Souvenirs de Svida

4 minutes de lecture

Jarvioss comprenait sans peine l'incrédulité d'Elbar. Pendant leur vie de gamins des rues, elle avait toujours été un poids. Inutile à la chasse, menteuse, fuyant toujours les combats... et belle. Elle avait vite compris le pouvoir de la séduction. Avec ses yeux d'argent, ses longs cheveux soyeux, ses épaules et ses hanches larges. Ses crocs parfaits. Le capitaine se sentit attendri rien qu'à y repenser. Il éclaira Elbar.

- Trois lunaisons après notre arrivée, elle a eu ses premières chaleurs. La première heure, ça allait. Elle se frottait contre moi et Galard, nous mordait un peu... enfin des trucs de gamine quoi.

Elbar acquiesça. Il connaissait très bien, pour en profiter régulièrement. Les dragoniennes étaient fortement perturbées par ce changement, et la plupart suivait volontiers un aîné.

- Ce qu'on n'avait pas prévu, c'est qu'elle sente aussi fort.

Le Quézermistoss l'interrompit en se massant le poignet.

- Les deux ou trois premières chaleurs sont extrêmes.

Le capitaine préféra ne pas savoir comment son comparse pouvait si bien s'y connaître sans être parent.

- Quand je me suis rendu compte du problème, j'ai envoyé Galard chercher des tripes de poisson, n'importe quoi à mettre dans un tonneau et y plonger Svida, le temps qu'elle reprenne ses esprits...

Jarvioss grimaça. Galard n'était jamais revenu. Le grand dominant peinait à oublier cette disparition. À la place...

- J'étais occupé à repousser Svida dans une impasse, facile à défendre et à quitter... Les toits de Nahrstuvi sont plus bas qu'à Nahrcouyss, dans les bas-quartiers. Et... Douze marins sont arrivés. J'ai seulement pu regarder. Ils lui sont tombés dessus... j'en avais vu des saloperies, mais ça... jamais.

Le corsaire changea de position. Ça aussi, ça lui restait en travers de la gorge. Le malaise du dominant suffit à Elbar pour grimacer.

- À ce point ? demanda-t-il.

- Ils ont à peine parlé. L'un d'entre eux l'a attrapée par le col, et lui a fracassé le crâne contre un mur. C'est arrivé si vite... Un autre m'a fait signe de garder le silence, et tenu à distance avec sa dague. Vraiment... tout ce que je pouvais faire... c'était les regarder. C'était interminable.

Jarvioss en frémissait encore. Il préféra passer sous silence sa propre fascination morbide. Svida l'avait chauffé pendant plus d'une heure. Puis de l'entendre, envahie par ces passants, en partie assomée, en partie dépassée par les événements et ses émotions nouvelles... Son rôle en tant que grand dominant aurait été de chercher à égorger ces agresseurs. Et au final...

- Quand ils sont partis, je l'ai enfourchée à mon tour.

Ce coup de tête lui valut un regard surpris de la part de son ancien soumis. Elbar en fut bouche bée. Un silence plana. Le Quézermistoss souffla enfin :

- Toi ? L'exemple de droiture, tu as fait ça ?

- Ouais.

- Bordel de merde... hallucinait encore Elbar.

- Comme ça tu sais comment s'est passée ma première fois. Je sais plus dans quel état était Svida quand j'ai commencé, mais quand je me suis retiré, elle était tiède. Il lui manquait plusieurs morceaux, à la gorge, à la nuque, aux épaules, au visage... Je ne saurais te dire qui l'a bouffée. Un peu nous treize je suppose.

- Ké schiarks... siffla le confident, subjugué. J'ai bien compris que tu désapprouves mes liens avec Elianaë, mais la nécrophilie est-elle mieux que le viol, Jarvioss ?

L'interpellé ricanna.

- À toi de me le dire, la religion et la morale, c'est ton domaine, guerrier de l'aube.

Le sectaire renifla, et demanda à son supérieur de poursuivre. Ce dernier fit la moue, puis un vague geste de la main.

- Après ça, j'ai erré un peu partout dans la ville à la recherche de travail. Quelqu'un m'a pris comme mousse, j'ai aimé la mer et les océans, puis j'ai grimpé jusqu'à me payer mon propre navire. Après, j'ai vu les taxes à payer, débarqué les royalistes et gardé l'équipage qui me restait. Tous les marins savent où aller quand leur royauté leur déplaît. De ce côté-là, j'ai fait comme tout le monde. Puis une fois en territoire libre, mon équipage a éclaté, et j'ai recommencé en bas de l'échelle pour mieux monter. Et maintenant, j'ai six compagnes, une trentaines de gosses et une famille élargie de... au moins une centaine de membres de tous les peuples. On fait mieux que les dragocorniens, de ce côté-là. Pour te dire, si on veut on peut participer à toutes les fêtes qu'existent, et je peux te jurer qu'il y en a ! Toute une foultitude !

Ayant remarqué qu'Elbar avait tiqué au moment des taxes, Jarvioss lui offrit la parole.

- Tu dois connaître l'adage "le bon sang protège des taxes".

- Ouais.

- Avec Séra, les bons contrats protègent des taxes.

Jarvioss s'en foutait, mais ce type de connaissance pouvait rapporter gros. Certains pirates, passé un certain âge jugeaient préférable de retourner dans le rang. Mais s'ils pouvaient se prémunir de quelques taxes... Il se pencha vers le guerrier de l'aube.

- C'est à dire ?

- D'abord, tu m'expliques comment tu peux tolérer cet écorcheur sur ton territoire, demanda Elbar.

De nouveau, il désigna Lui du menton. Le licornien grimaça un sourire carnassier. Jarvioss accéda à la demande. Raconter cette histoire le démangeait.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Hilaze ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0