Chapitre 2

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Arthur se trouvait à la gare, valise en main et long manteau sur les épaules. Ses parents l'accompagnaient et sa mère insistait pour lui tenir la main à chaque instant.

« Je veux que tu te rappelles de moi pendant les moments difficiles. Garde ma chaleur en toi quand tu ne sauras plus à quoi penser. »

Sa mère qui pleurait encore d'ailleurs, et qui avait essuyé de petits sanglots durant le voyage jusqu'à la gare qui allait envoyer son unique fils à la guerre.

L'endroit était complètement noir de monde et le jeune garçon devait tenir les deux bras de ses parents pour ne pas les perdre dans la foule. Certains soldats étaient déjà dans le train et se penchaient à la fenêtre se poussant les uns les autres pour dire un dernier au revoir et embrasser une dernière fois les filles qu'ils aimaient. Ils leur lançaient leur chapeau et des promesses de victoire. Ils semblaient heureux et fiers ; déjà fiers de combattre des batailles qu'ils n'ont même pas encore combattus.

La gare était aussi remplie de familles comme Arthur qui se disaient au revoir. Des femmes et des filles qui pleuraient leur mari, leur amant, leur frère ou leur ami. Des gens pleuraient peut-être la future perte de leur être le plus cher. Enfin certains réalisaient la gravité de la chose et ne restaient plus passifs. Des futurs soldats qui essayaient de les rassurer aussi, en pleurant parfois, « Tout ira bien, j'irai bien. Je vous enverrai des nouvelles dès que je le pourrai. Envoyez-moi des lettres aussi, comme ça je saurai pour quoi je me bats et pour que je puisse ne penser qu'à vous. » et pourtant ils se gardaient toujours en tête que la guerre sera courte. Peu de pertes, non ? Peu de chance d'y laisser la vie, alors. C'est ce qu'ils se disent tous.

Arthur resta pensif. La foule lui faisait peur mais il était en même temps fasciné par toutes ces scènes qui se passaient devant lui. Il avait l'impression d'être dans un théâtre et que les acteurs défilaient entre eux. Il était tellement perdu dans ses pensées qu'il faillit perdre ses parents dans cette masse de gens.

Il y a pour qui la guerre serait plus dur pourtant ; tous ceux venant de la campagne. On pouvait les repérer facilement par l'air plus craintif se peignait sur leur visage ; et même les jeunes campagnards n'étaient pas si avides de se battre que les autres. Les chevaux avaient été perquisitionnés pour les batailles, et qui allait aider à labourer les champs ? S'occuper des animaux ? La saison allait bientôt se finir et il fallait faire les moissons, tous les bras disponibles étaient indispensables pour ce genre de labeur. On sentait la campagne moins sereine. Arthur réussit à voir son ami Francis de loin. Il était l'un des seuls garçons à porter les cheveux longs dans la ville et il était facile à repérer. D'instinct, il se dirigea vers lui, délaissant ses parents pendant un moment. Francis lui fit une accolade dès qu'il l'aperçut.

« Arthur, mon ami ! J'avais peur de ne pas te revoir depuis un moment.

- Moi aussi. On se perdra sûrement dans toute cette guerre.

- On restera solidaires, même loin de l'autre. Tu me promets de penser à moi et moi je penserai à toi, hein ?

- Je n'ai pas envie de perdre mon seul ami. Je serai seul là-bas, je ne sais pas ce que je vais faire. Je n'ai pas envie de faire copain-copain avec d'autres. On sera trop à l'étroit tous, je n'aime pas ça. - Tu vois toujours autant les choses du mauvais côté. Tu rencontreras forcément de nouvelles personnes. Regarde tout ce beau monde ! »

Francis leva grand les bras vers tous les soldats, comme un chef d'orchestre ouvre les bras à ses musiciens. Cet homme est toujours de bonne humeur quoi qu'il arrive, pensa Arthur. Il aimait leurs traits opposés qui pourtant s'attiraient.

« Tu as toujours l'air aussi morose. Pourquoi vois-tu toujours tout en noir ? Je ne te comprendrai jamais, mon Arthur ; mais ce n'est pas grave. Ça te fait peur mais je te promets qu'on restera ensemble, même si c'est par pensée. Qu'est-ce que je peux te dire pour que je puisse t'enlever cet air maussade ?

- Dis-moi que tu comprends l'enjeu de ce qu'il va se passer. Que tu comprends la gravité de la situation. Essaie de me comprendre, la guerre n'a jamais été la solution et tout le monde ici la voit comme quelque chose de positif. On y perd tous quelque chose. Qu'est-ce que tu feras si je meurs ? Qu'est-ce que je ferai si tu meurs ? Aie l'air au moins un tant soit peu inquiet pour moi. Dis-moi que tu n'es pas comme tous ces inconscients et que tu y comprends quelque chose, et que tu n'es pas autant bercé par toutes ces illusions. »

Francis soupira et leva les yeux au ciel d'un air théâtral, comme il le faisait toujours. Il prit Arthur par les épaules.

« Et toi dis-moi que tu comprends que ce ne sera pas long, et dis-moi qui tu as au moins un peu de fierté pour le pays et la patrie. Sois un fils de France, nom d'un chien ! Tu ne vas pas te battre contre n'importe qui. Je ne suis pas bercé d'illusion, je suis enveloppé de réalité. Aie confiance en ton ami, non ?

- Oui, peut-être. Je ne sais pas. Peut-être que tu as raison.

- Tu vois quand tu veux. »

Arthur avait dit ces mots pour le rassurer. Il n'avait toujours pas changer d'avis, et il n'en changera jamais. Il fut soudain prit d'une angoisse lui prenant à la gorge. Je suis soldat, sembla-t-il à peine réaliser. Il allait se battre, il allait être sur le front, il allait devoir tuer, il allait devoir souffrir et vivre vents et marrées. Il ne voulait pas. Il voulait rester dans sa ville, il voulait rester dans sa boutique, dans sa si petite chambre à l'étage et dans son lit. Il se sentit comme un enfant, et la foule l'embrassant lui donna l'impression d'être encore plus minuscule. Il ne pouvait pas changer les choses, il ne pouvait pas prédire le futur et c'est ce qui l'enrageait le plus. Il aurait aimé montrer aux autres les images qui se passaient dans sa tête, toutes ces scènes d'horreur qu'il imaginait déjà, tous ces cadavres qu'il voyait déjà. Il voulait que tous entendent les pluies de balles, qu'ils sentent l'affreuse odeur de la maladie, qu'il s'enlisent dans la boue et qu'ils respirent la poudre à canon à plein poumon. Il voulait qu'ils voient tout ça, mais ils demeuraient tous sourds.

Alors que ses pensées et sa peur s'emballaient, il fut prit à nouveau par le bras alors qu'il entendait le train siffler.

« Dépêche-toi mon fils, il faut monter maintenant. »

Son père le regardait avec les yeux luisants mais aucune pleur, contrairement à sa mère qui avait fini par sortir son mouchoir. Arthur leur donna une forte accolade avant de les quitter pour la dernière fois.

« Je vous enverrai de mes nouvelles dès que je pourrai ! Pensez à moi aussi, s'il-vous-plaît. » Francis le prit par le bras et l'emmena rapidement à la porte du train. Les wagons étaient encore plus remplis que la gare et les gens encore plus les uns sur les autres. Tout ça tourbillonna autour d'Arthur et il eut comme l'impression qu'il allait s'évanouir mais Francis le tenait toujours fermement par les bras. « Allez, viens Arthur ; on va se trouver une place pour nous deux. »

Les plafonds étaient remplis de gros sacs à dos et Arthur lui-même avait du mal à garder le sien en place. Il slaloma entre tous les hommes debout et encore à la fenêtre des wagons mais Francis avait semblé trouver deux dernières places assises pour eux-deux.

« Viens, vite, dépêche-toi. »

Son ami le précipita sur les deux derniers sièges de libre et ils s'assirent. Arthur enlaça fortement son sac entre ses bras, essayant de calmer ses angoisses, le cœur battant jusqu'à exploser sa poitrine. Trois autres hommes étaient assis devant eux mais ils ne semblèrent même pas lancer un regard aux deux amis ; trop occupés à garder le nez contre la vitre. Arthur serra les jambes et rentra les genoux ; il voulait retourner dans sa bulle, il voulait rentrer chez lui. Lui qui pensait n'avoir aucun attachement pour Paris, il était maintenant terrorisé de quitter sa ville. Le jeune homme leva enfin la tête de ses épaules et regarda à travers la vitre. Ses parents étaient sur le bord de la gare et lui envoyaient des baiser de loin. Il se leva à son tour, poussant sans faire exprès ses voisins et sortit lui aussi la tête de la vitre.

« Au revoir maman, au revoir papa ! Je vous aime fort aussi, je vous embrasse ! Pensez à moi et envoyez-moi des photos, de vous et de la ville s'il-vous-plaît ! »

Il sentit les larmes lui monter aux yeux ; il ne voulait pas non plus quitter ses chers parents, un de ses seuls attachement à Paris. Sa mère lui avait donné des sucreries de la boutique, des cartes postales et des photos de famille. Il serra son sac encore plus fort contre son cœur. Il se rassit alors que le train siffla de plus belle et commença doucement à rouler et bercer gentiment ses voyageurs alors que les autres soldats criaient leur dernier adieu.

Francis enveloppa son épaule de son bras et l'attira vers lui.

« Je te disais qu'on resterait ensemble, petit ! »

La présence de Francis réussit à réconforter légèrement Arthur. Ce dont il avait le plus peur, c'était d'être seul ; malgré les milliers de soldats qui seraient présents et la masse de monde autour de lui. Il avait peur de perdre Francis, qu'il meurt ou juste qu'ils ne se battent pas ensemble au combat, peur des autres en général, peur qu'on l'oublie et peur qu'on ne pense pas à lui. Il se rendit compte qu'il avait simplement peur de mourir.

Il tourna la tête vers le paysage qui commença lentement à bouger en se rongeant les ongles. Il avait tout le temps de songer à ses pires angoisses jusqu'à l'arrivée à destination.

Il avait tellement peur.

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