Oriane

J’enfile mon short bleu nuit ample et glisse mon débardeur blanc dedans en avisant du coin de l’œil la veste à manches trois-quart sur le cintre. Il fait chaud, ce soir, mais j’aime beaucoup cette tenue à la fois classe et décontractée. J’ai hésité à mettre une robe mais, sait-on jamais, hors de question que l’on voie mon sous-vêtement. En me plantant devant le miroir de cette jolie chambre de l’hôtel-spa où nous nous trouvons pour le weekend, je me trouve plutôt belle, ce soir. Oh, rien à voir avec Rachel et sa silhouette fine et parfaite, ou avec Mel et sa crinière flamboyante et ses tâches de rousseur, c’est sûr, mais je me retrouve un peu en tant que femme. La mère de famille fait un break, ce soir. Enfin… après avoir souhaité une bonne nuit à son grand bébé.

Je lance l’appel visio sur ma tablette posée sur le bureau, tout en rassemblant ma masse brune dans un chignon haut qui laisse s’échapper quelques mèches. Mon sourire s’accroît en voyant apparaître Robin à l’écran, mais se crispe en constatant qu’il est dans sa chambre, chez ses grands-parents plutôt qu’à la maison.

— Coucou, mon Trésor, signé-je avant de lui envoyer un baiser. Comment tu vas ? La journée s’est bien passée ?

Robin se redresse sur son lit et éloigne l’écran pour pouvoir signer. J’aperçois Louis, assis à même le sol à ses côtés, encore vêtu de l’une de ses tenues de travail. Je ne fais aucune remarque, malgré la curiosité et l’agacement. Nul doute que Monsieur a travaillé toute la journée et a finalement laissé Robin chez ses parents plutôt que de passer l’après-midi avec lui. Il ne fait même pas semblant, pas l’effort pour que je ne m’en rende pas compte. Il s’en fiche, à croire qu’au contraire, il aime que je sorte de mes gonds.

— Oui, Papy et Mamie m’ont emmené au zoo. J’ai vu des girafes avec des cous grands comme ça ! signe-t-il en écartant les bras au maximum.

— C'est super, mon Chéri ! Moi, j'ai fait du jet ski aujourd'hui, il faudra que je t'emmène en faire, un jour, tu vas adorer ça. Comment va Papa ?

Je m'attèle à faire comme si de rien n'était au sujet de son père qui ne semble pas vouloir participer à la conversation. Au moins un parent sur deux responsable… ou il en a marre de jouer la comédie, je n'en sais trop rien puisque nous ne parlons presque plus.

— Il va bien, commence-t-il avant de tirer son père par la manche. Regarde Papa, Maman est trop jolie !

— Bonjour Oriane, dit-il sobrement. Robin a raison, tu es magnifique. On dirait que tu fais plus d’efforts quand je ne suis pas là…

J'aurais pu anticiper sa réflexion mais j’étais trop enthousiasmée par ce weekend pour y réfléchir, et si son objectif est de chercher le conflit, il rêve. Je vais me contenter de m’énerver intérieurement. Je ne me départis pas de mon sourire et leur envoie un baiser.

— Merci, mes Amours. Je dois filer, je suis déjà en retard. Je vous souhaite une bonne nuit. A demain soir !

— Amuse-toi bien, Maman, signe Robin alors que Louis se contente d’un grognement.

Je raccroche après avoir signé un “je t’aime” et m’observe une dernière fois dans le miroir avant de récupérer mon sac à main et de sortir de ma chambre. Je tombe nez à nez avec Rachel qui a la main levée pour frapper à la porte, la détaille des pieds à la tête alors qu’elle fait de même avec moi. Les filles sont devant l’ascenseur et nous les rejoignons rapidement en nous complimentant mutuellement pour notre tenue. Rach porte à merveille un pantalon tunique qui met en valeur sa taille fine et son décolleté. Elle est, comme d’habitude, absolument divine.

Nous profitons d’être toutes les sept dans l’ascenseur pour prendre une photo de groupe en selfie, puis demandons à l’hôtesse d’accueil si elle peut faire une photo. J’avoue, notre petit groupe est canon.

Nous entraînons Rachel à pied dans les rues de Deauville et lui bandons les yeux avant la dernière intersection. Elle pépie d’excitation, et je crois bien que nous sommes toutes plus ou moins dans le même état d’esprit. Si Rach n’a pas conscience de l’endroit où elle entre, en ce qui nous concerne, c’est très clair.

Le Lotus Club.

Des clubs de striptease où les femmes se dénudent, il y en a partout. En revanche, ceux où tous les employés sont des hommes ne courent pas les rues. Je crois qu’il n’y en a qu’un sur la côte Normande, ce qui fait de cet endroit un lieu plutôt sélect où il faut réserver des mois à l’avance pour avoir droit à des spectacles privés. Quand la patronne m’a appelée la semaine dernière pour nous proposer d’être les premières à tester un nouveau spectacle très prometteur en rodage, Mel et moi n’avons pas hésité. Une petite ristourne et une tournée supplémentaire offertes pour donner notre avis sur le show, comment dire non ?

Le Club est vraiment classe, et un beau gosse nous accueille en pantalon très ajusté et gilet de costume noir sans manche ouvert sur son torse musclé. Une cravate desserrée pend sur sa peau nue, terminant de rendre ce type vraiment canon et désirable. Rachel va adorer être servie par des types habillés comme ça, elle qui aime tant que Mathieu ne porte rien d’autre que sa cravate…

— Mesdames, bonsoir. Je suis James, c’est moi qui vais m’occuper de vous ce soir. Vous comptez laisser la future mariée aveugle toute la soirée pour la frustrer ? s’amuse-t-il en nous faisant entrer dans la salle principale.

Mon dieu, c’est gigantesque. Sur notre gauche, un bar énorme avec un barman qui doit faire fondre les petites culottes comme neige au soleil. Certains serveurs portent la même tenue que James, d’autres ont uniquement des bretelles sur le dos à la place du gilet. Ils se promènent dans la salle où nombre de femmes sont installées, soit autour des tables près de la scène, soit sur des canapés un peu plus loin. La scène… vide de toute décoration, uniquement de rideaux rouges au fond, et d’une chaise noire sur l’avancée. L’ambiance est intimiste malgré le nombre de places. C’est vraiment classe.

— Vous pouvez lui enlever le bandeau ? Vous faites partie de la surprise, souris-je.

James acquiesce et se place devant Rachel. Le sourire de cette dernière lorsqu’elle découvre les lieux est ultra bright. Rachel tourne sur elle-même et ses yeux s’attardent sur chaque homme présent dans la pièce.

— Bienvenue au Lotus Club ! Je vous emmène dans votre salle privée. Vous pourrez ensuite profiter de la salle principale, mais d’abord, vous aurez droit à la prestation du groupe, suivie de quatre prestations individuelles. Suivez-moi. Roberto, tu fais suivre la bouteille de champagne pour l’EVJF, s’il te plaît ?

Le barman acquiesce alors que nous longeons le bar, et il nous gratifie d’un sourire charmeur qui fait glousser Mélanie, et pas que. Oui, il est vraiment mignon, mais si je m’attarde à dire que chaque mec présent ici l’est, je vais y passer la nuit.

Nous empruntons un couloir sombre qui débouche sur une salle plus petite, dans les même tons rouge et noir que le reste. Nous nous installons sur un grand canapé en U et nous retrouvons rapidement avec une coupe de champagne en main. James nous informe que le show va commencer dans quelques minutes et nous passons le temps en papotant.

Tout le monde arrête de parler lorsque la porte s’ouvre pour laisser entrer quatre montagnes de muscles vêtues de pantalons serrés, de chemises amples à moitié ouvertes et de feutres, auxquels est accrochée une grande plume de couleur, que les hommes tiennent baissés sur leurs visages. Ils se positionnent face à nous et un frisson dévale ma colonne vertébrale lorsque la voix de Nina Simone entame “I’m feeling good”. Le groupe commence à bouger et je souris en observant Rachel. Il y a dix ans, elle avait fait appel à des gars venus dans la maison qu’elle avait louée, et ils s’étaient révélés plutôt décevants. Là, dans l’ambiance du Club, la tension est bien plus présente, la sensualité est palpable, même si j’avoue que voir les filles toutes à fond et le sourire jusqu’aux oreilles me fait rire.

Je reporte finalement mon attention sur les stripteaseurs alors qu’une nouvelle chanson remplace la voix de Nina Simone, et entends Mélanie couiner que c’est celle de Magic Mike. Honnêtement, les quatre mâles qui se donnent en spectacle, le visage toujours baissé sous leur chapeau, n’ont rien à envier à Channing Tatum, pour le coup.

Je me fige quand mon regard en croise un que je connais. Bon sang, je n’avais absolument pas pensé que David, le colocataire de Hugo, pourrait bosser ici. Lui aussi m’a repéré et son sourire remplace le masque sérieux et séducteur qu’il arborait quelques secondes auparavant, alors qu’il lançait son feutre droit sur Rachel en se postant à quelques mètres de nous seulement. Je dois rougir comme pas possible, d’être repérée dans un club de striptease, ça me met vraiment mal à l’aise. Lui ne s’en formalise pas, il en joue même, je crois, et poursuit la chorégraphie alors que ses trois acolytes, postés derrière lui, effectuent les mêmes mouvements. Je n’arrive pas à détacher mon regard de lui, même lorsqu’il saute de la petite scène et approche de nous. Rachel est déchaînée à mes côtés, et c’est peu de le dire vu comme elle tend les mains lorsque David se poste devant elle, et moi, je me fige lorsqu’il se penche pour me parler, tout en posant les mains de ma meilleure amie sur son torse.

— Je sais que je suis beau gosse, mais tu devrais regarder les autres… Surprise !

Je fronce les sourcils et l’observe alors qu’il se remet totalement dans le show, offrant à la future mariée tout ce qu’elle désire, puis mon regard se porte sur les trois autres stripteaseurs qui n’ont déjà plus leur chemise. Celui de gauche siffle pour attirer notre attention, logiquement portée sur David, et il envoie son chapeau dans notre direction en même temps que celui de droite. L’homme au centre, lui, recule de quelques pas et a arrêté de danser, son feutre en main, et je bloque littéralement sur les deux prunelles bleues qui me scrutent sous des sourcils froncés. Celle-là, je ne l’avais pas vue venir… Non, pas du tout. Hugo, stripteaseur ? Merde alors !

Si je bloquais sur David, j’avoue que là, je suis littéralement figée. C’est comme si le temps venait de s’arrêter. Je n’arrive pas à discerner ce qu’il ressent à l’idée que je sois là, que je sache qu’il bosse ici… Moi-même, je n’arrive pas à savoir si Hugo en stripteaseur, c’est quelque chose qui me surprend de manière positive ou négative. Je ne l’aurais jamais imaginé faire ça. Pourtant, quand il se reprend et jette un œil à ses collègues pour poursuivre leur chorégraphie, je dois bien constater qu’il bouge à merveille. Il me gratifie d’un clin d’œil et me lance son chapeau, et je ne peux qu’apprécier les mouvements de ses hanches et les roulements de ses muscles sous sa peau. Si je suis totalement honnête avec moi-même, le voir virer son pantalon m’excite plus que je ne le devrais. Si toutes les filles à mes côtés sourient et rient comme des bienheureuses, moi je sens mon sang s’échauffer. J’ai raté ça, le jour où nous nous sommes retrouvés en tête à tête. Je me suis éloignée de lui pour ne pas fauter, et je le retrouve là, à quelques centimètres de moi lorsqu’il vient récupérer son chapeau, puis encore plus près tandis qu’il attrape mes mains et les pose sur la ceinture de son pantalon. Merde… Je ne suis plus du tout en capacité de réfléchir quand il me fait signe de tirer pour le lui arracher, et encore moins au moment où il se retourne pour me présenter son postérieur musclé.

J’ai fui tout ça… parce que je suis faible, ou au contraire, parce que j’ai voulu rester forte pour mon mariage, et voilà que le hasard me sert le mec sur qui je fantasme depuis plusieurs mois sur un plateau d’argent… à poil, avec pour seul accessoire ce feutre qui cache sa nudité. Et si les filles s’esclaffent à mes côtés, moi je n’ai plus du tout envie de rire…