35. Sur la plage, l’avenir abandonné

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Oriane

[Salut, Hugo. Est-ce que tu serais dispo ce midi ?

J’aimerais qu’on discute…]

J’hésite encore avant de finalement envoyer ce message que j’ai écrit et effacé un nombre incalculable de fois. Depuis samedi dernier, je n’arrête pas de repenser à ce qui s’est passé dans la chambre d’amis. Je me sens terriblement honteuse. Mais, le pire, c’est que ce n’est pas seulement parce que j’ai trompé mon mari. Non… j’ai honte d’avoir arrêté Hugo. J’ai la sensation d’avoir profité de lui. Le pauvre !

Je soupire en éteignant mon ordinateur. Impossible de bosser, ce matin. J’ai fait bonne figure en début de semaine, me suis convaincue qu’il valait mieux ne jamais aborder ce sujet avec qui que ce soit, mais quand je ferme les yeux, j’ai l’impression de pouvoir encore sentir ses mains sur mon corps, sa bouche… cette jolie bouche qui m’a fait voir des étoiles… Oui, difficile de faire comme si rien ne s’était passé.

Je file me préparer, quittant ce peignoir qu’il a déjà ouvert avec le plus grand naturel possible, comme si c’était normal, attendu… Je me morigène de ne plus penser qu’à lui alors que mon couple bat de l’aile. Je devrais être en train de tout faire pour le sauver, non ? Et donc, proposer à mon mari de déjeuner avec moi plutôt que de le faire avec l’un de ses employés. Sauf que je n’ai aucune envie de partager un moment en tête à tête avec Louis, qui ne parle que de l’agence, ne s’intéresse qu’à lui. Et puis, de toute façon, je n’ai même pas besoin d’aller vérifier son planning pour savoir qu’il doit être occupé. Il l’est tout le temps.

J’hésite devant mon dressing. Il est clair que vu la situation, il faut que j’évite de jouer avec le feu. Sauf que, si Hugo accepte mon invitation, j’aimerais aller sur la plage, profiter du soleil et rester en public. Oui, ça vaut mieux. Mon cœur fait un salto dans ma poitrine quand j’entends sonner mon téléphone. Je me retiens de me précipiter dessus et enfile une robe longue et ample, prends le temps de la boutonner avant de lire enfin sa réponse.

[Si tu veux, oui… On se retrouve où et à quelle heure ?]

Je soupire, sans trop savoir quoi penser de nos échanges. On est bien loin du moment torride partagé, ou de nos joutes pleines de sous-entendus à l’agence. J’ai merdé, je le sais, et j’en prends d’autant plus conscience maintenant.

Je lui réponds en l’invitant à partager un moment sur la plage du phare quand il sera en pause, lui disant que j’apporterai de quoi déjeuner, et file en cuisine pour préparer des sandwichs. J’ai tout le loisir de me demander si la plage n’a pas un côté trop romantique, si le repas n’est pas trop ridicule, si je dois apporter du vin, si… Bon sang, tout ceci est totalement ridicule et je sens le mal de tête arriver à force de me triturer les méninges.

Il est midi lorsque je me gare sur le parking près du phare, et je ne sais toujours pas ce que je vais bien pouvoir lui dire. La vérité, c’est que mon cerveau a sa version du discours, et que mon corps n’est pas d’accord. La logique et l’impulsivité se font face dans un combat acharné. Je m’apprête à sortir de ma voiture quand mon mobile sonne dans mon sac, et je souris en constatant que Rachel semble lire dans mon esprit et toujours appeler lorsque j’ai besoin d’elle. Pour un conseil, ou pour me changer les idées, m’empêcher de penser.

— Salut, Rach. Je te préviens, si tu m’appelles pour me parler encore de la déco de ton mariage, je bloque ton numéro, souris-je.

— Eh bien, tu es de bonne humeur, toi ? Si je ne peux même plus parler de mon mariage avec ma meilleure amie, j’appelle qui, moi ?

— Je suis de très bonne humeur, mais je n’en peux plus de ton débat existentiel sur la couleur des nœuds sur les chaises, ris-je. Et pas la peine d’essayer de me tirer les vers du nez pour ton EVJF, c’est secret, je ne te dirai rien. Comment tu vas, sinon ?

— J’espère qu’il y aura de beaux mecs ! Parce qu’après, je ne pourrai plus profiter de la marchandise, s’écrie-t-elle, enjouée. Tout va bien pour moi. Mathieu est un amour, ce matin, il m’a offert des fleurs ! Et toi, tu as des nouvelles du beau gosse ?

Je soupire en sortant finalement de la voiture. Forcément, Rachel a voulu tout savoir de ce tête-à-tête dans la chambre du deuxième, allant jusqu’à me dire que Mat et elle ne l’avaient même pas encore baptisée et que nous aurions pu être les premiers si je n’avais pas été aussi sérieuse et… conne. Je n’arrive pas à croire qu’elle me pousse à tromper Louis, c’est totalement dingue.

— Je lui ai envoyé un message ce matin pour qu’on se voie pour discuter. Je m’en veux de l’avoir lâché comme ça, même si c’est lui qui est parti, techniquement…

— Juste pour discuter ? Ne recommence pas à le tenter avant de le refroidir, il va finir par se lasser, sinon !

— Juste pour discuter, oui. Et pour m’excuser, et lui dire qu’on en restera là. Donc, ton EVJF… J’attends encore la réponse de ta cousine. Pour le reste, je crois que tu auras du mal à te remettre de ce weekend !

Finalement, discuter de ça me semble préférable. Je suis prête à lui révéler ce que sa sœur et moi avons prévu, plutôt que d’aborder le sujet “Hugo, l’agent-pas-de-police-mais-beau-gosse”. Oui, Rach est du genre à donner des surnoms bizarres, parfois. Elle rit encore quand elle me parle de cette histoire de menottes…

— Je sens que ça va être un weekend enrichissant, j’ai hâte ! Par contre, tu vas pas me faire parader en ville comme je l’ai fait pour toi, hein ?

— Bien sûr que non, je ne suis pas aussi cruelle que toi, ris-je.

Ce ne sera pas en ville. Juste sur la plage… avec un costume aussi ridicule que celui qu’elle m’avait réservé. Je ne suis pas aussi cruelle, mais un peu rancunière, quand même.

Mon cerveau court-circuite en apercevant Hugo sortir de sa voiture. Je n’avais même pas fait attention qu’il était arrivé. Il est classe, dans une chemise beige et un pantalon plutôt moulant noir. Je n’avais pas du tout pensé au fait qu’il n’aurait pas la tenue adéquate pour partager un moment sur la plage…

— Rach, je te laisse. Hugo est là… A plus tard !

Je n’écoute sa réponse que d’une oreille distraite et raccroche en m’obligeant à lâcher des yeux le beau brun qui approche en déboutonnant ses manches pour les remonter sur ses avants-bras solides, ses lunettes de vue remplacées par des solaires qui lui donnent un côté encore plus sexy qu’il ne l’est déjà d’ordinaire.

Je sors de mon coffre notre repas et une couverture avant de lui adresser un sourire gêné, tout à coup mal à l’aise.

— Merci d’être venu…

— Merci pour l’invitation. Je me demandais quand on pourrait reparler de ce qu’il s’est passé chez Rachel. Et je suis désolé d’avoir dépassé les limites… Je… je ne voulais pas causer un tel rejet de ta part.

— C’est moi qui suis désolée, soufflé-je alors que nous traversons la route pour descendre sur la plage. J’aurais dû… Enfin, je n’aurais pas dû m’engager là-dedans sans être certaine de pouvoir aller au bout des choses. Je ne voulais pas te blesser ou t’utiliser, j’espère que tu ne m’en veux pas trop.

Il me suit un instant en silence et m’aide à installer la couverture sur le sol avant de répondre, en sasseyant à mes côtés, le regard tourné vers la mer.

— C’était vraiment si nul que ça ? me demande-t-il. C’est bien la première fois que je me fais larguer comme ça, si tôt dans une relation…

— Quoi ? Non, non ! Bien sûr que non ! rétorqué-je vivement avant de souffler lourdement pour me calmer. Il n’est en rien question de toi, Hugo, je t’assure. C’est moi, mon mariage, ma famille…

— Je sais, je te mets dans une situation compliquée. Tu m’as ramené quoi de bon à manger ? J’ai une faim de loup et vu que tu n’es plus au menu, il va falloir que je me rabatte sur autre chose.

Je souris, le remerciant silencieusement de ne pas faire un drame de tout ça ou me reprocher quoi que ce soit, et sors du sac mes victuailles. Je n’ai pas fait du trois étoiles, mais j’ai garni nos sandwichs de petites douceurs qui ravissent toujours mes papilles.

— Pas d’allergies alimentaires ? J’espère que tu aimes les crevettes et l’avocat. Et que tu n’as rien contre la mayonnaise maison. Désolée pour tes abdos !

Je rougis et lui tends son sandwich en repensant à ce moment que nous avons partagé chez Rachel. Mon cerveau et mon corps ont mené une lutte acharnée quand il est sorti de la chambre. Mon corps a pris un uppercut après l’orgasme, comme si ma raison venait le piétiner… Pourtant, je n’étais pas loin de le poursuivre dans les escaliers pour le supplier de revenir. J’avais follement envie que nous ne fassions plus qu’un, je voulais sentir sa peau contre la mienne, me retrouver emprisonnée sous lui, le sentir m’envahir… Oui, si j’écoutais mon corps, nous ne serions pas sortis de cette chambre sans une partie de jambes en l’air… Si seulement je ne cogitais pas tant.

— Je peux faire un petit écart, je crois que mes abdos ne risquent pas grand-chose. Et j’aime bien les crevettes. Bon choix ! Au moins, sur ce sujet.

— Au moins sur ce sujet ? Tu m’en veux ?

— Disons que j’aimerais que tu sois claire avec moi, Oriane. Je ne t’ai pas forcée à venir dans la chambre, il me semble. Tu es venue de ton plein gré. Tu n’as rien dit non plus quand je t’ai déshabillée et… bref, je sais que je suis mal placé pour demander quoi que ce soit à une femme mariée, mais j’aimerais savoir ce que tu comptes faire avec moi. Et je suis prêt à te laisser tranquille, vraiment, mais j’ai besoin que tu me le dises. Je ne suis pas du genre à m’imposer là où l’on ne m’attend pas.

Je soupire et me perds un moment dans la contemplation de la mer et du Havre, de l’autre côté de cette bande d’eau. Ce que je veux… Penser à moi, pour une fois ? J’aimerais tellement en être capable, et je me sens d’autant plus coupable que ce que je veux, en imaginant ça, c’est Hugo.

— Tu as raison, ce n’est pas correct envers toi d’être aussi ambivalente et j’en suis désolée, sincèrement. La vérité, c’est que je ne peux pas faire ça à Louis, même si j’en ai envie… Je lui dois la vie que je mène aujourd’hui, tu comprends ? Sans lui… Et puis, il y a Robin. Je ferais tout pour lui… Comment le regarder en face si je trompe Louis ? Quel exemple est-ce que je donne à mon fils ? Je… La question n’est vraiment pas de savoir si tu me plais ou si j’en ai envie, parce qu’il est évident que la réponse est oui… mais je suis engluée dans ce mariage, et… je reste persuadée que tu mérites mieux qu’une aventure avec moi.

— Je crois que c’est à moi de décider ce que je mérite ou pas, mais je comprends ton positionnement. J’espère que Louis se rend compte de la chance qu’il a de t’avoir… Tu n’as pas prévu de dessert ? Je crois que j’ai besoin d’une petite sucrerie, ajoute-t-il en me regardant en face, son air triste et résigné me faisant comprendre que mon message est bien passé.

— Il y a des éclairs au chocolat au fond du sac, sers-toi. Robin et moi les avons préparés hier soir. Je vais passer pour une gourmande à la maison, mais fais-toi plaisir. Je suis vraiment désolée, Hugo, soufflé-je en posant ma main sur la sienne lorsqu’il attrape le sac.

— Tu n’as pas à être désolée, je comprends tout à fait ta décision, tu sais. Et ça t’honore, même si ça fait un peu de mal à mon égo. Je n’ai pas l’habitude de voir une femme résister ainsi à mes charmes, dit-il en me faisant un clin d’œil.

— A ce point-là ? Tu es donc un vrai tombeur ? ris-je. Une petite écorchure à ton ego ne peut pas te faire de mal, dans ce cas…

— Oh si tu savais, elles sont toutes folles de moi ! Heureusement que tu es là pour me faire revenir sur Terre. On reste amis quand même ? Je peux maintenir ma proposition de soutien si tu en as besoin ou tu préfères vraiment tout couper ?

Je vois qu’il n’ose pas me regarder et se concentre sur l’éclair au chocolat qu’il enfourne avec gourmandise.

— Si tu penses que l’amitié est envisageable, ça me va.

Pas vraiment, en fait, mais il va bien falloir que nous nous contentions de ça. Tout en n’étant pas trop démonstratifs non plus. Toute l’ambivalence de Louis réside dans sa jalousie alors qu’il semble totalement se foutre de moi à la maison. Ne manquerait plus qu’il remarque que j’apprécie un peu trop Hugo…

— Tout est envisageable et, personnellement, je préfère avoir un peu de toi que plus du tout. Alors amis ?

Il me tend sa main qui est pleine de chocolat, le réalise et éclate de rire avant de l’essuyer sur une des serviettes que j’ai ramenées pour me la tendre à nouveau. Je la lui serre, non sans avoir eu droit à un petit flashback de cette grande main sur mon corps. Oui, moi aussi je préfère avoir un peu de lui plutôt que rien du tout, mais j’ai l’impression que ce peu va être une réelle torture…

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