense" pour mettre en évidence le mot “bite” par rapport à “club”. Détail essentiel sinon la photo perd de son intérêt. Une fois la photo dans la boîte, Térébenthine ne résiste pas à coller sa tête contre la vitrine afin d’examiner pertinemment les tenants et les aboutissants de cet antre. Elle s’attend à voir une panoplie de verges en silicones exposées sous des cloches élégantes en verre, mais non, elle voit à la place des tables et des gens assis sur les chaises en train de dîner. Rien d'extraordinaire, quoi. En fait, un “Bite club” est tout simplement un restaurant ! Un lieu où la cuisine est sublimée dans une ambiance joviale et partagée sur de grandes tables entre tous les convives. Ma foi, pourquoi pas. On tenait un concept, pourtant.

Plus loin, au carrefour de rues fréquentées se tient debout un homme, dissimulé sous un sweat à capuche, la mine sérieuse. Il fait les cent pas à côté d’une barre en fer suspendue où les hommes se challengent à se suspendre. C’est le jeu de la barre. Qui tient au moins cent secondes gagne cent euros. Encore faut-il tenir aussi longtemps. Les candidats se succèdent, les uns imbibés d’alcool, les autres non. Le record atteint est de quatre-vingt-quinze secondes. Aucun ne tient plus longtemps. Étonnamment aucun roux ne s’essaye à cette activité. Sont-ils plus lucides que les autres hommes? L’homme au sweat à capuche empoche les mises des candidats échaudés, billet après billet. Les miss sont fascinées, mais tout de même pas pour bien longtemps. L’heure est venue de rentrer, d’aller chercher leur valise et d’entreprendre le périple de retour vers la France.

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