67. Des fleurs et des promesses

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Oriane

Le temps est gris aujourd’hui, il fait plutôt frais, et Robin et moi profitons qu’il ne pleuve pas pour désherber nos plans de tomates et nos fraisiers. Le jardin n’est pas très grand, mais nous avons tout de même un petit carré de potager que mon fils adore entretenir. Du moins, il adore piquer les fraises et les petites tomates en faisant mine de bosser, en général. C’est pour ça qu’il ne rechigne pas lorsque je lui propose cette activité, contrairement au rangement de sa chambre qui l’a mis de mauvaise humeur tout à l’heure.

Je tape gentiment sur sa main lorsqu’il s’apprête à gober une nouvelle fraise et lui tends le panier pour qu’il la dépose dedans. A ce rythme-là, nous n’aurons pas de dessert ce soir. Remarque, je pourrais l’en priver, vu tout ce qu’il a déjà ingurgité, afin de pouvoir avoir droit à ma dose de fruits.

Quelques gouttes se font sentir et je soupire en jetant un œil au ciel. Le mois de juillet se termine dans la grisaille, c’est un peu déprimant, il faut l’avouer. Heureusement que le weekend du mariage de Rachel a été ensoleillé, elle aurait frôlé la crise cardiaque si ça n’avait pas été le cas.

Je fais signe à Robin de rentrer lorsque la pluie s’accentue et nous gagnons la cuisine pour préparer le déjeuner.

— Je te laisse rincer les tomates, signé-je alors qu’il se lave les mains.

Il est toujours aussi enthousiaste à m’aider à préparer le repas. C’est apparemment pour lui aussi distrayant que lorsque nous nous installons à mon bureau pour dessiner. J’aimerais dire que j’aime ça aussi, mais j’avoue que je ne dirais pas non à me faire servir de temps en temps. Je me contente de notre petite routine à tous les deux pendant les vacances, et ça me plaît. S’il continue comme ça, mon fils aura un large choix de métiers selon ses envies, parce qu’il s’applique dans tout ce qu’il aime et s’améliore. Il m’a demandé de l’aider à dessiner et je plaide coupable : nous passons plus de temps à ça qu’à remplir son cahier de vacances.

Je lève le nez de notre saladier en entendant sonner. Robin fait de même en constatant que je ne suis plus à notre affaire et, lorsqu’il constate que le flash clignote au-dessus de la porte de la cuisine, il descend de son tabouret et se précipite dans l’entrée. Je n’ai pas le temps de m’essuyer les mains qu’il réapparaît, tout sourire, Louis à ses côtés.

— J’ai oublié que tu le récupérais aujourd’hui ? demandé-je, perplexe.

— Non, non, tu n’as rien oublié du tout. A part peut-être que je t’aime et que je suis désolé pour tout ce qu’il s’est passé entre nous ces derniers temps. Tiens, je t’ai ramené un petit bouquet.

Je récupère les roses qu’il me tend, un panel de couleurs odorant que je hume sans me départir de mon air surpris.

— Merci… mais… qu’est-ce qui t’a poussé à venir me dire ça, aujourd’hui ? hésité-je sans manquer l’air satisfait imprimé sur le visage de mon fils.

— Eh bien, disons que j’ai beaucoup repensé à comment on était bien ensemble, le jour du mariage de Rachel et… j’avais envie de te voir, tout simplement. Tu sais, je souffre vraiment de notre séparation et je crois que j’ai compris. Si je veux te garder, il faut que je fasse des efforts et… le travail peut attendre, c’est toi qui es importante. Tu es mon épouse et tu dois toujours être ma priorité. Avec Robin, bien sûr.

J’aimerais dire qu’entendre ces mots sortir de la bouche de Louis me ravit, mais à cet instant, si j’affiche un masque neutre, c’est une véritable tempête dans mon cerveau. Dans le genre, alerte rouge chez Météo France, vents violents et orages.

— Je… heu… bafouillé-je avant de me tourner vers Robin pour signer. Tu veux bien nous laisser, Trésor ? Tu peux jouer un peu à la console.

Robin acquiesce vivement et sort de la cuisine, le sourire aux lèvres, et je crois que pour une fois, ce n’est pas l’idée de jouer qui lui donne cette bouille craquante. Mon cœur rate un battement quand je constate qu’il nourrit l’espoir que Louis rentre à la maison, et que voir son père débarquer ici, un bouquet de fleurs à la main et dans l’objectif de se faire pardonner est pour lui le signe que tout va rentrer dans l’ordre. Si seulement c’était si simple…

— Louis… qu’est-ce… qu’est-ce qui change des autres fois où tu m’as dit que tu comprenais et que tu ferais des efforts, au juste ?

— Eh bien, déjà, je crois vraiment que j’ai changé, Oriane. Tu as vu qu’au travail, j’avais confié plus de tâches à mes collègues ? Je ne l’aurais jamais fait avant, tu sais ? Et puis, je pense que j’ai réussi à m’occuper de Robin chaque weekend depuis que tu… que nous sommes séparés. Je ne sais pas comment te convaincre, mais si je viens aujourd’hui, c’est aussi pour m’excuser de tout ce que je t’ai fait subir ces derniers temps. Je n’ai vraiment pas été à la hauteur, Chérie. Je te demande simplement de me redonner une chance. Ce n’est pas ce que tu disais ? Qu’il fallait qu’on s’éloigne pour mieux se rapprocher ?

Dix ans de vie commune, je devrais pouvoir lire en lui comme dans un livre ouvert, pourtant je n’arrive pas à déterminer si son discours est différent des autres ou s’il me baratine, une fois encore… J’aimerais y croire, mais il a raison sur un point : je ne pourrai pas le savoir si je ne lui accorde pas une chance de me le prouver.

Louis me prend de court, je ne m’attendais absolument pas à sa visite, à devoir plancher sur notre couple aujourd’hui, à prendre une décision. Faire revenir Louis ici, c’est ce que je devrais faire, pour Robin, pour notre famille. Et moi, qu’est-ce que je veux au juste ? Parce qu’outre le fait que mon mari agit depuis quelques semaines comme il le devrait avec Robin, le faire revenir à la maison… c’est renoncer à ce que j’ai avec Hugo. J’ai honte, mais de mon côté, la situation telle qu’elle est me convenait plutôt bien.

— Si tu reviens à la maison, il faut que tu saches que le fait que tu t’occupes de Robin m’a permis… enfin, disons que j’ai commencé à vivre un peu pour moi, tu vois ? A sortir boire un verre avec Rachel, par exemple, comme tu peux le faire avec Vianney de ton côté. Je ne veux pas retourner dans cette routine où je passe mon temps à t’attendre, j’ai besoin de ces moments-là, moi aussi.

— Oui, c’est normal. Je te promets de faire plus à la maison, tu pourras tout à fait aller voir ta copine quand tu veux. Si je reviens, ce n’est pas pour reproduire les mêmes erreurs qu’avant, tu sais ? Je… je t’aime et je n’en peux plus de vivre loin de toi. Et… si tu veux que je me mette à genoux pour te le demander, je le ferai, mais j’ai vraiment envie de redonner une chance à notre couple. Pour toi, pour nous… et pour Robin aussi. Tu sais qu’il adorerait que l’on oublie nos divergences…

Il est doué, hein ? Forcément, il faut qu’il lance l’argument inattaquable. Évidemment que Robin veut retrouver son père à la maison, et il sait que ça fera mouche. Parce que, contrairement à lui ces derniers temps, notre fils est toujours resté ma priorité.

— Je veux y aller mollo, Louis. Je… Ok pour que tu reviennes à la maison, mais je ne suis pas prête à jouer la comédie du petit couple parfait, tu comprends ? Ce qu’on vit depuis des mois n’est pas digéré de mon côté, ce ne sont pas des fleurs et des excuses qui vont tout me faire oublier, même si je te remercie de faire le premier pas.

— C’est vrai ? Je peux revenir ? Il faut qu’on le dise à Robin, il va être trop content ! Et moi aussi, je le suis. Je… Merci, Chérie, de me redonner une chance, je te promets de ne pas la gâcher. On va reprendre peu à peu notre petite vie, comme avant. Et dans dix ans, tu verras, on en rigolera de tout ça. On ne sera pas le premier couple à avoir connu des difficultés sur le chemin…

Je ne sais pas si j’en rirai un jour, personnellement. Tout ce dont j’ai conscience, à cet instant, c’est que je devrais me réjouir de retrouver mon mari, être aux anges qu’il me promette de faire de nous sa priorité… Et je suis contente, hein ? Je veux dire, c’est tout ce que je demande. Pour Robin, au moins. De mon côté, je ne suis pas prête à redevenir la petite épouse, pas prête à m’oublier à nouveau, et ça me fiche la trouille de repartir en arrière. Quant à Hugo…

— On verra bien. Je vais m’installer dans la chambre d’amis pour l’instant, Louis. Je crois que ça nous permettra de rester focus sur l’essentiel. Je suis désolée, mais je pense que j’ai vraiment besoin de temps pour retrouver notre intimité…

— Oui, mais j’espère que l’on n’attendra pas trop longtemps. C’est aussi ça être un couple… C’est ce qui pourra aussi nous réunir, je pense. Je me souviens comment ton corps réagit à mes caresses et… bref, je vais attendre, mais il ne faudra pas le négliger non plus…

Je me retiens de lever les yeux au ciel et lui tourne le dos pour mettre le bouquet dans un vase. Je suis dans une position merdique et j’ai été très douée pour m’y coller toute seule. Parce qu’à cet instant, l’idée de coucher avec Louis ne me tente absolument pas, et j’en viendrais à me sentir coupable… Je ne veux pas faire une croix sur Hugo, mais je ne peux pas continuer à le voir si nous tentons de sauver notre mariage. Et ça me peine bien plus que ça ne le devrait. Là, tout de suite, j’ai envie d’aller me réfugier dans les draps de la chambre d’amis où nous étions lovés l’un contre l’autre il y a à peine quelques heures… Ils doivent encore porter son odeur boisée et masculine, rassurante et excitante.

— On verra ça, soufflé-je en me retournant pour le trouver à quelques centimètres de moi.

Louis me sourit et approche sa main de ma joue pour la caresser. Son sourire… celui qui n’a rien de commercial, le vrai, assuré et tendre à la fois, celui qu’il réserve à ses proches, qui m’a toujours apaisée. Il y a dix ans, ce sourire m’a convaincue de plonger dans le grand bain avec lui, que tout irait bien. Tout comme ses bras lorsqu’il m’enlace, rassurants. Un retour à la maison qui devrait me faire un bien fou et, dans une certaine mesure, c’est le cas. C’est rassurant de rentrer chez soi, de retrouver une habitude.

Je niche mon nez dans son cou pour ne pas avoir à le regarder dans les yeux ou à l’embrasser. Mes pensées sont tournées vers Hugo et je sais que c’est mal, mais il va falloir que je lui parle, et vite, parce que je ne doute pas que Louis lui dira être rentré à la maison dès demain au bureau, puisqu’apparemment, il est un peu devenu son confident. Cette situation est des plus ridicules et je m’en veux d’avoir mis mon amant dans cette position. Le pauvre, entre son patron et son amante, sacré dilemme…

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