08. Le marché de la dispute

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Hugo

Maintenant que le long discours de Louis est enfin terminé, c’est à moi de m’avancer au milieu de la petite assemblée pour m’exprimer. Je suis un peu intimidé, je n’ai pas l’habitude de parler comme ça devant les autres, mais je prends mon courage à deux mains et me lance.

— Merci à tous pour cette attention aujourd’hui avec ce petit pot d’accueil et merci surtout à vous pour votre confiance. Je ne vais pas faire long, Louis a déjà tout dit et à en rajouter, je risquerais de le contredire. Et, comme vous le savez si bien, le Chef a toujours raison, surtout quand on est en période d’essai !

Je laisse passer les quelques rires et en profite pour observer les personnes présentes. Mon attention est vite attirée par Oriane qui me regarde avec une intensité toute particulière. Je continue mon petit discours en expliquant pourquoi j’ai voulu rejoindre l’agence et ce que j’ai envie d’y apporter. Rapidement, j’arrive à ma conclusion.

— Voilà, je vais juste terminer en vous disant que je suis ravi de rejoindre votre équipe et que je vais tout faire pour que vous soyez satisfaits de mon travail et pour que l’agence continue à se développer. A votre santé !

Je lève mon verre et tout le monde fait de même avant de m’applaudir. Louis vient me retrouver et me serre à nouveau la main avant d’être accaparé par Vianney qui lui montre son téléphone. Un peu isolé, étant le seul à ne pas être en couple ou en famille, je me dirige vers Fabienne qui est un peu à l’écart avec son mari, un petit homme chauve et qui apparaît vraiment mal à l’aise dans cette petite fête.

— Vous faites toujours ça quand un nouveau collaborateur arrive ? J’ai l’impression que Louis veut garder un esprit familial, non ?

— Oui, c’est un bon patron et il aime ce genre de petites sauteries. Il travaille tellement, il faut dire… Tout le monde s’entend bien ici, j’espère que cette ambiance va te convenir.

— Oui, ça a l’air plaisant, même si j’ai l’impression que certains sont venus un peu par obligation.

Je jette un œil au mari de Fabienne qui sirote sa boisson en silence et ne participe pas vraiment à la conversation.

— Oh, tu parles de Joseph ? rit-elle. Oui, bon, mon mari est un sauvage, mais il boit et mange à l’œil, alors il ne se plaint pas. Ou pas trop !

Nous continuons à échanger différentes banalités et je parviens à tirer quelques mots de Joseph avant d’aller vers la table où sont les boissons pour me resservir. Je me retrouve à côté d’Oriane qui pose sa main en même temps que moi sur la bouteille de champagne.

— Oh, laissez-moi vous servir !

Je lui souris et tends la bouteille vers sa coupe, ce qui me permet une nouvelle fois de l’observer. Elle est vraiment superbe avec son petit débardeur et sa veste en cuir qu’elle a conservée malgré la température agréable de la pièce. Et ses yeux sont magnifiques avec tous leurs reflets dorés qui semblent étinceler.

— Merci. A votre embauche, alors, sourit-elle en cognant sa coupe contre la mienne. Si vous avez besoin de tuyaux sur tout le monde ici, n’hésitez pas, je suis à mon deuxième verre, je vais devenir bavarde.

— C’est vraiment étrange de se revoir ici après notre rencontre aux Restos. Je n’y aurais pas cru si on me l’avait prédit, et j’avoue que ça me fait plaisir. Comment va Robin ? Il n’est pas des nôtres ?

— C’est vrai que c’est une sacrée coïncidence. Robin va bien, il doit être en train de faire des bêtises avec sa marraine à la maison, sourit-elle. Il avait un rendez-vous chez… Enfin, vous vous en fichez sûrement. Bref, il va regretter de ne pas être venu, vous lui avez fait forte impression rien qu’en lui tirant la langue. Est-ce que vous allez continuer à faire du bénévolat aux Restos, malgré ce poste ?

— Je vais essayer, oui. A priori, si je m’organise bien, Louis est d’accord pour que je garde mes mercredis après-midis, ce qui me permettra de continuer mon bénévolat. Il faudra juste que je travaille plus les autres jours. C’est un vrai challenge de tout concilier, vous savez ?

— Oh j’en ai bien conscience, croyez-moi… Mais ne vous faites pas manger par les ambitions de Louis et relevez le challenge. Travailler, c’est bien, encore mieux quand on fait ce qu’on aime, mais ça ne reste qu’un job. Il y a tellement plus important…

— Et vous, vous travaillez dans un domaine qui vous plaît ?

Je suis curieux d’en savoir plus sur elle et j’apprécie ce petit moment que nous partageons. Rien que pour cette petite discussion, je suis content de participer à ce pot.

— Je m’y remets doucement, mais oui. Je suis graphiste, un peu à la traîne, j’ai dix ans de retard, si on peut dire. Je me suis entièrement consacrée à Robin durant les premières années de sa vie, c’était nécessaire, vu son handicap. Alors je reprends doucement.

— C’est vrai que maintenant qu’il est plus grand, ce sera plus facile. Et vous ne travaillez jamais pour l’agence ? Je suis sûr que Louis pourrait utiliser vos talents, non ?

— Vous plaisantez ? rit Oriane. De la main d’œuvre pas cher, voyons. C’est moi qui m’occupe de tout ce qui touche au graphisme ici, et je peux vous assurer que mon patron est très exigeant.

En parlant de patron, il se ramène avec Vianney et tous les deux ont l’air très excités, vu la façon dont ils viennent nous voir.

— C’est formidable, Hugo ! Tu nous portes chance, on dirait. Vianney vient de recevoir un message de la mairie et ils veulent bosser avec nous !

— Vraiment ? Et pour faire quoi ? Il faut qu’on leur trouve des terrains quelque part ?

— Non, la ville est déjà propriétaire des terrains, et ils sont en train d’y faire construire des pavillons, que nous aurons à charge de vendre. C’est une sacrée opportunité pour l’agence !

— Et une horreur visuelle moderne au beau milieu de nos bâtisses typiques de Normandie, soupire Oriane. Heureusement que c’est excentré.

Je regarde plus en détail l’écran du téléphone de Vianney pour comprendre de quoi il s’agit et me dis que c’est effectivement une belle opportunité pour l’agence.

— Oh, et il y a une réunion ce jeudi pour discuter des modalités du marché. Tu souhaites que j’y participe, Louis ?

— Oui, bien entendu ! Nous y allons tous ! On ne peut pas manquer une telle occasion de remporter le marché !

— Tous ? Vraiment tous ? demande la femme de mon patron. Vous avez besoin d’être autant sur place pour vendre des maisons d’ici six mois ?

— Il faut qu’on montre notre sérieux, oui. Si j’y vais tout seul, précise Louis, ils vont croire qu’on n’a pas les moyens de suivre leurs demandes.

— Je vois… Donc, je m’assieds sur mon anniversaire de mariage. Est-ce que ton fils pourra au moins compter sur toi pour le cours de tennis ou c’est trop demander ? rétorque-t-elle d’un ton las avant de se tourner vers nous, l’air gêné. Pardon, je… Excusez-nous une minute, je vous emprunte le patron.

Nous les regardons s’éloigner sans que personne n’ose faire de remarque. Vianney continue à échanger sur les marges que l’on va pouvoir faire sur cette opération et, quelques minutes plus tard, je m’excuse à mon tour pour me rendre aux toilettes. J’ai à peine refermé la porte derrière moi que j’en entends autre claquer et les voix un peu étouffées d’Oriane et Louis dans le couloir. Même si ce n’est pas correct, la curiosité l’emporte et je prête l’oreille.

— Non, mais Chérie, on fêtera l’anniversaire le lendemain ! Ou le weekend ! Pourquoi tu t’énerves comme ça ?

— Pourquoi ? Parce que tu as décidé qu’on passerait la journée ensemble, que j’ai décalé mes rendez-vous pour le faire et qu’une fois de plus je passe après ta satanée agence, excuse-moi d’en avoir marre, Louis !

— Mais un marché comme ça, je ne peux pas le laisser passer ! Je te promets que je prends tout mon vendredi à la place, tu vois, je fais des efforts !

— Non, laisse tomber, j’ai des choses plus importantes à faire vendredi. Dix ans de mariage, merci pour la considération, vraiment. Fais attention, Louis, c’est notre mariage que tu laisses passer. Et tu as intérêt d’être là pour le cours de tennis, je te préviens. Tu peux me décevoir tous les jours, j’y survivrai, mais ne fais pas n’importe quoi avec Robin. Tu as voulu t’impliquer dans sa vie, il est bien trop tard pour faire machine arrière.

Je n’entends pas la suite car ils s’éloignent, mais quand je reviens dans la pièce principale, l’ambiance est clairement moins enjouée. Oriane et son mari sont chacun à un bout de la pièce et Louis enchaîne les coupes en discutant avec Fabienne qui cherche à modérer sa consommation. Je discute de mon côté avec la femme de Vianney qui semble faire tout son possible pour maintenir un peu de gaité dans ce pot, mais rapidement, Etienne et sa famille s’en vont, provoquant ainsi le départ de tous les invités. Quand je m’en vais à mon tour, il ne reste que Louis et Vianney à l’agence. Je les salue alors que notre patron semble particulièrement éméché. J’espère qu’il ne va pas rentrer en voiture, mais ce n’est pas à moi de m’inquiéter pour lui. Je suis le petit nouveau qui débarque et ça serait malvenu de lui faire des remarques, que ce soit pour ses consommations ou pour la façon dont il traite son épouse. Quand on a une femme aussi merveilleuse qu’Oriane dans sa vie, on devrait y faire plus attention. Moi, je sais qu’à sa place, si j’avais la chance d’avoir une épouse comme elle, tout passerait au second plan !

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