61. La réserve aux bisous

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Oriane

— Tu es sûre que ça ne te dérange pas ?

Rachel m’offre une moue entendue, l’air de dire “va t’envoyer en l’air, je gère” ou “tu me prends pour qui ?”, voire “Team Hugo, tu le sais !”. Je ne sais pas trop. Ce dont j’ai connaissance, en revanche, c’est qu’elle trouve que j’ai une mine épanouie comme jamais depuis quelque temps. Alors, ça justifie apparemment de manquer un mercredi après-midi à la plage avec Robin et elle pour aller retrouver mon amant.

Mon amant… bon sang, j’ai encore du mal à m’y faire. Rachel est un amour, mais elle me rappelle fréquemment, malgré tout, que ce que je fais n’est pas correct, ni pour l’un, ni pour l’autre, et pas non plus pour moi. Et elle a grandement raison. Ce n’est pas moi, de jouer sur deux tableaux, et la culpabilité vient souvent me tenir la main. Cependant, je n’arrive pas à m’en empêcher. Chaque fois qu’Hugo m’envoie un message pour savoir quand on peut se voir, j’ai envie de lui dire qu’on devrait arrêter, pourtant nous nous rejoignons toujours chez l’un ou chez l’autre, et je passe un moment génial. Et pas seulement pour le sexe. J’apprécie l’amant, évidemment, mais l’homme aussi. Beaucoup.

— Merci, soufflé-je en lissant mon chemisier. J’ai dit à Robin que j’avais un rendez-vous urgent pour le boulot. Je ne sais pas pour combien de temps j’en ai, mais… je te promets de rentrer suffisamment tôt pour que tu puisses être à la maison quand ton homme rentrera.

— Amuse-toi bien ma Chérie. Tu es folle de faire des trucs comme ça, mais je t’adore ! Et ton Robin est entre de bonnes mains.

— Je n’en doute pas une seule seconde. Et moi aussi, je t’adore. Je me demande ce que je ferais sans toi, mais on va éviter les effusions larmoyantes, ris-je. Robin finit de ranger sa chambre, il arrive. Amusez-vous bien !

Je me dépêche de sortir, histoire de ne pas avoir à continuer à mentir à mon fils, et monte en voiture. Je dois rejoindre Hugo aux Restos, où il est bénévole, et j’ai l’impression d’être une ingrate en me disant que j’aurais préféré qu’on se retrouve chez lui. La vérité, c’est tout simplement que le voir me fait plaisir. Sexe ou pas, même si je dois avouer que le sexe avec lui est juste torride, passer du temps avec Hugo me plaît. Tout est naturel entre nous, pas de gêne, pas de malaise, même quand il part au petit matin avant que Robin se lève, même quand je dois filer le dimanche soir parce que je dois récupérer mon fils… comme si chacun s’accommodait de la situation sans vraiment se poser de question. Du moins, face à l’autre, parce qu’une fois seule dans mon lit, pour ma part, les interrogations fusent.

Je souris, comme toujours, en croisant le regard bleu hypnotisant d’Hugo au coin de la rue où je viens de me garer. Un coup d’œil au tableau de bord me rassure quant à ma ponctualité, et je ne traîne pas pour sortir de ma voiture alors qu’il me rejoint. Nos corps se percutent sans vraiment de douceur, nos lèvres se trouvent avec davantage de sensualité et je me sens tout simplement bien, là, au creux de ses bras.

— Quel accueil, souris-je en nichant mon nez dans son cou.

— C’est toujours un plaisir de te retrouver ! Même si aujourd’hui, nous allons être sages, répond-il doucement. Tu es prête ? J’ai prévenu Rébecca, la salariée, que tu allais m’accompagner.

— Prête, oui. Pourquoi tu voulais à tout prix qu’on se voie ici ?

— Parce que pour moi, cet engagement est important et je voulais partager cette expérience avec toi. Depuis que je suis tout jeune, mes parents m’ont appris à être à l’écoute des autres, et je me suis dit que ça te permettrait de mieux me connaître encore. Mais si ça ne t’intéresse plus, on file à la maison.

— Non, non, allons-y. Je sais que je n’ai pas l’air, comme ça, mais il n’y a pas que ton corps qui m’intéresse, ris-je.

Et c’est peut-être bien là, le problème. Un amant, c’est pour le sexe uniquement, non ? Alors pourquoi ça me plaît tant qu’il m’embarque dans sa folle vie bien remplie ? Je déconne à plein tube, je le sais.

Pas le temps de m’appesantir sur le sujet, le rire de mon amant rejoint le mien alors qu’il affiche une moue malicieuse, m’entraînant avec lui dans le local où les denrées sont distribuées aux personnes qui remplissent les conditions. Rébecca est déjà affairée derrière des cartons et me lance un sourire poli avant que ce dernier ne s’élargisse lorsque Hugo apparaît dans son champ de vision. Difficile de passer à côté de son regard appréciateur, et pas sur ma petite personne, lorsqu’elle l’observe avec insistance. La demoiselle est intéressée, aucun doute là-dessus. Je jette un coup d’œil à Hugo qui arbore son habituel sourire tandis que nous approchons, et lui fait une bise tout ce qu’il y a de plus amicale. Enfin, je crois… Il y a tellement longtemps que je n’ai pas vraiment fait attention aux signes masculins qui prouvent leur intérêt pour une femme, en vérité.

— Bonjour, Rébecca. C’est gentil de m’accueillir, la remercié-je en lui tendant la main.

— Bonjour, vous êtes Oriane, c’est ça ? Hugo m’a prévenue qu’il venait avec une amie à lui, aujourd’hui, c’est bien, nous avons toujours besoin d’aide. Vous êtes déjà venue ici, non ?

— C’est ça, souris-je, et effectivement, il m’arrive d’apporter des vêtements ou des jouets. Est-ce que je peux me rendre utile ?

— Vous pouvez accompagner Hugo, il va vous expliquer parce que non seulement, il est beau gosse, mais en plus, c’est vraiment un gars bien. Il fait du bénévolat depuis des années et a souvent accompagné sa maman ici, il connaît bien le fonctionnement. N’est-ce pas, Apollon ?

— Oui, viens avec moi, Oriane, je vais tout t’expliquer, répond-il comme si de rien n’était.

J’acquiesce et le suis en masquant la petite pointe d’agacement que me fait ressentir Rébecca. Hugo nous a présentés comme des amis, ce qui sous-entend que je sais que c’est un homme bien. Et puis, j’ai des yeux, merci, je sais qu’il est magnifique. C’est un peu comme si elle me déballait tout ce qui la rapproche de lui histoire de marquer son territoire. Ou alors, je divague totalement et découvre les joies de la jalousie ? Je préfère ne pas me retrouver avec des questionnements supplémentaires et essaie de mettre tout ça de côté alors qu’il me montre la réserve.

— Explique-moi tout, beau garçon bien, souris-je en lui donnant un léger coup de hanche. Je suis tout ouïe, prête à boire la moindre de tes paroles.

— Rébecca, tu veux qu’on aille au magasin ou dans la réserve pour faire les stocks ? Je crois que pour commencer, la réserve, c’est mieux, non ?

— Oui, allez-y, mais pas de bêtises, je vous surveille, hein ? Et Hugo, tu crois qu’après votre bénévolat, tu pourrais rester un peu ? Tu te souviens que tu m’avais promis un resto ? On pourrait regarder pour se trouver une date, non ?

— On verra ça, répond-il en m’entraînant à sa suite.

Je contiens les bougonnements qui cherchent à se faire la malle d’entre mes lèvres et observe les cartons et étagères qui ne sont malheureusement sans doute pas aussi fournis qu’ils le devraient pour pouvoir répondre aux besoins des plus pauvres. Parfois, comme à cet instant, je me demande si j’aurais reproduit le même schéma que ma mère si je n’avais pas épousé Louis. Chômage, galères et passages par ce genre d’associations. Je n’aurais pas aimé que Robin vive ce que j’ai vécu à cette époque. On peut dire ce qu’on veut sur les foyers et l’Aide Sociale à l’Enfance, je ne l’ai peut-être pas vécu de la meilleure des manières, mais j’avais un lit, des fringues propres et de la nourriture dans mon assiette au moins.

— Tu vois, là, c’est l’endroit où on peut faire des bisous en toute discrétion, indique-t-il en me poussant contre une étagère dans un coin pour m’embrasser en posant ses mains sur mes hanches.

— Pas sûre que Rébecca apprécie, pouffé-je en glissant mes mains sous son tee-shirt pour caresser son ventre.

— Ne t’occupe pas d’elle, il est possible que je me sois un peu laissé dragouiller par le passé, mais c’était avant de te connaître.

Il s’est serré contre moi et je me demande pendant quelques secondes s’il va savoir s’arrêter tellement il a l’air de me désirer, mais il interrompt notre étreinte et se réajuste sous mon regard amusé.

— Est-ce que je passe pour une perverse si je te dis que tu es encore plus beau quand tu es tout excité ? soufflé-je en faisant courir mon index sur son torse.

— Désolé, avec toi, j’ai vraiment du mal à me retenir, jolie perverse. Mais on n’est pas là pour ça, malheureusement, il faut qu’on range tous ces produits par catégorie. Ici, les boîtes de conserve, là, les paquets de pâtes, et là-bas, il faut juste suivre les étiquettes. Ça va aller ou tu as encore besoin d’un bisou pour te lancer ?

Je fais mine de réfléchir quelques instants avant de pointer mes lèvres du doigt pour réclamer ce qu’il ne rechigne absolument pas à m’offrir, même si c’est plus une légère caresse qu’un baiser passionné, comme s’il cherchait à éviter le dérapage.

Nous nous mettons donc à la tâche, nous retrouvant parfois derrière une étagère pour un petit bisou ou deux, et j’ai aussi tout le loisir d’observer la jolie Rébecca et sa danse de l’amour. Elle fait nombre d’allers-retours entre le magasin et la réserve pour discuter avec Hugo, ressort une fois sur deux sans rien dans les mains. Ok, j’ai réellement découvert ce qu’est la jalousie quand elle s’est quasiment collée à lui pour attraper un carton de pâtes, avant de glousser comme une dinde en mettant en avant son décolleté. Oui, je deviens méchante… Pas plus mon genre que la jalousie, d’ordinaire.

Hugo, de son côté, fait plusieurs passages en magasin pour remplir les étagères, et je l’observe interagir avec les habitués, de ce que je vois, et je souris en constatant à quel point il est à l’aise dans cet environnement, quand moi, je me souviens du sentiment de honte qui me gagnait lorsque ma mère et moi faisions un passage dans ce genre de lieux. Les gens y étaient gentils, mais tout ce que je voyais, c’est qu’on nous faisait la charité.

— Tu finis à quelle heure ? demandé-je à Hugo en avisant ma montre. Je vais bientôt devoir y aller…

— Eh bien, allons-y alors, je ne veux pas te mettre en retard.

— Tu es sûr ? Enfin… tu peux rester, je ne veux pas bousculer ton planning, et puis… je m’en vais pour aller récupérer Robin, après tout.

— Non, je veux profiter de toi jusqu’au bout, pas une minute à perdre !

Je souris et l’embrasse tendrement sur la joue avant de récupérer mon sac à main. Non, je n’ai absolument pas cherché à marquer mon territoire en le faisant à la vue de Rébecca, je ne suis pas si fourbe… Ok, peut-être un peu, mais jamais je ne l’avouerai, parce que je n’en suis pas non plus très fière. Après tout, Hugo ne me doit rien, nous ne nous sommes pas promis fidélité, et ce serait clairement déplacé de ma part de le faire.

— Rébecca, j’ai été ravie de pouvoir donner un coup de main, merci pour cette opportunité. J’espère pouvoir revenir de temps en temps. Je dois filer, désolée.

— Merci d’être venue, Oriane. Si vous revenez, il faudra choisir un autre moment qu’Hugo, par contre. On préfère avoir des bénévoles un peu tous les jours que tous en même temps. Et j’ai l’impression qu’il est plus efficace quand il est seul… La formation des nouveaux lui a pris du temps, sûrement. Tu pars aussi, Beau Gosse ?

— Oui, oui, je raccompagne Oriane. A bientôt, Rébecca, répond-il sobrement en lui adressant néanmoins un sourire que je trouve charmeur.

— A bientôt, soupire-t-elle, assurément déçue de son départ.

Je garde mon sourire satisfait pour moi en sortant et glisse ma main dans celle de mon amant après avoir vérifié que je ne connaissais personne dans cette rue peu fréquentée. Ce petit geste semble lui faire plaisir, si j’en crois le sourire dont il me gratifie, et le baiser chaud et gourmand que nous partageons contre ma voiture.

— Tu aimes vraiment ce que tu fais, hein ? Je veux dire, aider les gens dans le besoin, échanger avec eux. Tu t’es peut-être trompé de vocation, en fait, souris-je alors qu’il m’accule toujours contre ma portière.

— J’adore, et avec toi, c’est encore mieux. Tu ne regrettes pas d’être venue, j’espère ?

— Bien sûr que non. Mais ça ne se reproduira pas, apparemment, lui rétorqué-je d’une voix légère. On aurait peut-être dû aller au bout des choses dans la réserve, parce que maintenant, c’est mort pour te débaucher là-bas.

— Tu imagines si Rébecca nous avait surpris ? s’esclaffe-t-il. Remarque, au moins, ça l’aurait peut-être un peu calmée sur moi. Et pour ce qui est de me débaucher, il faudra attendre le weekend, là, malheureusement.

Je fais la moue et picore ses lèvres encore quelques secondes avant de le repousser gentiment.

— Il faut que je file. Si Rach n’est pas rentrée chez elle avant Mathieu, je n’aurai plus ma nounou pour me libérer un peu de temps quand tu veux bien de moi, plaisanté-je. Vivement ce weekend !

— Vu comment j’ai envie de toi, je crois bien que je vais bien vouloir de toi encore très, très longtemps !

Dernier baiser et je file retrouver mon fils, non sans me demander combien de temps Hugo supportera cette situation, et comment je vais me dépatouiller de mon côté. J’oublie toujours tout quand je suis avec lui, mais ça ne dure que l’espace de quelques heures. Après, je redeviens la femme mariée qui fait du mal à sa famille. Comment j’ai pu en arriver là ?

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