De Charybde En Scylla

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La voiture file à toute allure dans les rues d'Istarios qui sombre de secondes en secondes, dans une pagaille monumentale. Le désordre n'épargne aucun quartiers de la ville. De la Chôra défavorisée, il est remonté vers la Boulê et ses gratte-ciels tel une épidémie. Les cris de peur et d'agonie résonnent du centre historique de l'Astû et ses vénérables rues antiques, au parc de l'Echatiaï située à la périphérie de la "Cité Des Légendes".
L'air est chargé d'une tension particulière. Un goût de métal qui vient sur la langue et fait plisser le nez de dégoût : c'est celui de la magie. Pour les Humains, la Magie apporte un sentiment d'inconfort. Le cerveau reptilien est en alerte. Il perçoit ça comme une menace et active l'instinct de survie. Il génère aussi, l'appréhension et la peur. La magie est une force qu'on ne conçoit plus de nos jours. Ou plutôt, que l'on ne comprend plus. L'âme Humaine est ainsi faite : on redoute ce que l'on ne peut concevoir. Pour un Sorcier, c'est une sensation coutumière. La preuve qu'elle est là, prête à les aider en cas de besoin.
Tout ce désordre, ce désastre, heurte violemment la conscience d'Alan et Duncan.
A travers les vitres de la voiture, ils peuvent se rendre compte des dégâts qu'à pu causer l'effondrement du Voile. La Chôra baigne dans un épais brouillard de fumée âcre, dans les cris de terreur des habitants qui n'ont d'autre choix que de fuir ou mourir. Au vu des corps qui jonchent la rue, le bilan est déjà lourd. Cruel. Il révulse le coeur du cadet quand l'aîné bouillonne de rage et de regret. Les visages qu'ils croisent sont hagards, les traits tirés, perdus. Les Humains ne comprennent pas. Eux non plus.

Les Danekis en ont vu en tant d'années d'existence et d'expérience, mais ce qui s'est emparé d'Istarios est une première, même pour eux.

— Comment...Comment on a pu en arriver là ? se questionne le Grand-Maître des Sorciers d'Hécate.

Alan ne peut s'empêcher de sentir sa poitrine se serrer sous le poids de ses sombres pensées. Il y a de la culpabilité certes, c'est même sa marque de fabrique, mais aussi de l'incompréhension. C'est son devoir le plus sacré que de protéger les Hommes, de préserver l'équilibre. Ses aïeux l'ont fait avant lui et voilà ce que ça donne maintenant qu'il a repris l'héritage familial. Il faudra trouver un responsable à cet échec, c'est évident. Pour Alan, il est déjà tout trouvé : c'est lui.
Il aurait dû être plus attentif. Il aurait dû... Quoi ? Il ne sait pas.
Duncan ne quitte pas la route des yeux, il est obligé de rouler au pas. Cela ne l'empêche pas de sentir tout le trouble qui s'est emparé de son grand frère. Il le connait bien, lui et sa propension à l'auto-flagellation. C'est comme ça depuis que Alan a la lourde responsabilité de les guider. Le titre de "Grand-Maître" est bien pesant sur ces épaules d'ordinaire, si solides.
Le druide le soutient comme il le peut :

— Personne n'a rien vu venir. Ni toi, ni moi et pourtant les Failles, c'est mon job. Te rendre coupable de ce qu'il se passe, ça ne sert à rien. Et d'ailleurs, c'est pas le moment.

Il tente de rester pragmatique. Comme son aîné, Duncan peut prendre des risques et des décisions inconsidérées quand il est poussé par ce syndrôme du "sauveur à tout prix". Il le comprend parfaitement. Après tout, il vient de passer des jours à scruter le Voile sans y décerner le moindre indice sur le désastre à venir.
Cette fois, la situation est inédite et elle réclame une plus grande prudence encore. Le Cercle et par extension, son Grand-Maître, doit garder la tête froide. A ce stade, les Sorciers ne peuvent plus se permettre une seule erreur. L'esprit rationnel qu'affiche Duncan lui permet de penser aux conséquences à l'instant "T" et de calculer leurs actions à venir. Une méthode à laquelle s'accroche Alan qui reprend un peu de poil de la bête. Evidemment le druide reste inquiet quant à la sécurité du Temple et de ses enfants qui doivent s'y trouver. "Pourvu que Nora a pu y arriver sans encombres avec tous les autres."

C'était un après-midi qui n'avait rien d'extraordinaire pour le vétérinaire d'Istarios. Il quitta le Temple pour la clinique dont il a la direction dans le quartier de l'Echatiai. Duncan arborait ce masque le plus commun sous lequel on le connait à Istarios ; celui d'un docteur dévoué à son travail et ses patients, plutôt à poils et à plumes. Une couverture parfaite pour un homme capable de parler aux animaux et druide de surcroît. Pas de rendez-vous, mais quelques dossiers à vérifier et tellement de paperasse. De quoi mettre de côté ces histoires de Failles et les désirs d'aventure d'un neveu tempétueux tel que Callahan. Cela dit, en bon père de famille et comme il l'avait promit à Marie, Duncan partit de la clinique vers seize heures trente afin d'aller chercher ses enfants à l'école. Et pourquoi pas, passer voir "oncle Alan" au poste ? Arthur adore le Commissariat. Les policiers l'impressionnent et Duncan pense même que son fils aîné a trouvé sa vocation. Pourvu qu'il ne prenne pas son oncle comme modèle, c'est tout ce qu'il demande.

L'école se situait dans le quartier le plus moderne de la ville que l'on appelle Boulê. Un vague rapport aux cités de l'antiquité que la mairie a jugé pittoresque d'utiliser? "C'est pour les touristes" diront les mauvaises langues. Duncan et Marie ont décidé que leurs enfants iraient dans une école tout ce qu'il y a de plus normale. Une manière un peu inconsciente de les garder le plus possible en dehors du monde des Sorciers.
C'est en garant la voiture pour rejoindre la grille de l'école où s'agglutinaient déjà les autres parents que le Druide pu sentir ce goût métallique sur la langue si caractéristique, et l'agitation dans le Voile. Les sens du vétérinaire s'agitèrent aussitôt, les poils de sa nuque se hérissèrent. Toutes ses alarmes internes venaient de passer au rouge vif. Figé dans la rue, Duncan observait les lieux comme si quelque chose allait le frapper d'un moment à l'autre. Fébrile, il tourna sur lui-même, le regard qui va d'un bout à l'autre de la ruelle jusque là tranquille. Scrutant le moindre petit détail étrange qui confirmerait ses craintes les plus profondes. Rien, si ce n'est un silence qui n'a rien de banal ici. Et puis...
Sous ses yeux, des pans de cette réalité se confondèrent avec d'autres dans des glitchs aux vagues accents numériques. A la place de la fontaine du parc était apparue une tour aux angles absurdes qui n'a rien d'humaine mesurant au moins cinq étages. Elle s'évanouit aussitôt dans un crissement sonore altéré par un écho indescriptible. L'écho parcourut la rue, se réverbera sur les murs comme habité d'une vie propre. Soudain, la réalité se déchira de nouveau dans un bruissement qui ressemble à celui que l'on entend quand le signal est perdu à la télévision. Derrière lui, un voiture se retouve coupée en deux, propre et net. L'autre moitié est tombée de l'autre côté d'un portail triangulaire qui se referme dans un petit éclat d'énergie magique qui repousse le druide en arrière. L'écho revient, siffle, laisse porter la voix de millions de cris de panique à travers le Voile, le temps et les réalités.

Duncan sentit son cœur s'affoler car à cet instant, il devina parfaitement ce qui était en train de se passer. La réalité s'effondrait. Les prémices d'une terrible catastrophe : un effondrement du Voile. Sur le chemin de l'école, le druide eut à l'idée de faire évacuer au moins cet endroit. Au fur et à mesure qu'il remontait la petite artère, les glitchs devenaient de plus en plus fréquents, aléatoire et surtout, dangereux. Une voiture venait de se faire couper en deux comme une simple motte de beurre, qu'est-ce que cela donnerait si l'on y mettait un être humain à la place ?
Les gens présents ne semblaient pas comprendre ce qui se tramait sous leurs yeux. Comment le pourraient-t-ils ? Pour le commun des mortels, la Magie n'existait que dans les contes et les légendes. Au même moment, le téléphone de Duncan sonne, vibre. Les Sorciers qu'il a lui-même formé à la détection des Failles, en sont arrivés à la même conclusion que lui. Mais pas uniquement...
Ce qu'il apprit le terrifia et le prit la gorge ; la Chôra était sur le point d'être submergée par l'arrivée massive de créatures venues d'autres réalités. Le Voile devenait une vraie passoire dont il était impossible de contrôler les frontières. À l'autre bout de la ville, le chaos s'emparait du quartier quand ici, la vie ne change pas d'un iota. La réalité se disloque et l'on critique toujours son voisin, on parle du dernier restaurant branché du coin. Aux yeux du druide, la situation est presque ubuesque. La minute qui suit, il concentrait la magie issue de son héritage maternel au creux de son être. De ses lèvres, une litanie silencieuse monta crescendo dans l'air jusqu'à devenir un grondement de tonnerre. Le ciel se chargea de nuages noirs, lourds d'une pluie d'orage qui ne tarda pas à se déchainer sur la ville. Les parents se pressèrent de récupérer leurs enfants, il en fit de même une fois reconnecté à la terre ferme et quitta l'endroit aussi vite qu'il le pu en direction du Sanctuaire. Là où il retrouva Alan et Nora. Pas le temps de répondre aux questions inquiètes de ses deux bambins.

Alors qu'ils arrivent à destination, Duncan termine de raconter tout ce qu'il s'est passé à un passager devenu bien songeur. Le Druide explique qu'en dépit d'une solution plus efficace, c'est lui qui a levé les pluies diluviennes qui s'abattent sur Istarios depuis deux bonnes heures maintenant dans le but de forcer les gens à rentrer chez eux et y rester. Il a fait ce qu'il a pu, quitte à mettre en péril le Secret, la règle numéro 1 du Cercle : Les Hommes ne doivent savoir.
Alan le rassure en lui disant qu'il a bien fait.Les choix sont désormais restreints sur le sujet. Le Cercle allait devoir être inventif à l'avenir. Comment ? Tous, n'ont pas la moindre idée de par où commencer pour tenter de colmater la brêche à la fois, dans la réalité et dans la psyché humaine.
Une question à laquelle aucun des deux frères n'a de réponse pour le moment. Juste des solutions éphémères pour au moins préserver des vies innocentes de toute cette folie.
Un pansement sur une jambe de bois.

Le quartier de la Chôra est l'endroit où tout a commencé. C'est la première piste vers laquelle se tournent naturellement les Sorciers pour endiguer la menace qui déferle sur Istarios. Quand Duncan et Alan arrivent à destination, c'est un véritable champ de bataille en pleine rue qui se révèle à eux. Ils s'attendaient à un désastre, mais à ce point ? Les tristes visages croisés en chemin, les corps inanimés à même le macadam détrempé ont servi de mise-en-bouche morbide. Le pire, comme si c'était encore possible, était à venir. Il se trouvait là, devant leur visage médusé.
La rue Aiolia, l'axe principal du quartier, était encombrée par des dizaines de carcasses de voitures abandonnées, carbonisées, voire même broyées à la manière d'une vulgaire cocotte en papier. Entre elles, tentait de fuir leur propriétaire et les passants qui n'ont pas eu le temps de se mettre à l'abri. Les pauvres hères avaient beau frapper, cogner contre les portes des immeubles ou des boutiques, aucune d'elles ne voulaient s'ouvrir. A leurs trousses, des dizaines de petites créatures portant trois paires de pattes et deux paires de pinces grotesques. Affublées de carapace, elles paraissaient gauches et pataudes en traquant leur futur casse-croute qu'elles déchiquetaient sans aucune pitié.
L'atmosphère exsudait la peur, la mort, la poudre aussi.
Des dizaines des membres de la Police, dont des unités de la brigade anti-émeutes, ont été déployées pour faire face à la menace. Une menace que les coéquipiers d'Alan n'auraient jamais imaginé une seule seconde. Passé la surprise des premiers agents tombés sous les coups de pinces et de mandibules, les flics ont fait parler les armes, les matraques dans une moindre mesure. Loin d'être suffisant devant des centaines de ces monstres affamés qui semblaient n'agir d'un seul homme. La terreur n'épargne pas les plus téméraires quand elle revêt un tel visage.

Le Secret est maintenant largement compromis comme peuvent le remarquer les deux frères qui se demandent par où commencer. L'ironie est entière alors que le gros du chaos se déroule devant l'Argos et l'immeuble où un Faune transformé en Homme fut retrouvé mort dans l'incendie de son appartement. Sous une pluie battante, les coups de feu continuer de claquer dans l'air. Les policiers aidés par un Alan dans son rôle de Lieutenant se servent des voitures comme de barricades, mais ce n'est plus suffisant. Les survivants du massacre seront bientôt débordés et annihilés si une force supérieure n'est pas employée. Durant tout ce temps, Duncan s'est improvisé secouriste en usant de ses connaissances médicales. Les deux sorciers sont au pied du mur et échangent un regard de connivance

— Ça ne doit pas se savoir en dehors de la ville, sinon nous somme perdus ! hurle Duncan, la voix couvrant à peine le tumulte de la rue.

Alan l'a aussitôt comprit et passe un coup de fil au le Temple.
En levant la tête, on peut alors discerner la barrière magique aussitôt invoquée par Marie et les autres, coupant Istarios de ce pan de la réalité. Un nouveau cataplasme éphémère où, dans l'ère du numérique, tout peut se savoir dans une fraction de seconde. Le Grand-Maître prie la déesse pour que ce ne soit pas déjà le cas. La Magie est puissante certes, mais pas assez pour mentir au monde entier.

— Ça nous fera gagner un peu de temps ! souffle Alan visiblement soulagé.

La police sonne la retraite en bon ordre, comme à l'entrainement. Le repli s'effectue par palier en emportant les blessés au passage vers un point de repli un peu plus bas dans la rue. L'un des officiers de police interroge alors Alan qui ne semble pas décidé lui aussi, à quitter les lieux. Un jeune gamin à peine diplômé qui risque de se souvenir toute sa vie, de ce moment. Ou pas. Le Lieutenant désigne l'arrière du front d'un mouvement de tête puis reporte son attention devant lui. Duncan finit par le rejoindre.

Un hululement féroce retentit dans la rue encombrée de corps inertes et de voiture enchevêtrées. Une ombre se dessine au-dessus de la tête de Duncan ; la carcasse froissée d'un vehicule de police vole dans les airs comme une bille d'acier poussée d'une pichenette.
Le cœur de l'Écossais rate un battement lorsqu'il voit la chose se diriger vers lui. Il ferme les yeux, sûr de ne plus avoir le temps de dégager de là. Le bruit de tôle est assourdissant quand un grand « BOUM » le fait se recroqueviller plus encore sur lui-même. La voiture retombe lourdement sur d'autres dans un fracas sinistre de ferraille. Il souffle un froid polaire et la pluie s'est même... arrêtée autour du Druide. Quand il ouvre les yeux, Duncan lève le nez en l'air pour voir des volutes et des fractales courir sur une épaisse paroi de glace. Le "Bouclier De Glace" du Magus Glaciis, l'autre surnom d'Alan, venait de lui sauver la vie en détournant la voiture qui allait l'écrabouiller comme un puceron.

Nul besoin de mots. Un simple échange de regards suffit pour que les deux Danekis se comprennent. La glace disparaît dans une explosion de shrapnels gelés qui viennent se ficher dans les monstres venus les encercler. La chose n'a pas plu à la créature dirigeant cette nuée. Un nouveau caquètement de mandibules l'en atteste.

— Je crois qu'on l'a vexé. Qu'est-ce que c'est ? questionne Alan qui n'a jamais été très bon en entomologie magique.
Le Druide à la réponse bien évidemment, c'est son rayon.
— Un Riptide. Et celui-là, c'est un Alpha, peste dans ses dents Duncan.
— À la manière dont tu le dis, je ne sais pas dire si c'est une bonne ou une mauvaise chose.

Même dans les moments les plus critiques, Alan sait toujours faire preuve d'un drôle de sens de la répartie. Son cadet n'a pas le temps de répondre que le Riptide, monstre semblable à un énorme crabe affublé de deux paires de pinces, lance ses sbires dans un nouvel assaut sur la Chôra. Ses minions, clones miniatures de leur chef, cliquettent et martèlent les carcasses des voitures de leurs pinces coupantes comme des rasoirs. Les Sorciers sont vite acculés contre leur propre véhicule jusque-là, passablement en bon état.

— Couvre-moi ! ordonne Duncan à son grand-frère.

Alan obtempère et laisse parler l'Hydromancie qui est son don. La glace vient couvrir d'épaisses couches de givre, les tôles déchiquetées des véhicules. Le Sorcier en fait émerger des pics acérés sur lesquels s'empalent quelques Riptides. Par bonheur, d'autres sorciers sont arrivés en renfort un peu plus en amont dans la rue. D'autres combattants encore, protègent l'Argos où se sont réfugiés quelques habitants du quartier et leur famille ainsi que des policiers dépassés et blessés. La magie crépite dans l'air et le sâture de sa présence si particulière. Les forces se ré-équilibrent, juste un peu. Combien de temps tiendront-t-ils telle est la question mais ils se battent comme des lions.

Sous les pieds d'Alan, la terre se met à trembler.
De l'autre côté du barrage d'acier que compose les guimbardes défoncées, Duncan a posé la paume de la main à même le bitume. Les yeux clos, sa voix n'est qu'un murmure grondant. Une prière appelant aux forces primitives de la Nature. Entouré d'un halo vert diffus, le Druide se relève doucement. Devant lui, la terre, le macadam et le béton s'agglomèrent pour créer une forme vaguement humanoïde avoisinant les trois mètres de haut.
Alan recule d'un pas, toujours stupéfait même après toutes ces années. Les riptides stridulent de défi et de crainte maintenant qu'un Golem De Pierre s'est levé des entrailles telluriques. Deux orbes brillent d'un éclat magique émeraude. Le druide s'est uni à sa créature par le don qu'il a reçu d'Hécate, sa déesse.

— Tu me demandais si c'était une bonne chose que nous ayons trouvé l'Alpha ? commence Duncan dont la voix résonne d'une autre manière.
La créature magique avance d'un pas lourd vers leur ennemi et Alan reste pendu aux lèvres de son frère qui continue :
Si on tue l'Alpha, on tue la horde. L'esprit de ruche mon frère ! Voilà leur faiblesse.

Sans s'arrêter, sans même être ralenti par les assauts des insectoïdes, le Golem fait face à son adversaire. Le Riptide claque des mandibules, prêt à en découdre, vexé même d'être défié ainsi dans sa grandeur.
Alan ne compte pas jouer les figurant. Il reste d'autres séides de leur ennemi à tuer. L'aîné sait également que si Duncan vient à flancher, le Golem flanchera et leur chance sera perdue. Il lance alors un appel à travers le Voile en direction de tous les Sorciers présents dans la Chôra. Sa voix se fait entendre dans l'esprit de tous les frères et soeurs du Temple présent dans les environ. Le Grand-Maître bat le rappel de ses troupes qui répondent "présent" sans discuter, ni même réflechir. Des ombres accourent de tout côté. Elles font parler l'air, l'eau, le feu ou la terre. Parfois le métal, les corps ou l'esprit afin de mener de front cette première bataille qui est loin d'être la dernière. Ici il n'est plus question de protéger le Secret, il est trop tard pour ça. Il s'agit de faire payer à cette créature, tous ses crimes.

Le Golem de Pierre assène des coups redoutables à son ennemi. Quand Duncan donne un direct du droit alors la créature à laquelle il est lié en fait de même, telle une marionnette, une copie conforme version XXL. Pendant ce temps, le Druide est vulnérable et c'est à son aîné que revient la tâche de le protéger. Alan fait règner un froid polaire sous ces latitudes. Les créatures gèlent sur place puis explose en milliers de fragments. Le Grand-Maître dépense son énergie sans compter car son frère, autant que ce monde, est tout ce qui importe à cet instant.
Le Riptide se saisit du Golem entre ses deux paires de pinces pour l'écarteler. Si la création de pierre ne ressent pas la douleur, ce n'est pas le cas de son créateur qui geint, mais il tient bon. Le Golem est éparpillé au sol et l'Alpha stridule de satisfaction, de victoire même, et l'assaut de ses minions gagne en puissance. C'est un déferlement de crochets, de pinces, de salive venimeuse qui envahit la ruelle où les Sorciers du Cercle tiennent bon tant bien que mal.
La situation n'est pas perdue mais elle reste critique. Tant d'innocents sont encore présents dans le quartier, parfois prisonniers de leur appartement ou des magasins. Si le Riptide n'est pas arrêté là maintenant, qu'adviendra-t-il d'eux tous ?
Épuisés par l'effort, les deux frères tentent de garder la tête haute jusqu'à ce qu'une lumière bienveillante ne viennent cueillir les Sorciers présents.

Une lueur éclatante tel un lever de soleil vient jaillir sur ce champ de bataille urbain. Alors tous peuvent sentir à l'intérieur de leur corps et de leur cœur une force nouvelle. Une vigueur retrouvée et l'envie féroce d'en finir une bonne fois pour toute.
La bénédiction d'Hécate est à l'œuvre. Dispensée à travers le pouvoir d'un jeune Thaumaturge toisant ce drôle de petit monde du haut d'un camion renversé.

— Callahan ! s'exclame Alan, soulagé.

Un sourire à la fois fier et surtout reconnaissant sur ses traits fatigués.
Ce soutient inespéré venu de son neveu, permet à Duncan de relever sa créature de pierre dont les morceaux s'agencent en lévitant par eux-mêmes. L'éclat émeraude réapparaît dans les yeux du Golem qui repart de plus belle à l'assaut de son ennemi, surpris par l'apparition du mage sacré. Les poings de pierre fracassent la lourde carapace du Riptide qui stridule de douleur jusqu'à se retrouver séparés de ses redoutables pinces.
Le Riptide sent son heure venir et telle une araignée agonisante se rétracte sur lui-même pour s'éteindre dans un gargouillis peu ragoûtant. Autour des Sorciers, le reste des créatures suivent le même destin et meurent, privées de leur âme. Des centaines de coquilles vides tombent lourdement sur le sol dans un bruit de chitine.

Il règne dans la Chôra une atmosphère étrange. La pluie qui s'est arrêtée plutôt rend l'air humide, chargé d'une odeur âcre et métallique. Les créatures disparaissent dans un nuage de poussière, s'effacant de la réalité pour ne laisser derrière elle qu'un terrible carnage. Dans de telles circonstances, il est impossible pour les Sorciers de crier victoire. Il ne reste qu'un immense sentiment de frustration et de colère, de tristesse et d'incompréhension aussi.
Callahan rejoint ses oncles. Duncan est assis à même le sol, complètement vidé de son énergie. Alan, quant à lui se tourne vers la rue qu'il embrasse du regard, la mine sombre. Silencieux autant qu'épuisé.

— Tina a disparu. Elle n'était plus chez elle quand on a senti la déchirure, dit le jeune homme, piteux et inquiet.

Les deux frères échangent un regard perplexe et froncent légèrement le regard.
Ils savent à quel point la jeune Sorcière est unique au sein de leur petit monde. À quel point elle a su attirer bien des convoitises quand la vérité sur ses dons s'est su.

— Elle est peut-être au Temple avec les autres ? L'un de nous l'a mise en sécurité ? ose espérer Duncan qui se relève bien péniblement.

Cal' secoue la tête négativement.

— Je devais la rejoindre chez elle, ce soir, avant que tout ça... n'arrive. Je l'ai eu au téléphone, je lui ai demandé de rester dans son appartement pour m'attendre. Mais il était vide, se désole Callahan qui ne sait plus quoi faire pour cacher sa peine et sa colère.

— C'était une diversion. Pour nous occuper pendant qu'on prenait Tina en otage, avance un Alan muet jusqu'alors.

Il se tourne vers les membres de sa famille qui l'interroge du regard. Son frère autant que son neveu l'observe sans réellement comprendre la portée de ses paroles.

— Qui ? s'emporte le Thaumaturge.

Le caractère tempétueux du jeune homme refait surface.

— On va vite le savoir, murmure Alan dont l'attention est captée par une silhouette massive se tenant sur le pas de l'Argos.

Tous les deux échangent un bref signe de tête.
Une rencontre est à prévoir entre le Grand-Maître du Cercle et l'Alpha des Neuri mais pas maintenant. À travers le Voile, le Grand-Maitre du Cercle ordonne le repli vers le Temple après que l'on ait prit soin des blessés et des morts.

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