Chapitre I

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 Ce matin-là, Cor avait quitté son domicile aux aurores, et en courant. Il n’était pas en retard, il n’est jamais en retard. Mais deux choses distinctes l’avaient poussé à fuir sa propre demeure pour rejoindre son laboratoire. Tout d’abord, un des moments les plus importants de sa carrière devait avoir lieu aujourd’hui. Et lorsqu’il avait parlé à sa sœur de son excitation au diner de la veille, elle était rentrée dans une colère froide. Furieuse, elle l’avait accusé de négliger sa famille pour ses recherches, de n’être jamais à la maison, et de ne jamais parler de rien d’autre que de ses travaux. Elle avait raison et il le savait. Il ne s’en excuserait pas mais il n’était pas pour autant prêt à croiser le regard de sa cadette au réveil, alors il avait fui. Comme le lâche qu’il était. Qu’aurait-il pu lui dire de toute façon ? Qu’il était désolé ? Que ça n’arriverait plus ? Il préférait ne rien dire plutôt que de mentir. Ses recherches avaient trop de valeur pour être sacrifiées au nom de l’amour familial.

 Au Centre, tous ses collègues ne faisaient pas forcément preuve d’autant de dévouement que lui, mais les meilleurs et les plus grands avaient volontiers laissé de côté leur vie personnelle… Une équipe d’hommes et de femmes de tous les âges, unis vers le but le plus noble qui soi : l’humanité. Sauvegarder son passé et sauver son avenir. Sa sœur ne voyait-elle donc pas le Soleil artificiel qui les éclairait ? Le toit de métal qui les écrasait ? Les murs qui les emprisonnaient ? N’avait-elle donc pas envie de sortir, de pouvoir à nouveau marcher à l’air libre comme leurs ancêtres avant eux, de pouvoir voir au-delà des quelques kilomètres de leur ville ? Cor, lui, en rêvait. Cette ville lui faisait peur, l’étouffait. Ainsi captive, l’humanité finirait par s’éteindre, menacée par la Terre qui l’avait vu naître et qu’elle avait détruit. Car au-delà de ces murs qui les retenaient si bien, dehors, la mort attendait tout Homme.

La Coupole, car tel était le nom qu’on lui donnait, les protégeait tous du monde qu’ils ne supportaient plus, de l’air toxique, des animaux dangereux… Mais la captivité finirait bien par avoir raison de leur espèce qui s’étaient construite sur l’exploration et la conquête. Sur la Liberté.

 C’est le cœur lourd que le jeune scientifique avait atteint le Centre. Il scanna sa puce sur la porte d’un geste routinier pour pouvoir entrer. Si le hall était calme et dénué de vie humaine à cette heure si matinale, il savait pour autant que le reste de la tour était une véritable fourmilière. Les laboratoires ne dormaient jamais, il y avait toujours quelques acharnés, passionnés, distraits, ou épuisés qui passaient la nuit au travail. Fatigué de sa course, Cor favorisa l’ascenseur aux escaliers pour rejoindre son bureau, une fois n’est pas coutume. Il ne s’y attarda pas, récupéra simplement sa blouse en coup de vent pour rejoindre les zones communes où il espérait croiser quelques visages familiers. Il avait eu raison d’espérer puisque deux de ses plus proches connaissances étaient attablées non loin des imposantes baies vitrées de la cafétéria. Il s’empressa de les rejoindre après s’être servi un café bien mérité !

« -Caelesti, Rapheyl. Vous avez encore passé la nuit ici ? »

Il fut accueilli par deux grands sourires. La journée était très importante pour tous, leur bonne humeur et leur enthousiasme faisaient plaisir à voir !

« -Oui, c’est un peu de ma faute… lui répondit Rapheyl gêné.

-Il ne voulait pas quitter son livre des yeux ! Il voulait absolument finir sa traduction avant ce matin.

-Et comme d’habitude, elle a refusé de rentrer sans moi. »

 Ces deux-là étaient inséparables. Ils s’étaient rencontrés ici, au Centre, Cor avait assisté à leurs débuts amoureux. L’un comme l’autre n’avaient pas vraiment de vie en dehors du travail et ils y avaient passé beaucoup de temps ensemble jusqu’à ce qu’un lien se soit créé. Une histoire assez banale dans leur profession. Mais Cor reconnaissait volontiers qu’ils s’étaient bien trouvés : Caelesti, la plus vivante du couple, était l’énergie dont manquait Rapheyl qui en échange lui apportait la léthargie. L’un comme l’autre pouvaient se laisser emporter par leurs fonctions mais ils étaient toujours là pour veiller à ce que l’autre prenne le temps de manger et de dormir. D’une certaine façon, il les enviait. Ils avaient l’air tellement heureux ensemble.

« -Selon ce qu’on trouvera aujourd’hui, je ne voulais pas avoir de travail en retard !, se justifia Rapheyl.

-Pour info Cor, le réceptacle a déjà été monté vers les salles d’ouverture. Tu veux y jeter un coup d’œil ? »

Ça allait sans dire ! Vidant d’un seul trait leur tasse respective, ils se dirigèrent tous les trois vers les derniers étages de la tour, à pas lents, presque solennels. Au bout du couloir, par-delà un sas de protection, une salle blanche offrait un panorama inégalable sur la ville. Et au centre, il trônait : le réceptacle le plus ancien et le plus imposant que les militaires n’aient jamais rapporté de l’extérieur ! En témoignage de son âge : les nombreuses déformations du boitier, les rayures sur le métal, l’affichage grésillant… La série de chiffre qu’on y distinguait avait hanté les rêves et les cauchemars de nombreux Hommes de science :

Temps écoulé

499 ; 11 ; 30 ; 13 ; 5 ; 37

Temps restant

0 ; 0 ; 0 ; 10 ; 54 ; 23

 Il y a près de deux siècles, on avait découvert ce monstre de ferraille enfoui dans les ruines d’une ancienne grande cité. La plupart des containers que l’on retrouvait à l’extérieur excédaient rarement la taille d’une petite valise, celui-ci aurait rendu jaloux certaines armoires. Ces boîtiers étaient de véritables merveilles de technologie : elles protégeaient ce qu’on y enfermait des radiations, de l’air, de l’eau… Une fois fermé, on pouvait régler un délai avant une réouverture automatique, seul le propriétaire pouvait ouvrir le boîtier avant la date prévue. Ces délais dépassaient exceptionnellement la dizaine d’année… Alors cinq siècles de délai, c’était du jamais vu ! Quel trésor pouvait donc bien reposer à l’intérieur pour mériter d’être envoyé si loin dans le futur ?

 Cor ne pouvait que s’imaginer la surprise et la déception des chercheurs de l’ancienne génération qui avaient vu arriver pareil engin de l’extérieur de la Coupole pour se retrouver dans l’incapacité de l’ouvrir. C’était maintenant à eux, à lui, que reviendrait cet honneur dans quelques heures. Qu’allait-il bien pouvoir y découvrir ? La question torturait la communauté scientifique depuis toujours… L’ouverture d’un réceptacle était toujours un grand événement mais celui-ci, unique par sa taille et l’attente qu’il imposait était la cible d’une curiosité générale.

« -Tiens ! Bonjour les enfants ! »

La voix tira les trois amis de leur torpeur, tous perdus dans leur contemplation. Ils ne s’attendaient pas à voir qui que ce soit et surtout pas le … :

« -Docteur Seite ! Bonjour. Le salua Caelesti bientôt rejoint par Rapheyl.

-Yonel ! Je ne pensais pas vous trouver ici à cette heure ! s’étonnait Cor.

-Allons mon garçon, j’attends ce jour depuis trop longtemps pour oser en perdre la moindre seconde ! »

Le vieil homme s’avança et vint se tenir au côté de la jeunesse. Il les rejoignit leur admiration, caressant le réceptacle des yeux. Appuyé sur sa canne préhistorique, il avait l’air d’un môme bienheureux.

« -C’est magnifique n’est-ce pas ? »

 Yonel Seite. Le Grand parmi l’élite. Un des hommes de science les plus importants de leur époque. Il avait regardé les chiffres du container diminuer lentement pendant presque toute sa vie, il avait souvent eu peur de mourir tragiquement avant la date tant attendue : aujourd’hui. Il était alors l’homme le plus heureux du monde de trouver dans les yeux de ces jeunes gens la même envie douloureuse qui brillait dans les siens.

 Le vieillard accorda une tape paternelle à Cor. Le docteur se félicitait d’avoir appuyé la candidature d’entrée au Centre d’un être aussi compétent que Cor Kerensky. Le fougueux jeune homme avait obtenu son doctorat bien tôt pour leur époque. Seite avait toujours cherché quelqu’un d’ambitieux et de passionné pour lui succéder et il avait trouvé en ce jeune chercheur son reflet tout naturel ! Il n’avait que son impatience à lui reprocher. Partager les laboratoires avec lui ces dernières années avait été l’une des meilleures décisions de sa vie, probablement la seconde après son mariage.

« -Dites-moi Docteur, vous n’êtes pas censé être à la retraite ?, le taquina Rapheyl

-Que veux-tu ? Je m’ennuie profondément ! Et je ne raterai ça pour rien au monde. Café ?

-On ne vous as pas attendu pour ça, navrée. Rigola Caelesti.

-Moi non plus, je vous en proposais un deuxième !

-Votre consommation de caféine devient inquiétante Yonel… »

 C’est dans la bonne humeur qu’ils quittèrent le container, non sans mal. La plupart rejoignaient leur bureau et la journée de travail quotidien qui les attendait, Rapheyl épuisé par sa nuit blanche rejoint son lit. Le soir même, ils pourraient ouvrir leur « petite » merveille, mais à cause de leur impatience, ils s’ennuyèrent à mourir devant la banalité de leur journée.

 Leur travail au Centre d’Etude des Containers (ou CEC) était simple : récupérer les réceptacles que les militaires ramenaient de l’extérieur après leur décontamination, les ouvrir, et en étudier le contenu. Ordinateurs archaïques, livres, bijoux, œuvres d’art, machines… On avait déjà trouvé de tout ! Par ce travail, on récoltait des informations précieuses sur l’Homme d’antan et on récupérait la mémoire de l’espèce. L’ensemble des objets passait à tour de rôle dans les mains des professionnels du Centre qui rassemblait les universitaires de tous les corps de métiers. Pour faciliter la distinction des domaines d’étude, un uniforme officiel était remis à quiconque entrait au Centre : les blouses blanches, maîtres de la matière et du corps, les blouses noires, maîtres des arts et des sciences humaines et les vestes bleues, maîtres des technologies et de l’artificiel… Les seuls qui avaient le luxe du choix étaient ceux qui se trouvaient à la frontière entre ces spécialités, comme les architectes à titre d’exemple.

 En parallèle de ce travail d'archéologue, une grande partie des experts, Cor parmi eux, cherchaient une solution pour permettre aux Hommes de supporter l'extérieur qui aujourd'hui les tuait sans état d'âme. On inventait des machines plus étranges les unes que les autres, on tentait des transformations génétiques ou des greffes... On s'acharnait à la tâche !

 La gestion des équipes de recherche était menée par les meilleurs spécialistes de chaque discipline, élus par leur pairs. Ils avaient l’honneur de porter leur nom brodé en bordeaux sur leur uniforme, d’où leur surnom : « les fils rouges ». La présence d’au moins l’un d’entre eux était requise pour les ouvertures des réceptacles. Caelesti était probablement celle d’entre eux à être la plus étonnée de voir les lettres écarlates qui ornaient sa poitrine. Elle ne doutait pas de ses capacités de psychologue, mais elle s’étonnait encore d’avoir été élue par ses semblables comme la plus à même de représenter leur noble profession. Bien qu’elle semblât pleine d’assurance, la confiance en-elle lui manquait souvent. L’inverse aurait pu être dit de son compagnon : d’un naturel timide, on aurait pu s’attendre à ce que Rapheyl remette en cause la décision de ses compères linguistes, mais il avait reçu cette reconnaissance comme la confirmation de l’estime qu’il avait de ses talents. Cor, lui, s’en fichait. La biologie était un domaine où l’évaluation pouvait être plus objective que pour ses deux amis, s'il avait reçu ce poste, c’est que c’était mérité. Après tout, aux côtés de Yonel Seite, il avait été à bonne école ! Il restait malgré tout très fier d’appartenir aux fils rouges, tous ces hommes et ces femmes étaient véritablement des êtres exceptionnels, bien qu’il ne les connaisse pas tous.

Forcément, aujourd’hui, tout ce beau monde retenait sa respiration. En plusieurs siècles d’exploration extérieure par les militaires, un nombre incalculable de containers avaient été ressortis des ruines des brillantes villes de leurs ancêtres. Celui-ci, portait sur ses épaules les attentes de tous, qui imaginaient déjà le trésor qu’il renfermait.

 C’est pourquoi, lorsque vint la fin de la journée et que le compteur arrivait à sa fin, alors que d’ordinaire la réunion des fils rouges était plutôt bruyante, on observait ce jour un silence religieux. Rares étaient les ouvertures où tous pouvaient se libérer, mais ce soir-là, presque aucune absence n’était à déplorer. On se saluait d’un simple regard lourd de sens. Et on laissait passer le docteur Seite en s’écartant sur son chemin, respectant l’homme et son instant de triomphe sur le temps et sur la mort qui commençait à le guetter. Il était surveillé de près par Alectra, représentante des médecins, qui malgré la fière allure du patriarche s’inquiétait pour sa santé. Cor, Rapheyl et Caelesti prirent le temps de la serrer dans leurs bras, heureux de partager ce grand moment avec leur amie. Les retrouvailles et les salutations faites, on entra à pas lents dans la spacieuse pièce blanche qui paraissait presque étroite pour tous les recevoir. Elle accueillit malgré tout sans mal la petite foule qui se pressait autour du container :

Temps restant

0 ; 0 ; 0 ; 0 ; 4 ; 27

Moins de cinq minutes, la tension était palpable.

 On s’impatientait, on avait attendu longtemps pour pouvoir découvrir le trésor que chacun imaginait à sa manière. Les plus enthousiastes et les plus joueurs avaient même parié sur la nature du contenu. Les plus terre à terre refusaient de s’emballer pour éviter toute déception… Une supercherie n’était pas non plus improbable ! Après tout, la taille de l’engin et sa sécurité massive n’étaient pas forcément annonciatrices d’une bonne chose ou d’une rareté quelconque, mais peut être simplement d’un ancien propriétaire richissime, et paranoïaque de surcroît.

Cor offrit un regard d’encouragement à son mentor et ami. Le docteur Seite aurait pu pleurer si l’angoisse ne lui enserrait pas la gorge. Le rêve de toute une vie se tenait là devant lui. Comme tous les autres il avait imaginé ce moment à maintes reprises, il espérait juste que la réalité rejoindrait une partie de ses attentes.

Les dernières secondes...

Temps restant

0 ; 0 ; 0 ; 0 ; 0 ; 03

0 : 0 : 0 : 0 : 0 : 02

0 : 0 : 0 : 0 : 0 : 01

0 : 0 : 0 : 0 : 0 : 0

 Un son strident s’échappa soudain du réceptacle, semblable à une sorte d’alarme. Le signal n’était pas douloureux, mais suffisamment désagréable pour que les plus sensibles se couvrent les oreilles. Le silence revint brusquement dans la pièce. Le délai avait atteint son terme, il ne restait plus qu’à appuyer sur le déverrouillage, honneur qu’on laissa à Seite dont les mains ridées et tremblantes d’émotion peinèrent à la simple pression. On entendit alors le cliquetis d’un verrou ancien et une ventilation se mettre en route. Les imposants loquets qui entouraient la machine sautèrent. Tous eurent un léger mouvement de recul en constatant qu’une épaisse fumée blanche s’échappait des interstices. C’est le physicien qui calma tout le monde en assurant qu’il ne s’agissait que de vapeur d’eau, son scanner devant les yeux. La brume se dissipa peu à peu, laissant constater les grandes difficultés du boîtier à s’ouvrir. Pour venir en aide au mécanisme, Cor tenta de son mieux de soulever le battant à la seule force de ses bras. L’intellectuel, malheureusement peu versé dans l’art de la musculation, n’y parvenait pas. Ce furent Alectra et le théologien qui réagirent les premiers et lui prêtèrent main forte. A eux trois, il réussirent à soulever le battant jusqu’à le débloquer et laissèrent la machine finir le travail.

 Le couvercle se leva, lentement, jusqu’à se bloquer à la verticale. L’épaisse fumée s’échappait encore, impossible de voir quoi que ce soit. Dans la pièce, on retenait son souffle… On attendait que le nuage se dissipe pour enfin pouvoir voir le précieux trésor. Lentement, très lentement, il s’éparpilla et on put commencer à le distinguer…

 Ensemble, les scientifiques émirent un cri de stupeur. On avait imaginé un ordinateur énorme pour leur époque, un disque comme dans les temps anciens, de vieux livres, des meubles ou des décorations, des tableaux, des bijoux, des tissus, des armes peut-être... Ils étaient nombreux et aucun ne manquait d’imagination… Le plus farfelu avait été imaginé ! Et pourtant, rien de tout cela ne venait de se révéler devant leurs yeux. Le trésor de l’humanité, son passé, les données perdues depuis des siècles et qui dormaient là, n’était pas faites de métal, de papier ni de bois. A la place…

« -Une femme ? »

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