Suintant

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L'assaut de l'aile droite avait été inarretâble. Les sorciers avaient déchainés des pouvoirs terrifiants, changeant le sol en une boue visqueuse de cadavres en bouillie, mais les hommes avancèrent tout de même. Les autels de guerre s'enlisèrent dans les dépouilles, immobilisant une bonne part du clergé, mais les malades ne s'arrêtèrent pas. En dépit de l'épuisement de leurs muscles, ils avançaient en beuglant des litanies. L'ennemi fuyait devant un tel déchaînement de haine et de pestilence. Les prétoriens les arrêtèrent un temps, fauchant les membres gangrenés avec leurs puissantes haches, mais les pestiférés étaient nombreux et n'avaient rien à perdre. Ils jetèrent leurs corps convulsés et malades sur les rangs des guerriers sans âmes, les abattants un à un à coup de lames émoussées et de griffes difformes. Les sorciers déchainèrent la foudre, le feu et les malédictions, mais eux aussi décidèrent de s'enfuir devant l'avance de ces vecteurs de peste. Parmi ces vivants déjà morts qui traînaient leurs membres rapiécés sous des bandages humide se trouvait Hans Hartmann. Un jeune moine qui avait été infecté en accompagnant un prêtre qui rendait visite aux malades pour leur donner les derniers sacrements. La maladie avait fait verdir sa peau comme de la moisissure, avait dévoré ses lèvres pour laisser voir des dents jaunies et avait changé ses doigts en ossements crochus émergeant de la chair. Son œil droit avait disparu, remplacé par un hideux tentacule garni de ventouses dentées.
Il avait été jeté dans les ruelles puantes pour que son odeur délétère se dissipe. Il avait été laissé à l'abandon avec pour seule nourriture des restes avariés que la charité voulait bien lui offrir pour qu'il ait une chance de se maintenir en vie avec peine. Pourtant le Divin n'avait pas voulu le laisser mourir comme les autres. Il avait encore une raison de le laisser vivre.
Aujourd'hui, il ne vivait plus que pour l'Institoris, lui qui avait donné un sens nouveau à sa douleur en lui promettant le salut. Cette hideuse forme, cette souffrance et cette pestilence avaient désormais un but. Elles servaient les desseins du Divin en étant tournées contre les hérétiques et les sorciers qui avaient été à l'origine de ce fléau. Hartmann était dans un état si cadavérique qu'il sentait ses organes internes pourrissants laisser échapper l'odeur de leur nécrose pas sa bouche. Chacun des faibles battements de son cœur mourant faisait vibrer une carcasse douloureuse et pourrissante. Pourtant chaque battement de son cœur était dédié à l'Institoris.
Aussi lorsqu'il le vit, son cœur s'emballa. Et lorsqu'il vit Wilhelm le poignarder, son sang souillé de miasmes ne fit qu'un tour. Il fut le premier à comprendre ce qui se passait. Il déploya toute la force qui restait sans ses muscles atrophiés pour sauter, et en un bond il fut sur le chevalier renégat. Il le saisit comme il le pouvait de ses griffes osseuses, colla son tentacule facial au visage du traitre, lui mordit un œil, et finalement parvint à le faire tomber. Ils se débattirent tous deux, enlacés en une parodie de valse putride. Finalement, Hartmann égorgea Wilhelm avec ses griffes, puis se redressa péniblement.
Voyant l'Institoris à genoux devant lui, il crut rêver. Hartmann tendit sa main. L'Institoris le regarda, et la prit. Le moine pestiféré aida le prophète à se relever, puis se mît à genoux devant lui. N'importe quel homme aurait été effrayé, car ce seul contact était suffisant pour transmettre la maladie, mais pas Heinrich Kramer. Celui-ci le regarda d'un air paternel et déclara:
- "Hans Hartmann…" l'intéressé trembla, car il n'aurait jamais cru que l'envoyé du divin puisse connaître son nom. "En ce jour tu as été touché par la grâce du Divin, car c'est à travers toi qu'il a agi pour protéger son porte parole des machinations abjectes des sorciers. Tu as été choisi car tu étais digne de l'attention du Divin. Vas en paix, tous tes péchés sont pardonnés."
Hans Hartmann sentit son cœur mourant battre à une vitesse folle. L'épectase était enfin arrivée. Il avait été touché du doigt par le Divin lui même. Il sentit son cœur s'arrêter de battre, mettant fin aux pulsations de son corps mourant. Il avait cessé de souffrir, pour toujours. La souffrance n'existerait plus pour lui. Il tomba et il mourut.

Les flagellants et les chevaliers restés loyaux parvinrent à massacrer les renégats et les lycanthropes au prix de lourds sacrifices. Heinrich Kramer, blessé, fut chargé sur un chariot.
Alors que les attaques magiques et les maléfices fusaient depuis les entrées des grottes d'Exenschloss, ce qui restait de l'armée des croisés tournait les talons, dépitée. Harcelés par la sorcellerie, le moral des miliciens avait été anéanti. Les chevaliers restants comprirent que même si l'armée adverse était aussi défaite qu'eux, ils n'auraient plus ni la force ni le nombre ni même l'ardeur pour assiéger le fort où s'étaient réfugiés les sorciers. Depuis leurs cavernes ils étaient loin de pouvoir déployer la même puissance qu'en terrain à découvert, mais le courage avait été suffisamment émoussé. De plus, l'aile gauche de l'armée des croisés avait été vaincue après de longs et furieux combats. Les miliciens s'enfuirent trop vite pour les prêtres qui, ralentis par leurs autels de guerre, ne purent pas se sauver de la meute des enragés affectés par la magie malsaine de Franziska. L'armée fut mise en déroute lorsque l'Institoris lui même se trouva incapable de plus tenir debout.
Les pestiférés, eux seuls, qui n'avaient rien à perdre que ce soit leur vie ou les souffrances à endurer, restèrent d'un commun accord. Ils couvrirent la retraite de leurs camarades en restant se faire massacrer par les sortilèges et les guerriers furieux qui restaient. Ils périrent tous jusqu'au dernier.
Au final Franziska avait remportée sa victoire. Une victoire à la pyrhus, puisque presque toutes ses troupes avaient été perdues. Les nobles et les généraux étaient tous morts, et les soldats dispersés qui survivaient au final étaient moins d'un dixième de de ce qui avait été déployé. Mais Franziska était vivante, et ses laboratoires étaient intacts. Rien d'autre n'importait pour elle.

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