21. Soirée chagrin, matin espoir

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Oriane

Je dépose devant Robin un yaourt au citron et embrasse son front au passage avant de me réinstaller face à lui. Je n’aurais pas dû dresser la table pour trois, l’assiette encore propre à côté de moi nous fait de l'œil et nous rappelle depuis le début du dîner, qu’une fois de plus, Louis a fait un choix quant à ses priorités.

— Est-ce que les CM2 t’ont embêté, aujourd’hui ? osé-je lui demander.

Robin a repris le chemin de l’école aujourd’hui, et j’ai passé ma journée à me demander comment il allait être traité. J’aurais pu reporter mon rendez-vous de vendredi à ce jour, mais je savais d’avance que je ne serais pas dans de bonnes dispositions pour l’assurer. Parce qu’évidemment, Louis n’a pas pu se libérer vendredi et j’ai dû faire avec, le calant mercredi matin comme d’habitude. J’ai presque l’impression qu’il préférerait que je ne puisse pas être financièrement indépendante, parfois, mais c’est la contrariété qui me fait imaginer de telles choses, je crois.

— Non, ils n’ont rien fait mais leur groupe me regarde comme un monstre et certains s’amusent à me faire des grimaces, signe-t-il. Mais ne t’inquiète pas, je n’ai pas réagi, je les ai ignorés et j’ai joué avec Julie. Elle parle super bien ma langue.

— Je crois que sa grand-mère est sourde, alors elle a dû l’apprendre à la maison, souris-je alors que la porte d’entrée claque dans son dos. Je sais que ce n’est pas facile de ne pas répondre, Trésor, mais tu fais le bon choix. Je suis fière de toi, tu sais ?

— Papa aussi, tu crois ? me demande-t-il alors que Louis entre dans la pièce.

— Bien sûr que Papa est fier de toi, Trésor ! Pourquoi ce ne serait pas le cas ? lui demandé-je alors que l’intéressé se stoppe en comprenant ce que je viens de signer.

— Parce qu’il ne me le dit jamais, répond Robin qui n’a toujours pas remarqué que son père est là.

Je lutte pour ne pas dire n’importe quoi. Robin n’y est pour rien. Il ne doit pas être impliqué dans nos problèmes de couple. Je me le dis et me le répète chaque fois que c’est nécessaire.

— Il n’y a pas toujours besoin de le dire, tu sais ? Papa n’est pas très démonstratif, mais il suffit de voir dans ses yeux comment il te regarde. Je peux t’assurer qu’il est très fier de toi, Trésor. Nous sommes très fiers de toi, tous les jours. N’en doute jamais.

Louis avance finalement et fait sursauter Robin en posant ses mains sur ses épaules avant de l’embrasser sur le dessus de la tête. Puis il vient dans ma direction et m’embrasse sur la joue sans que je lui accorde la moindre attention. En retard, même pas là pour le dîner, rendez-vous manqué vendredi dernier, j’avoue qu’il accumule les boulettes. Et moi, alors ? Moi qui ai osé embrasser un autre homme ? C’est ce qu’on appelle une grosse boulette, non ?

Robin ne tarde pas à demander à quitter la table et je choisis aisément mon camp, l’aidant avant de monter prendre une douche pendant qu’il se prépare pour aller au lit. Nous laissons Louis dîner seul, et le vrai problème, c’est que je n’éprouve pas une once de culpabilité en ce qui le concerne. La seule chose qui me gène, c’est que mon fils ait envie de punir son père en écourtant le peu de temps qu’ils peuvent passer ensemble.

Je couche notre petite terreur et profite d’un petit câlin avant qu’il ne tombe comme une masse. Louis arrive trop tard pour le voir encore éveillé et il soupire avant de l’embrasser. J’ai envie de rester là, avec mon fils, plutôt que de rejoindre le lit conjugal. Je pourrais très bien monter bosser, mais je n’ai pas la force de subir le regard contrarié de mon époux parce que je le fuis, pas l’envie d’ajouter de l’huile sur ce feu déjà bien vif, alors j’attrape sa main lorsqu’il me fait signe de me lever et le suis dans notre chambre. Je me déshabille et enfile une nuisette pendant qu’il prend sa douche, me glisse sous les draps et récupère mon livre sur la table de chevet pour m’occuper l’esprit et les mains. Louis sort finalement de la salle de bain, une serviette de bain nouée autour de la taille, ses cheveux blonds encore dégoulinants d’eau. A une époque, cette vision m’aurait rendue folle de désir… J’ai l’impression qu’une éternité est passée depuis.

Le silence est assourdissant dans la pièce. C’est comme ça depuis la semaine dernière, en vérité. Depuis le soir de l’exclusion de Robin, depuis qu’il m’a dit qu’il ne pourrait pas prendre sa journée de vendredi. Depuis que je suis partie de la maison en lui disant que j’avais besoin d’être loin de lui, que j’étais épuisée par son égoïsme et son éloignement. Cette ambiance est pesante, mais j’en ai marre d’être conciliante et je n’ai pas envie de faire le premier pas, de chercher, une fois encore, à être arrangeante pour apaiser les tensions.

— Tu sais que tu es belle, même quand tu boudes ? dit-il en se couchant à mes côtés, sans oser trop s’approcher.

Est-ce que c’est normal que son compliment ne me fasse aucun effet ? Pas de petit sourire qui naît sur mes lèvres, pas de palpitant qui s’emballe, pas de rougeur qui s’installe sur mes joues ? Et pourquoi j’imagine qu’il veut juste, une fois de plus, me calmer à coups de compliments ? Me calmer ou tirer son coup, d’ailleurs. Mince, pourquoi est-ce que j’ai une telle opinion de lui, en ce moment ?

— A croire que tu me trouves plus jolie quand je boude, soupiré-je.

— Oh que non, Chérie. J’ai horreur de te voir si loin de moi. Mais je le mérite, je crois… Je peux te faire un câlin ?

— Tu espères qu’en me prenant dans tes bras, je vais oublier que tu es rentré à pas d’heure ? Ou qu’on a passé le weekend chacun de notre côté ? Remarque, ça ne change pas vraiment des weekends précédents, dispute ou pas, soupiré-je en déposant mon livre sur la table de chevet. J’en ai marre de tout ça, Louis…

— Moi aussi, j’en ai assez. Je t’aime, Ori, et j’ai horreur de ce froid qui s’est installé entre nous. J’ai besoin de toi dans ma vie, même si je déconne en ce moment…

— Tu dis que tu déconnes mais tu ne fais jamais rien pour changer les choses. C’est… Je ne veux pas finir ma vie comme ça, tu comprends ? A passer après tout le reste, à me sentir seule et délaissée. Je ne te demande pas de tout arrêter, de me choisir moi plutôt que l’agence, mais j’ai besoin de retrouver mon mari. Je suis paumée, Louis, je crois que même quand j’ai appris que j’étais enceinte, je ne me sentais pas aussi seule que ces derniers mois, soufflé-je, les larmes aux yeux.

— Ne pleure pas, Ori… Je… je t’aime et je vais changer. On ne peut pas continuer comme ça, en effet.

Il s’approche de moi et m’entoure de ses bras, un peu maladroitement mais avec une volonté affichée de combler l’espace entre nous deux, aussi bien physiquement que psychologiquement. Je soupire de contentement en sentant son corps contre le mien. Moi aussi, j’ai besoin de lui dans ma vie, et j’ai besoin de ça, de cette bulle de tendresse, de cette attention. Dix ans que je lui donne tout ce dont je suis capable et que je fais tout mon possible pour le satisfaire, c’est tout ce que je demande en échange. Un minimum d’attention…

— Je t’aime aussi.

Pas comme je le devrais, pas comme il le voudrait, mais l’amour est bien là, caché sous ces ressentiments et cette tristesse qui me gagne depuis quelque temps. J’ai peur de couler, je pleure de plus en plus souvent même si j’arrive à tenir le coup face à eux. J’en ai parfois marre de me battre pour tout et tout le temps, il m’arrive d’avoir juste envie de partir, de m’éloigner de ce quotidien pesant, et ça me fait peur.

Je me love contre lui et savoure ce petit moment d’apaisement. Nous pourrions parler, encore, mais le silence est loi, et je crois que chacun de nous pense à mille et une choses différentes. Est-ce que ses pensées sont dirigées vers l’agence et le boulot qui l’attend ? Ou c’est notre famille qui le préoccupe ? Est-il seulement capable de lâcher du lest au boulot ?

Je ne me suis pas sentie plonger dans le sommeil, et c’est le petit corps de mon fils qui se blottit contre moi qui me réveille. Un sourire fleurit sur mes lèvres, même si je m’étonne de le savoir levé sans que j’aie eu à aller le réveiller. Je le serre contre moi et récupère mon téléphone pour regarder l’heure. Pourquoi n’a-t-il pas sonné ? Je suis en retard.

J’ouvre les yeux et fronce les sourcils en constatant que Louis est debout, au bord du lit, un plateau bien fourni dans les mains. L’odeur du café surplombe le parfum de mon grand bébé et je reste muette, totalement incrédule. Ai-je atterri dans une autre dimension ? Est-ce que je rêve ? Qu’est-ce qui se passe ici ?

— Bonjour Chérie ! Désolé, il n’y a pas les croissants, mais tout le reste est là ! Je te sers ?

— Heu… Oui, je veux bien. Je ne suis pas malade, tu sais ? Je… je n’ai pas entendu mon réveil, c’est tout, ris-je en m’adossant contre la tête de lit tandis que Robin s’installe en tailleur au milieu.

— Les tartines, c’est Robin qui les a coupées et tartinées ! Tout seul et pour toi ! On a été actifs pendant que tu dormais, petite marmotte ! dit-il, un sourire aux lèvres, en remplissant mon mug de café chaud.

— Merci… Vous êtes des amours, signé-je avant de récupérer la tasse qu’il me tend.

Louis vient s’installer de son côté et glisse le plateau devant notre fils. Je constate qu’il y a un bol de lait chaud et qu’il y a de quoi nous nourrir tous les trois. Dimension parallèle, c’est définitif. Mon mari déteste les petits déjeuners au lit, ça laisse des miettes, ça pique. Il n’a pas tort, mais j’avoue que ce matin, c’est juste un bon coup de baume sur mon petit cœur malmené. Je dévore les tartines préparées par mon fils et finis par aller me blottir contre le corps chaud de Louis, tasse à la main. Sans manquer le petit sourire qui se dessine sur le visage de Robin. Une bouffée d’oxygène de voir ses beaux yeux pétiller de satisfaction quand son père m’enlace et dépose un tendre baiser sur mes lèvres.

— On va être en retard pour l’école, soupiré-je quand il vient nous rejoindre pour un câlin, manquant de renverser le plateau au passage.

— Ne t’inquiète pas, il est déjà prêt et moi aussi. Je vais le déposer dès qu’il se sera lavé les dents. Tu vas pouvoir paresser un peu au lit, si tu le souhaites.

Je me retiens in extremis de rire et de lui demander ce qu’il a fait de mon mari. Est-ce que mon état, hier soir, l’a finalement réellement interpellé ?

— Eh bien… Merci, Chéri, je… Merci.

Voilà que j’en perds mes mots et bafouille. Mince, je n’ai pas envie qu’il soit mal à l’aise alors qu’il fait un effort, ce matin. Effectivement, Robin est habillé, et il quitte la chambre dès que son père lui demande de filer se brosser les dents. Je me sens totalement observatrice de cette scène que je n’ai pas vue venir.

— C’est toi qui devrais rester au lit de temps en temps, tu en aurais bien besoin.

— Si je reste au lit, je te saute dessus et je serais en retard pour l’école, on ne va pas tenter le diable, quand même !

— Je te parlais d’une grasse-matinée, de farniente, espèce de pervers, ris-je en caressant sa joue fraîchement rasée. Filez, et évite de t’en prendre à la directrice, elle te porte en haute estime, tu la décevrais.

— Je t’aime, Chérie, à tout à l’heure.

Il se penche vers moi et m’embrasse avec tendresse avant de me laisser, toujours aussi étonnée au fond de mon lit. Robin déboule quelques secondes plus tard pour m’offrir un baiser à l’odeur mentholée et un sourire comme je n’en avais pas vu depuis un moment sur sa petite bouille, et je me retrouve seule dans mon lit, à me repasser les événements depuis mon réveil. C’est juste dingue, je peine à y croire. Et au milieu de ces pensées, celle qui s’infiltre dans mon esprit me fait grimacer. Embrasser Louis, c’est agréable, un retour à la maison, une douceur rassurante, oui… mais embrasser Hugo… c’était partir en voyage, avoir la sensation qu’une caresse, qu’une parole, pourrait m’enflammer de la tête aux pieds, en vouloir plus, tout de suite. C’était une folie que je ne parviens pas à regretter, même si la culpabilité s’est jointe au plaisir. Je suis mal, vraiment très mal.

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