Putrescence

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dLes chevaliers croisés, cavalerie d'élite, fleuron de la noblesse, peinaient à faire avancer leurs montures dans la montée. Sur chaque flanc, ils avaient décidé de manœuvrer pour contourner les lignes ennemies et les charger de dos pour leur faire perdre tout espoir et éviter d'avoir à affronter leurs vouges. Mais la pente était trop abrupte et rocailleuse, alors leurs montures peinaient. Heureusement, une fois en hauteur, charger vers le bas ne serait pas un problème, alors que charger du bas vers le haut de la pente leur était proscris. Toutefois, afin d'éviter que l'ennemi ne fasse une manœuvre pour contrer leur avance, ils avaient envoyé des messagers ordonner une charge immédiate des pestiférés sur les flancs adverses.
Ceux-ci, galvanisés par leurs autels de guerre, avançaient avec des sourires béats et effrayants. L'odeur qui s'échappait d'eux suffit d'abord à faire reculer l'ennemi de quelques pas, comme par dégoût. Puis, dans un élan démentiel, les malades s'élancèrent avec une frénésie latente.
Les soldats en face ne comprirent pas immédiatement à quoi ils avaient affaire, mais lorsque les corps déformés couverts de bandages leur apparurent, la plus infinie des terreurs s'empara d'eux. Pointant bien loin leurs vouges pour tenir ces horreurs le plus éloigné possible d'eux, ils virent une marée de chair verdâtre moisie aux membres mutés se jeter sur eux en scandant des prières, poussant des autels de guerre dans la mêlée comme s'ils pouvaient broyer toute hérésie sous les roues de ces chariots. Sans armures, les pestiférés s'élancèrent sur les piques et s'y empalèrent jusqu'à les rendre inutilisables, puis ils s'agrippèrent aux boucliers et aux hampes adverses pour passer au travers de la gorge de ces impies leurs coutelas ébréchés, leurs poignards rouillés, leurs hachoirs émoussés ou, pour les plus atteints d'entre eux, les immondes excroissances osseuses qui jaillissaient de leurs corps telles des griffes suppurantes. Les défenseurs durent faire face à une marée d'horreurs dépassant l'entendement, et ceux qui n'avaient pas eu l'horrible malchance de devoir faire face à leurs ennemis en première ligne prirent leurs jambes à leurs coups, laissant leurs camarades déjà engagés au combat à une mort certaine. Ils furent jetés à terre sous la masse des corps, morts et vivants qui se déchiraient comme du papier avec des raclements immondes, puis les pestiférés démontèrent leurs armures pour exposer les chairs qu'ils transpercèrent et lacérèrent avec une joie extatique en priant le Divin de reconnaître leurs actes. Puis, ne pouvant s'arrêter là, ils continuèrent à avancer, mais bien plus lentement. Leurs corps faibles et mourants s'étaient pour beaucoup épuisés avec l'ardeur du premier assaut, c'est pourquoi ils se lancèrent à la poursuite des fuyards d'une démarche traînante et accablée, le souffle rauque et les mouvements maladroits.
Pendant ce temps, la cavalerie du flanc gauche arrivait à hauteur des sorciers, et le comte Stauffel qui menait la cavalerie décida dans un accès de zèle de lancer la charge directement sur les mages pour faire cesser la pluie de sortilèges qui n'avaient cessé d'immoler des croisés par dizaine.
- "Hardi compagnons ! Sus à la sorcière et à ses inconséquents suppôts ! Leur existence est une raclure que nous nous en allons nettoyer !"
Stauffel abaissa la visière de son grand heaume à ailettes, leva sa lance et la pointa droit vers la silhouette hautaine en armure émeraude couronnée de cheveux rouge qui devait être celle de Franziska Schrei elle même.
Aveuglé par l'excitation religieuse et l'idée d'arracher la victoire à lui seul, il talonna son cheval avec tant de force qu'il partit immédiatement au galop sur plus plus de deux cent mètres, mais il ne perdit pas de vue son objectif. Lorsque Franziska Schrei tourna vers lui un regard qui semblait empli de destruction pure, il fut secoué d'un frisson glacial, mais se ressaisit pour continuer sa charge, inconscient que, d'un geste, la sorcière aux cheveux rouges avait fait se détacher du flanc de montagne une partie de sa pierre qui avait alors glissé le long de la pente, entraînant une bonne part des cavaliers vers une mort certaine, broyés et congestionnés jusqu'à ce que leurs armures éclatent comme des fruits trop mur libérant en guise de pulpe des entrailles sanguinolentes. Le reste de la cavalerie tourna les talons et s'enfuit sans demander son reste. Seul le comte Stauffel, qui était parti en avant des autres et plus vite qu'aucun d'entre eux, ne fut en rien affecté. Son destrier fonça dans les mages, en bousculant quelques uns qui au fond n'eurent qu'à faire un pas de côté pour l'éviter. L'un d'entre eux se retourna et cracha dans un cri venimeux une incantation brûlante. Stauffel sentit alors le poids de son armure changer étrangement et sa vue se déforma comme si sa visière se déformait, ce qui était effectivement le cas. Le métal se mît à couler sur son corps, dans ses cheveux, dans ses yeux, son nez, sa bouche. Aussi bien son armure que la barde de son cheval devenaient liquides, et lorsqu'il tenta désespérément de respirer, le liquide épais et incroyablement visqueux s'écoula dans ses poumons. Il chuta sans s'en rendre compte, se débattit contre cette mort qui était tout sauf naturel, et finalement continua de s'asphyxier horriblement durant de longues minutes avant de s'immobiliser complètement.
Sur le flanc droit en revanche, les cavaliers s'en tinrent aux ordres de l'Institoris: briser la ligne pour permettre à l'infanterie de poursuivre les sorciers. Ils dévalèrent donc la pente en allant très vite au galop pour attaquer l'ennemi de dos.
Les lanciers des défenseurs réagirent très vite au bruit des sabots dans leur dos. Les officiers crièrent les ordres adaptés et les groupes de lanciers avec boucliers de l'arrière garde se mirent en formation schiltron. En un cercle hérissé de boucliers et de piques, ils virent la charge leur glisser presque dessus comme un bouclier détourne une lance, avec un fracas affreux et de nombreux chocs qui arrachèrent à la formation des éléments les plus exposés pour les jeter en travers du chemin des chevaux, mais les cavaliers ne pouvant ni perforer cette formation ni forcer leurs montures à se précipiter contre la muraille de piques, il leur fallut se détourner pour la plupart en donnant des coups d'épée dans le tas et en continuant leur galop, scindés en deux groupes des deux côtés du schiltron. Ceux qui ne s'arrêtèrent pas enfoncèrent quelques boucliers avant de s'immobiliser, figés comme des statues, chacun de leurs membres transpercé par au moins une pique. Toutefois, la formation très serrée et très compacte avait un prix, car c'est précisément le moment où les bombardes purent tirer derechef.
Un tir tomba juste à côté de la formation, blessant des cavaliers alliés. Le bruit aussi bien que le danger accentua la peur et l'affolement des montures, rendant la manœuvre de reformation qu'ils avaient amorcée impossible. Les cavaliers se dispersèrent sans pouvoir tenter de nouvelle charge sur le reste de l'infanterie ennemie et se retrouvèrent engagés au corps à corps, sans aucun élan pour les aider à infliger des dégâts. Le deuxième tir fut plus chanceux, car il tomba en plein milieu du schiltron, faisant une hécatombe à lui seul. Le troisième fit de même mais le quatrième tir résonna longtemps sans que son effet se fasse voir. Le bruit de la détonation fut encore bien plus assourdissant que pour tous les autres et fit se glacer le sang aussi bien des défenseurs que des croisés. Pourtant nul ne vit le projectile, et pour cause: il n'était pas parti.

Les artilleurs étaient sous le choc, en proie à un affolement terrible. La quatrième bombarde avait été mal nettoyée, ou alors ils avaient mis trop de poudre, ou alors le tir précédent l'avait fendue et ils ne s'en étaient pas aperçus. En tout cas, cette splendide pièce de bronze presque neuve avait explosé devant eux. Ses roulettes en bois, supposées assurer le bon mouvement de recul, s'étaient arrachées et étaient tombées. La base de la bouche à feu avait éclatée dans une décharge inouïe, projetant des échardes métalliques et faisant s'élever un gros nuage de fumée noire tandis que le canon s'affaissait mollement, laissant le boulet rouler doucement sur le sol. Heureusement, tous les hommes s'étaient jetés à plat ventre, mais l'un d'entre eux avait reçu une écharde dans le dos et souffrait péniblement. On pria le Divin de protéger Ses croisés contre pareil incident à l'avenir, et on rechargea les trois bombardes qui restaient.

Alors que les chevaliers tenus par serment à servir Franziska Schrei étaient un par un mis en pièces, la sorcière s'aperçut que les pestiférés avançaient sur les flancs de son armée. La perspective de mourir de la peste même en cas de victoire était de ces choses qui poussaient les hommes à fuir, et certains soldats couraient vers le refuge des tunnels.
Elle les regarda avec dégoût. Un geste cruel de sa main noueuse fit se déchirer la trame de la réalité, et les fuyards se virent entourés de flammèches multicolores. Ils hurlèrent d'effroi, mais ces flammèches collaient à leur peau comme un parasite assoiffé. Finalement leurs cris d'horreurs se changèrent en cris de rage. Ils se retournèrent pour pointer vers l'ennemi des mufles suintants de bave. La gueule dégoulinante, les yeux uniformément rouges, ils poussèrent un beuglement affreux avant de se jeter sur l'ennemi. Franziska eut un sourire en voyant ces bêtes féroces charger les pestiférés sans aucune crainte. Ça n'était qu'une version édulcorée de son sortilège le plus terrible, mais les résultats étaient satisfaisants.
- "Madame !"
Elle baissa les yeux sur un chevalier qui se tenait devant elle, un genoux au sol, maculé de la tête aux pieds avec son propre sang. C'était sire Hohenturm, et il était visiblement mortellement blessé. Une profonde estafilade lui faisait de l'oreille au milieu du torse l'une des plus splendides hémorragie que la magicienne ait jamais vue.
- "Madame, je… je dois vous dire… cet Institoris… c'est…
- Je sais ce qu'il est." fit-elle sèchement. Elle vit les yeux du chevalier s'écarquiller. Il avait pensé agir héroïquement en lui apportant une information qu'il jugeait capitale, mais désormais sa mort serait ridicule.
- "Allez donc mourir plus loin. Vous empestez le sang, et cette odeur perturbe mes sortilèges.
- B… bien sûr madame."
Alors, comme un mort vivant, il rampa péniblement pour s'éloigner jusqu'à ce que son corps s'effondre au sol pour se vider allègrement de son sang, faisant couler l'hémoglobine en torrent jusqu'au bas de la pente.
Franziska Schrei vit arriver devant elle l'étendard triomphant de celui qui se faisait appeler Institoris. Elle ferma les yeux, et récita une nouvelle incantation. L'air se froissa sous la puissance du pouvoir qu'elle libérait, et la réalité se déchira littéralement laissant émerger l'horreur.

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