chapitre 30

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Il fait nuit. Suzanne se rend à nouveau devant la maison d’Eléonore. Il y a encore de la lumière dans le salon mais elle sait qu’ils vont sortir ce soir parce que son mari a placé la voiture sur le bord de la route comme il le fait à chaque fois. Elle se tient un peu plus loin, cachée dans une haie, sous un immense cyprès ébranché, devant une villa, fermée celle-là, et bientôt elle entend tourner le moteur. Elle attend encore un peu. Les troènes dans lesquels elle est blottie ont une odeur de miel. La lumière de la façade est restée allumée et cela pourrait lui compliquer les choses. Elle vérifie qu’il n’y a personne sur le chemin, entre dans le jardin et suit l’allée qui mène à l’escalier extérieur. Elle ne va pas essayer d’entrer par là : elle les a entendus  fermer la porte à clé. Mais de l’autre côté de la maison, le soupirail de la cave est entrouvert. Elle glisse la main à l’intérieur, décroche la chaînette de la fenêtre qui se rabat avec fracas contre le mur. Cela l’effraie, elle s’immobilise. On n’entend que le vent dans le bosquet de saules au fond du jardin. Les nuages filent en silence sur la lune presque pleine. Alors elle se glisse à l’intérieur de la cave par l’ouverture en s’écorchant la jambe sur le ciment grossier.

Le sol de la pièce est invisible. Elle le cherche du bout des orteils et y prend pied. Il fait complètement noir. Elle avance, heurte des objets métalliques très lourds et commence à faire systématiquement le tour de la pièce. Des étagères contre le mur … des bouteilles vides par terre … des boulets de charbon qui roulent sous ses pieds. Elle est près de renoncer quand elle trouve la porte. Elle s’engage à tâtons dans un escalier très raide. Tout est silencieux. Elle monte doucement, marche après marche. Voilà l’entrée du salon où se tenait Fabrice et le canapé qui semble noir dans la pénombre. Le tapis est épais. Un autre escalier part derrière elle. Elle le prend. Ce sont les chambres. Mais les rideaux sont fermés. Elle s’en approche, tire le cordon et les ouvre. Une vague lueur entre par la fenêtre. Comme c’est grand ! Comme ce doit être bien d’habiter là ! La plus grande chambre donne sur la mer. Près du lit, il y a une commode. Celle d’Eléonore sûrement car quelques bijoux y ont été déposés en désordre. Elle a dû les laisser là au dernier moment avant de partir. Suzanne ne s’y intéresse pas. Elle ouvre un des tiroirs. Et au toucher elle devine de beaux pulls de laine douce, des foulards de soie… Un autre tiroir … Voilà ! Ce sont les sous-vêtements, elle prend une poignée de lingerie fine. Il s’en dégage un parfum discret. Il faut partir maintenant. Elle referme soigneusement les rideaux. Ils ne sauront peut-être même pas qu’elle est passée. Il y avait tant de choses dans le tiroir. Elle descend à la cave, se hisse à l’extérieur et après plusieurs essais, elle arrive à raccrocher la chaînette du soupirail. Une voiture passe lentement et s’arrête non loin de la maison. Cela ne peut pas être eux, elle aurait reconnu le bruit du moteur mais elle ne veut pas prendre le risque d’être aperçue. Elle gagne le fond du jardin, monte sur le talus et traverse le petit bois touffu et boueux en serrant contre elle son butin. De l’autre main, elle écarte les ronces qui pendent des arbres et atteint enfin un champ qu’elle connaît. Elle n’a qu’à le traverser pour trouver une petite route qui la mènera chez elle.

Là, elle regarde ce qu’elle a pris : des dentelles, de soie peut-être, blanches ou rosées et un soutien-gorge. C’est joli. Elle n’a jamais eu des choses comme ça entre les mains. Elle les étend sur le lit et les admire longtemps. Voilà, elle est entrée dans le monde d’Éléonore. Elle lui a volé un peu de bonheur. Elle a pris un peu de place. Elle essaie les lingeries et se regarde à nouveau perchée sur la chaise.

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