Chap 3

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Jamais je n'ai jusqu'à lors ressenti le moindre danger. Ce gamin me teste. Je souris tout d'abord gentiment :

— I feel perfectly safe in this country and with you. (je me sens parfaitement en sécurité dans ce pays et avec toi)

S'il est de bonne foi et juste en train de tester nos limites, il devrait se sentir flatté de notre confiance et ne plus rien tenter. Toutefois, il insiste. Mon sourire se fait plus carnassier :

— No, it's safe here. In France, it can be dangerous. I was attacked once, I had to fight ! I broke her nose. (non, c'est sur ici. En France, cela peut être dangereux. J'ai été attaquée une fois. J'ai dû me battre. J'ai cassé son nez.)

C'était vrai mais à la suite d'une dispute dans un bus qui a mal tourné. Je sens qu'il ne me croit pas. Je tiens à marquer le panier en ajoutant un petit détail :

— She bled everywhere on my coat ! She ruined it ! I regretted that I couldn't hurt her more. (Elle a saigné partout sur mon manteau ! Elle l'a ruiné ! J'ai regretté que je n'avais pas pu lui faire plus mal.)

Je vois son sourire devenir un peu plus crispé. J'imagine ses pensées : mais c'est quoi cette gonzesse qu'il essaie de chopper ? Il se rassoit dans son siège. Je sens le regard d'Adeline. Je lui explique en français qu'il vaut mieux que l'autre comprenne que s'il tente quoi que ce soit, je lui pète la tête. Le message semble d'ailleurs passé. La conversation reprend sur différents sujets, comme si de rien n'était. Dix minutes après pourtant, il demande si quelqu'un sait que nous sommes ici et si nous avons averti des amis. Notre famille par mail, mais elle ne pourrait pas faire grand-chose. Je n'hésite pas une seconde :

— Yes, we met Natalia. She work at our hostel. She is very nice and we will go to the restaurant together tonight.

La recette du bon mensonge est de toujours se rapprocher de la vérité. Nous avons un peu discuté avec cette Natalia, bien sympathique mais nos contacts se sont arrêtés là. Pas de restaurant de prévu. Il semble rassuré.

Nous nous arrêtons un peu pour remplir le réservoir d'une essence à l'odeur bien différente de notre sans-plomb. Cette autoroute à six voies – trois de chaque côté – est presque déserte. Autour de nous, de la steppe à perte de vue. C'est un paysage désertique où fleurit pourtant les buissons épineux, les oiseaux et où nous croisons de temps à autres, des troupeaux de chevaux ou de chameaux. Dans de tels étendues, je comprends pourquoi le peuple Kazakh est nomade. Pourquoi s'arrêter à tel ou tel endroit sur une terre si pauvre ? Le sol doit être si caillouteux que le moindre soc s'y briserait au bout de vingt centimètres de sillon. Cette végétation rude ne peut que nourrir les troupeaux pendant quelques semaines.

Nous reprenons la route. Cette vieille mercedes blanche est notre caravane. Notre guide nous pointe d'étranges murailles à l'horizon : les murs de Sauran. Peu après, nous croisons un unique panneau : Saura 1 km. Nous continuons pourtant notre route durant de longues minutes. Tout me semble normal mais je sens Adeline paniquer :

— Ils nous emmènent où ? On l'a dépassé depuis longtemps.

— Tu veux que je demande ?

Elle acquiesce.

— Where do we go ? (où allons-nous ?)

— We have to wait to go back. (nous devons attendre pour revenir)

Pas besoin de traduire à Adeline, elle a compris. Apparemment, tous les kazakhs ne sont pas autant à l'aise pour faire demi-tour sur l'autoroute. Pas de malentendu : les glissières du milieu s'interrompent parfois et les conducteurs plus intrépides s'y aventurent. Le nôtre a décidé de jouer la carte de la prudence. Cela me rassure et m'arrange : le vent qui s'engouffre par la fenêtre ouverte du conducteur me rafraîchit. Je me laisse aller à une torpeur due à la chaleur et à la fascination de ces étendues vides. Bientôt nous refaisons demi-tour et arrivons à un petit chemin de terre sortant à angle droit de l'autoroute. Passer du bitume tout neuf à une piste poussiéreuse me fait sourire. Quelques instants plus tard, nous y sommes. Je m'assure que le conducteur nous attendra bien.

Nous sommes vraiment au milieu de nulle part et pourtant devant nous, des murailles de terre à demi-écroulées, plus hautes que nous. Nous traversons un petit pont de bois, tout récent. Une tranchée s'étend devant nous, je ne la vois presque pas, je suis un petit sentier qui grimpe près des murailles. Nous allons avoir une meilleure vue. Une partie écroulée m'offre la steppe : une autoroute, une locomotive qui passe. Je n'avais pas vu la voie ferrée. Partout ailleurs, des buissons à perte de vue, écrasés par la chaleur et ce ciel d'un bleu irréaliste, sans un nuage. Je me retourne et je vois la surface du relai de la route de la soie, ceinte par ces murs. Cette étape est à l'image du Kazakhstan : gigantesque. Tout est grand dans ce pays même les étapes au milieu de nulle part.

J'essaie de m'imaginer ce que cela pouvait être quelques siècles auparavant : les files de chameaux entrent dans la cour, s'abreuvent à un puis, se couchent. Quelques chevaux autour. Je vois des bandes de soie échangées, des contrats conclus, des mains qui se serrent, des déchargements et des chargements, des odeurs animales, des cris humains, de l'effervescence et de la vie dans tout ce désert. Ça a dû être beau, magique. Je comprends mieux les dangers d'une telle route et l'émerveillement face à des peuples et des coutumes de plus en plus exotiques. À cet instant, je voudrai avoir un périscope qui voit au-delà des siècles, pour regarder ce passé et pourquoi pas ? Le vivre ?

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