20. Un verre et ça dégénère

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Hugo

Ce soir, c’est relâche. Ni David, ni moi n’avons à sortir et c’est tellement rare de nous retrouver tous les deux à l’appartement que nous avons décidé d’en profiter un peu. David est mon meilleur ami depuis si longtemps, c’est dommage de ne pas pouvoir profiter plus de notre proximité.

— Eh bien, Natalia a vraiment fermé le Lotus Club pour la soirée ? Tu crois que les travaux de réparation de la scène vont être vite réalisés ? Que je sache comment va se passer la fin de la semaine.

— J’en sais trop rien. Deux jours, ça devrait leur suffire, non ? J’espère que ça ne traînera pas trop, même si d’un autre côté, un peu de repos ne fait pas de mal.

— Ça te dit qu’on aille se prendre un verre sur le port ? Il fait bon et on pourrait en profiter pour se détendre un peu. Je t’invite !

— Tu veux sortir alors qu’on est tous les deux là ? rit David. Besoin de te trouver une nénette ? J’en suis, mec !

— Je ne suis pas en recherche, tu sais. Depuis Valérie, je n’y arrive plus vraiment. Mais bon, ça n’empêche qu’avec cette température, il va y avoir beaucoup de robes légères et le spectacle ne devrait pas être déplaisant.

Je prends mon portefeuille et nous sortons ensemble, sous le beau soleil qui règne ces jours-ci. Nous allons prendre place au bar le plus près, où nous avons nos petites habitudes et nous nous installons côte à côte, de manière à voir les touristes passer et pouvoir observer les bateaux sur le port. C’est un petit coin de paradis en Normandie et, pour rien au monde, je ne déménagerais.

— Tu as réfléchi à la proposition de Natalia ? Tu sais, celle où elle veut faire des spectacles avec plusieurs stripteasers ? Tu te vois faire un show avec un autre ?

— Carrément ! Ça va faire grimper la température comme pas possible, ça, elles vont être chaudes comme la braise ! sourit-il en se frottant les mains. T’imagines les fantasmes, pour elles ? Pas un, mais quatre ou cinq pompiers, cowboys ou n’importe quoi… Orgie de muscles et de peaux luisantes… Ouais, elles vont adorer ça, les clientes.

— Tu crois pas que ça va faire un peu YMCA ? Genre un groupe de garçons gays qui va plaire plus aux mecs qu’aux nanas ? Parce que s’il n’y a que du muscle, ça va pas forcément les exciter, je crois.

— Hugo, les YMCA c’est pas la référence des femmes qui viennent au Club aujourd’hui, tu sais ? Ce serait plutôt Magic Mike, et c’est tout sauf un groupe de gays, elles adorent ça. Et puis, à plusieurs, chorégraphier une danse, ça peut être génial.

— Tu as déjà l’air vraiment convaincu, toi. J’avoue que je ne sais pas ce que ça peut faire. Il faut trouver des mecs qui n’ont pas trop d’égo et acceptent de partager l’attention des spectatrices. Mais c’est vrai que Magic Mike, ça donne, il faut juste trouver le bon équilibre parce que je suis convaincu que l’écueil YMCA est présent…

— Avec les jumeaux, je suis sûr que ça peut donner quelque chose de bien. Ils se prennent pas la tête et ont déjà dansé tous les deux. Le seul problème, c’est qu’ils va falloir supporter leurs blagues pourries.

— Tu m’étonnes ! ris-je. Un vrai sacerdoce, ça ! Mais avec deux beaux mecs comme ça, c’est clair que le show peut être super chaud.

Mon attention est détournée par une silhouette qui approche lentement, les yeux tournés vers l’horizon où le soleil est en train de baisser derrière les mats des voiliers amarrés sur les quais. La jolie femme qui s’approche de nous n’est autre qu’Oriane qui a l’air complètement perdue dans ses pensées et ne nous a même pas vus.

— Oriane ! l’interpelé-je, tu viens prendre un verre avec nous ?

— Hugo ? s’étonne-t-elle avant de sourire en approchant. Bonsoir, Messieurs. Je ne veux pas interrompre votre observation du monde !

— On était plutôt en train de mater les jolies femmes comme toi, lui lance David en se levant pour lui faire la bise, à sa grande surprise. Ça nous ferait plaisir que tu viennes nous tenir compagnie.

— Je… D’accord, pourquoi pas. Merci pour l’invitation, souffle-t-elle en s’installant face à nous.

Je profite de ce petit moment pour l’observer. Je ne me suis pas du tout trompé quand j’ai dit qu’on allait pouvoir profiter de la vue sur les jolies femmes avec des robes légères parce qu’Oriane en est le modèle parfait. Elle porte une longue robe d’été fleurie qui se noue derrière le cou et qui laisse apparaître non seulement ses belles épaules dénudées mais aussi un magnifique décolleté. Elle s’est installée sur son fauteuil en osier et a croisé les jambes, ce qui nous permet à David et moi, de profiter d’une vue imprenable sur elle. Je crois qu’elle est magnifique et qu’elle ne s’en rend pas compte et, alors que son regard est toujours dirigé vers l’océan, mon ami et moi échangeons un regard appréciateur.

— Tu as abandonné ton fils et ton mari ou alors c’est eux qui font une activité entre mecs sans t’avoir invitée ? lui demandé-je pour essayer de la sortir de son apparente mélancolie.

— J’avais besoin de prendre l’air, ce soir. C’est moi qui ai abandonné le navire pour éviter de tout casser. Bref… Et vous, alors, des colocataires qui vont boire un verre ensemble… Vous ne vous lâchez pas, à ce que je vois, sourit-elle.

— C’est beaucoup plus rare que tu ne le croies, répond David. D’habitude, je passe mon temps sur scène et pour une fois que je suis libre, on a décidé d’en profiter. On a bien fait, on dirait, pour te donner un peu de compagnie et t’éviter de déprimer.

— C’est clair que ça nous fait plaisir de te voir. Il s’est passé quoi pour que tu aies besoin de prendre l’air ? C’est Louis qui fait des siennes encore ?

— Eh bien, on n’est vraiment pas discrets pour que tu aies déjà vu les failles… mais il n’est pas le seul responsable, ce soir… Robin s’est battu aujourd’hui, et la directrice de l’école a privilégié la version des deux petits cons qui malmènent mon fils plutôt que la sienne. Il est… disons qu’un enfant sourd et muet est déjà silencieux, si en prime il boude et refuse d’en discuter, c’est la mort à la maison.

— Ah oui, pas facile, ça. Tu aurais dû le convaincre de venir, je suis sûr que j’aurais pu le dérider.

— En attendant, c’est la maman qu’on va dérider, rigole David. Tu prends quoi ? Un mojito ? Un truc plus fort ?

— Je vais partir sur de la Tequila, ce soir, je pense. Ça fait longtemps et c’est le cocktail idéal pour me dérider, sourit-elle. J’espère ne pas plomber votre soirée !

— Franchement, vu la vision que tu nous offres, il faudrait être fou pour croire que tu vas nous embêter ! ne puis-je m’empêcher de lui dire en l’observant sans cacher l’intérêt qu’elle déclenche chez moi.

— Attends que j’aie un coup dans le nez et que je me mette à me plaindre de mon mariage foireux et de mon mari qui préfère passer sa vie à son agence plutôt que… Enfin, ouais, non, je m’arrête là, soupire Oriane en grimaçant. Tu vois, je vais vous pourrir votre soirée.

Je crois qu’effectivement, elle a un peu envie de relâcher les vannes ce soir car dès que sa Tequila arrive, elle en prend une grande gorgée et le rouge lui monte aux joues.

— Eh bien, quelle descente ! se moque David.

— Il faut se méfier des apparences. Ce n’est pas parce que j’ai l’air sage que je le suis réellement ! D’ici à ce que je ne me souvienne plus d’où je vis, il n’y a qu’un pas… ou quelques Tequila.

— Eh bien, à notre soirée pour oublier alors !

Je trinque avec elle et nos regards se croisent. C’est comme si rien d’autre n’existait et quand David annonce qu’il a finalement un autre rendez-vous et doit nous laisser, aucun de nous deux ne réagit. Nous le saluons distraitement et reprenons notre discussion.

— Je ne comprends pas comment Louis peut faire pour ne pas être aux petits soins tout le temps avec toi. Enfin, ça me fait plaisir parce que ça veut dire que tu es ici, avec moi, et pas avec lui.

— C’est compliqué, dirons-nous… Je crois… Louis est quelqu’un d’ambitieux, il a toujours voulu être son propre patron et développer son affaire. Il a ses priorités, et ce n’est clairement pas moi, mais c’est normal, après tout. Merci de m’avoir proposé de me joindre à vous, je suis partie de la maison sur un coup de tête, je ne savais pas trop quoi faire de ma peau, et c’est plus agréable d’être ici avec toi que perdue au milieu de la foule.

— Je crois qu’il se trompe dans ses priorités, murmuré-je sans la quitter des yeux alors qu’elle sirote sensuellement sa Téquila. Tu as essayé de lui parler et de lui faire réaliser ce qu’il manque ?

— Crois-moi, ça fait des mois que je lance l’alerte, mais c’est de pire en pire… Avant, il ne déconnait pas avec Robin, mais ça commence à arriver et c’est ça qui me dérange. Je veux dire… Dix ans ensemble, je comprends qu’il puisse se lasser après tout, mais notre fils n’y est pour rien, lui.

— C’est sûr qu’il faut toujours faire attention aux enfants, même quand on a des problèmes dans son couple. Ils n’y sont effectivement pour rien.

Un petit silence s’installe entre nous et je ne sais pas comment gérer l’instant. Il n’y a pas de gêne, pas vraiment, mais il semblerait qu’aucun de nous deux ne veut prendre la parole. Nous nous contentons de nous observer et je constate que ses tétons commencent à apparaître à travers le tissu. Est-ce simplement parce qu’une petite brise s’est levée ou bien est-elle dans le même état d’excitation que moi ? Je la trouve tellement désirable, tellement jolie…

— Tu as froid ? Tu veux rentrer chez toi ? Si tu veux, je te raccompagne.

— Ça ne te dérange pas ? Je suis venue à pied, je n'aime pas trop marcher seule de nuit, j'avoue…

— Eh bien, allons-y, moi, j’adore marcher la nuit, surtout en charmante compagnie.

Je me lève et elle m'emboîte le pas alors que nous nous dirigeons lentement vers chez elle. Nous prenons notre temps et nous nous frôlons à chaque pas. J’aimerais lui prendre la main, la serrer contre moi, mais nous pourrions faire une rencontre et je ne veux pas faire jaser autour d’elle. Lorsque nous arrivons à l’entrée de sa rue, je m’arrête et elle ne se stoppe que quelques pas plus tard car elle n’a pas remarqué que je n’étais plus à ses côtés.

— Il vaut mieux que je te laisse rentrer seule, ça risquerait de jaser si on nous surprend ensemble.

— Tu as raison, je n'ai pas réfléchi. Je crois que la Tequila m'est un peu montée au nez. Je… Merci de m'avoir proposé de vous rejoindre, c'était agréable…

Elle revient vers moi et une fois encore, nos regards sont irrémédiablement attirés l’un vers l’autre. C’est fou et je me demande ce que je fais là, avec une femme mariée qui, en plus, est un peu alcoolisée. Franchement, dans le genre mauvaise idée, on fait difficilement pire.

— C’était un vrai plaisir, je suis content de voir que tu as retrouvé un peu le sourire.

— C'est plutôt cool de ne pas avoir comme seul sujet de conversation un enfant ou de simplement discuter sans se disputer. Je… Merci, vraiment, sourit-elle avant de déposer un baiser appuyé sur ma joue.

— C’était vraiment un pur bonheur, rétorqué-je doucement alors que j’ai l’impression de toujours sentir ses lèvres sur ma peau.

Oriane acquiesce en souriant et approche à nouveau, et je suis surpris de sentir ses lèvres se poser sur les miennes avec douceur. Son corps se presse contre le mien quelques secondes avant qu'elle ne recule brusquement.

— Pardon, je… Bon sang, excuse-moi, je ne sais pas ce qui m'a pris… Enfin, si, j'en avais envie, mais… merde, je ne suis pas… Pardon, Hugo, bafouille-t-elle en fuyant mon regard.

Ce n’est pas la première fois qu’une femme m’embrasse sans que je m’y attende mais je pense que c’est la première fois que je perds autant mes moyens. Je n’arrive pas à trouver mes mots et, devant mon silence, Oriane se retourne et s’éloigne de moi en précipitant ses pas. Quel con, elle va penser que ça m’a choqué ou que je n’ai pas aimé. Je ne peux pas la laisser partir comme ça ! Je n’ose pas la suivre mais je lui lance avant qu’elle ne prenne trop de distance :

— J’ai adoré ! La soirée et le baiser ! Bonne nuit !

Elle fait une pause dans sa marche mais ne se retourne pas et reprend sa marche pour entrer chez elle, me laissant seul, sur ce trottoir désert d’Honfleur. Je ne sais pas trop ce qu’il s’est passé, mais franchement, je m’en moque. Je suis dans la merde parce que je suis en train de flirter avec une femme mariée, mais cela n’a aucune importance, à ce moment précis. Tout ce à quoi je pense, c’est que je suis heureux. Carpe Diem.

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