47. Maudit Karma

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Oriane

Mais qu’est-ce que je fais au juste, hein ? J’ai l’impression de ne plus être moi-même. Lui proposer de m’accompagner à l’hôtel ? Bon sang, j’aurais fait ça il y a dix ans sans me poser de questions, oui, mais aujourd’hui… aujourd’hui, je suis mariée, merde ! Certes, il s’agit d’un mariage de convenance, mais je partage la vie de Louis depuis dix ans, ce n’est pas rien, je ne peux pas mettre tout ça de côté juste pour me faire plaisir…

J’en suis là dans mes réflexions lorsque ma raison vacille. Hugo sort du Lotus Club, naturellement canon, la démarche assurée, bien que je discerne dans ses yeux de l’incertitude. Bienvenue au club… bien que je croie que nous n’avons pas les mêmes questions.

Je lui souris avec toute l’assurance dont je suis capable lorsqu’il se plante devant moi, quand bien même je suis littéralement divisée en deux. S’il m’avait entraînée dans un coin du club juste après sa prestation, mon cerveau et ma raison ne se seraient jamais manifestés, mais l’excitation du moment est redescendue, et si elle n’est pas totalement éteinte, j’ai eu le temps de me souvenir que j’avais un mari qui m’attendait à la maison. Ou chez ses parents, plutôt, puisqu’il est incapable d’accorder ne serait-ce qu’un après-midi à son fils.

— On rejoint la plage, pour rentrer ? L’hôtel n’est pas très loin, mais je commence à avoir mal aux pieds avec ces échasses…

— Comme tu veux, je te suis. Et si tu veux, je peux même porter tes chaussures, me répond-il en me dévorant des yeux.

— Je ne risque pas de me faire un tour de reins avec, mais merci, c’est bien aimable, ris-je en attrapant sa main pour descendre les escaliers après avoir ôté mes escarpins.

Je pousse un soupir de contentement en sentant le sable frais sous mes plantes et l’observe enlever à son tour ses baskets.

— Tu n’as jamais pensé à faire un spectacle avec des talons ? J’ai vu ton sourire moqueur, tu n’imagines même pas comme ces trucs sont des engins de torture.

— Il faudra que j’y pense, mais je ne suis pas sûr que ça entre dans les fantasmes principaux des spectatrices ! Et mon sourire n’était pas moqueur mais plutôt admiratif. Tu es une femme magnifique, Oriane.

Bon sang, j’ai trente ans et l’impression de rougir comme une ado. Je ne saurais même pas dire si c’est grisant ou pathétique, mais il a cette capacité à me toucher avec quelques mots. Ou bien, c’est parce qu’il y a bien longtemps que Louis a arrêté de me regarder comme ça au quotidien. Toujours est-il que son regard me dévore sans être gênant. C’est juste… agréable. Et excitant.

— Tu as raison, pas dit que ça plaise à ces demoiselles, les talons. Tu devrais tenter le pied nu, par contre, même habillé. Les femmes adorent, va savoir pourquoi !

— Ah, c’est pour ça que tu voulais passer sur la plage, alors ? me demande-t-il en passant son bras derrière mon dos pour poser sa main sur ma hanche.

— Peut-être bien, ris-je en passant mon bras autour de sa taille. Bien que, pour être honnête, je ne vois pas grand-chose au clair de Lune. Mais pour la symbolique, j’avoue… même si l’idéal, dans l’esprit tordu d’une femme, c’est torse nu avec juste un pantalon, tu vois ? Ne me demande pas pourquoi… En tout cas, ça marche sur Rachel et moi. Si tu voyais notre fil de conversation, c’est rempli d’envois de photos de ce genre.

Il faut que j’arrête de parler et de raconter n’importe quoi, moi. Bon, OK, ce n’est pas n’importe quoi, c’est la stricte vérité, mais qu’est-ce qu’on s’en fiche de mes échanges avec Rach ? Quelle idée de balancer ça comme ça !

— En parlant de Rachel, j’espère qu’elle ne fera rien de stupide… Ça ne serait pas très malin de commencer son mariage par une aventure extraconjugale…

— Ce serait si grave que ça si son futur époux ne l’apprenait jamais ? me demande-t-il après un court temps de silence.

— Elle, elle le saurait. Disons qu’elle a beau aimer les hommes, c’est une grande sentimentale. Elle risque de se torturer l’esprit jusqu’à se sentir obligée de lui avouer… et lui… lui est très à cheval sur la fidélité. J’espère que David se contentera d’Andréa. Remarque, ça avait l’air de coller avec elle.

— David est un gentleman. Et si Andréa, c'est ta copine blonde, c'est sûr qu'il n'ira pas chercher beaucoup plus loin !

— C’est elle, oui. D’ailleurs, elle te dévorait du regard autant que lui… Tu aurais pu tenter ta chance avec elle, toi aussi…

— Si je te dis que je n'ai vu que toi, tu me crois ou te moques de moi ?

Je m’arrête et l’observe quelques instants en silence. Le pire, c’est qu’il a l’air sincère. Et moi j’hésite, je tourne en bourrique, je ne sais pas où je vais, et j’ai la désagréable impression de jouer avec lui.

— Si je suis tout à fait honnête avec toi, je dois t’avouer qu’une fois que je t’ai reconnu sur scène, je n’avais plus d’yeux que pour toi… Honnêtement, je suis perdue, Hugo, soufflé-je en montant les marches de la rue où se trouve l’hôtel avant de remettre mes escarpins.

— Tu n'as pas envie d'écouter tes désirs ce soir ? Moi, je n'ai pas envie de me poser trop de questions, je veux juste passer un moment merveilleux avec une femme sublime que je souhaite découvrir. Sans penser à demain… Et je crois que cette soif de découverte est partagée, non ? conclut-il en me tournant vers lui.

Je pose mes mains sur son torse en soupirant, me presse contre lui alors que ses bras m’encerclent. Bien sûr qu’elle est partagée, bien au-delà du raisonnable, et mon envie surpasse ma raison alors que je dépose des baisers le long de sa mâchoire jusqu’à trouver sa bouche. Bon sang, il me fait un effet dingue et c’est peu dire. Chacune de ses caresses échauffe ma peau, et je lâche un gémissement lorsqu’il me soulève pour me poser sur le muret entre la plage et le trottoir, s’insinuant entre mes cuisses au passage. Nous échangeons un baiser des plus intenses, nos langues dansant l’une avec l’autre alors que nos mains partent à la découverte, ou à la redécouverte, du corps de l’autre. J’ai follement envie de lui dire de monter avec moi, surtout lorsqu’il me plaque presque brutalement contre son érection en dévorant mon cou. Je me surprends à onduler contre lui tandis que ses mains empaument mes seins tendus et alourdis par le désir. Je crois que je suis à deux doigts de le supplier de me prendre lorsque nous sursautons tous les deux en entendant mon portable biper.

Le charme se rompt à la seconde où je le sors, tombant sur une photo de Robin et moi avec Louis. Putain, qu’est-ce que je fous, au juste ? Je ne sais pas si j’ai envie de remercier Rachel ou de la tuer, alors qu’elle me prévient que tout le monde retourne à l’hôtel et me dit de faire attention si nous ne sommes pas encore enfermés dans ma chambre. Je soupire lourdement et embrasse la joue rappeuse de Hugo.

— Je vais rentrer, je pense que… Je crois que ça vaut mieux comme ça…

— Tu ne veux pas que je vienne, c'est ça ? soupire-t-il tristement.

— Oh, crois-moi, j’en ai envie, Hugo… mais je suis comme Rachel… Je vais ruminer, m’en vouloir jusqu’à avouer ma faute. Et si j’ai bien conscience qu’une partie de moi ne regrettera pas de m’être laissée aller, je sais que je vais me détester d’avoir trompé mon mari…

— Je comprends… Je croyais… Non, ce n’est pas important. Je vais te laisser, alors. Merci de m'avoir fait un peu rêver, c'est déjà ça.

— Je suis désolée, Hugo. Je… mince, si tu savais comme j’en ai envie.

— Ne t’inquiète pas, je ne vais plus insister. Il faut que je te laisse vivre ta vie, sinon, moi aussi, je m’en voudrai. Sois heureuse, Oriane, tu le mérites.

Il s'éloigne et ne s'arrête même pas pour remettre ses chaussures, comme s'il voulait mettre le plus de distance entre nous le plus vite possible. Et moi, je me sens profondément conne. Parce que je crève d’envie d’aller plus loin avec lui, parce que Louis ne mérite même pas ma fidélité alors qu’il me fait passer après sa société depuis des mois et que j’ai beau lui lancer des signaux d’alerte, rien ne change. Parce que, merde, j’ai envie de penser à moi, pour une fois. Et je me trouve profondément égoïste d’avoir la pensée que tromper mon mari pourrait être justifié. Ça ne l’est pas et je le sais. Rien ne justifie ça, surtout pas alors que Louis a tout fait, il y a dix ans, pour que Robin naisse dans un foyer stable et aimant.

Dépitée, je traverse la rue pour rejoindre l’hôtel et grimace quand je plonge mon regard dans celui de ma meilleure amie.

— Quoi ? soupiré-je alors qu’elle croise les bras sous sa poitrine, mettant son décolleté en valeur sans même s’en rendre compte. Franchement, je doute que Mathieu résiste à ta moue en colère, t’es bandante quand tu es comme ça.

— Pourquoi est-ce que le Lord, qui est beaucoup plus bandant que moi, je te rappelle, est parti tout tristounet ? Tu l’as envoyé balader ?

— Figure-toi que c’était plutôt bien parti… Et puis, j’ai reçu un message de ma meilleure amie, et je suis tombée sur mon fond d’écran. Rappel brutal de la réalité de ma petite vie de femme au foyer, marmonné-je en m’adossant contre le mur.

— N’importe quoi, ce n’est quand même pas ma faute si tu es en train de gâcher ta seule opportunité de découvrir ce qu’il vaut au lit, quand même ! Merde, pour une fois que tu as un mec qui ressemble à un Dieu grec et qui te plait, tu n’en profites même pas ! Il faut le voir juste comme un vibro de luxe ! Et Louis, ça serait bien fait pour sa gueule, vu comment il te traite ! Tu n’en as pas marre de faire disette ?

Si seulement elle savait… Je lui dois tout, à Louis. Sans lui, je n’aurais eu personne pour m’épauler avec Robin, je n’aurais pas pu garder mon logement, j’aurais sans doute fini dans un foyer mère-enfant. Peut-être que j’aurais pu bosser un peu et balancé une grosse partie de mon salaire pour une nourrice, et puis en découvrant le handicap de mon fils, j’aurais tout lâché, et ça aurait mal tourné.

— Il n’en reste pas moins mon mari. Tu te rends compte que tu me dis clairement que je dois le tromper ? Je… je ne suis pas sûre de pouvoir me regarder dans un miroir après ça, quand bien même l’idée de coucher avec Hugo est très tentante. Il y a un truc entre nous, difficile de le nier, mais… je suis mariée, Rach, si je trompe Louis, tu me regarderas toujours de la même façon ?

— Bien sûr ! Pour moi, ton mariage avec Louis, c’est déjà du passé. Il n’y a que toi qui ne le vois pas et qui t’accroches. Si je pensais que vous aviez encore une chance, je n’aurais pas le même discours, tu sais ? Mais là, tu t’enfermes dans une relation qui est périmée et qui ne sent plus bon du tout… Mais c’est ton choix, ma Puce. Si ce soir tu t’ennuies, je serai seule dans ma chambre. N’hésite pas à venir me retrouver, ce sera avec plaisir. Et une bonne façon de continuer ce weekend de fête et de folie.

Je jette un œil en direction de la rue où Hugo est parti et soupire lourdement. Rachel ne m’aide pas du tout à rester sérieuse. Elle dépose une bise sur ma joue et s’engouffre dans l’hôtel sans plus un mot, alors que de mon côté, téléphone en main, j’hésite. Encore. Tu m’étonnes que Hugo se soit barré, je suis une vraie girouette. Une girouette qui rêve de passer la nuit avec lui, c’est clair. Et c’est peut-être ma seule chance avant une éternité. Bon sang, c’est quoi, l’adage, déjà ? Mieux vaut vivre avec des regrets que des remords ? Ou l’inverse ? Je ne sais plus, toujours est-il que je me retrouve avec mon mobile vissé à l’oreille, priant silencieusement pour qu’il décroche, ce qu’il fait juste avant que je tombe sur répondeur.

— Oui ? demande-t-il sobrement d’une voix un peu lasse.

— Hugo, je… Bon sang, je suis désolée, bafouillé-je. Tu… tu as déjà quitté Deauville ? J’ai vraiment envie qu’on finisse la soirée ensemble, je n’aurais pas dû paniquer comme ça…

— Je suis sur la route, oui. Oriane, j’ai bien compris que tu étais perdue et je ne t’en veux pas, tu sais ? J’ai peut-être été un peu rude tout à l’heure, mais j’étais… un peu blessé. Dans mon amour propre. On reparlera de tout ça à tête reposée, ça vaut mieux, non ?

Je souffle, déçue, mais je comprends bien. A quoi bon revenir ici alors que je pourrais très bien à nouveau lui poser un stop ? Moi-même, je crois que je m’agace, alors je n’ose pas imaginer ce qu’il ressent.

— Très bien… Tu as sans doute raison. Je suis désolée, sincèrement, pour… mon comportement. Je t’assure que tu n’es pas le problème, j’espère que tu le sais. Si je n’étais pas mariée, il y a bien longtemps que j’aurais cédé à tes avances…

— Je ne sais pas, non. Ce que je sais par contre, c’est que je ne suis pas un jouet et il faut que je me protège aussi. Et qui sait ? Un jour, peut-être que tu seras libre et qu’on pourra envisager quelque chose ? Merci de m’avoir rappelé, en tout cas, ça me rassure un peu.

— Fais attention à la route, et… prends soin de toi, Hugo. Tu as raison, je n’ai pas le droit de te malmener. Je te l’ai déjà dit, tu mérites bien mieux qu’une femme mariée qui ne peut pas avoir ce qu’elle veut. A bientôt…

Je ne lui laisse pas le temps de répondre et raccroche, la gorge nouée. J’ai tout fait foirer pour un mariage qui bat de l’aile. Ou un mariage déjà fichu, selon Rachel. Si ma raison me dit que c’est mieux ainsi, tout mon être me hurle que j’aurais dû être égoïste, pour une fois. Manque de chance, quand je me suis enfin décidée, Hugo a retrouvé la raison. Karma, ça m’apprendra…

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