Chap 4

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Mais il n'y a que ces murs nus et délabrés. Quelle pitié, quel dommage. Le tourisme n'est vraiment pas développé ici. En France, un musée au moins, une ville sans aucun doute se seraient installés autour de ces ruines. Notre guide ne semble pas comprendre l'intérêt de ces ruines. Moi qui n'apprécie pas plus que ça l'histoire, j'essaie de la lui faire toucher du doigt. Il se demande pourquoi nous venons de si loin pour voir ça. Je lui explique Marco Polo et la route de la soie. De nombreux européens rêvent de partir sur ses pas et de revivre le rêve. Aujourd'hui, à cet endroit, je comprends mieux ceux qui esquissent ce désir.

Nous longeons une partie des remparts. La chaleur est accablante. Je tends la bouteille d'eau à mes compagnons. Adeline, photographe attitrée, prend les clichés pendant que j'occupe notre guide. Je bois à mon tour. Elle est chaude. Je plaisante : on pourrait y infuser du thé. Nous tombons d'accord : nous n'allons pas faire le tour de ces remparts. Nous en longeons à peine un quart avant de repartir vers le centre. Nous découvrons alors là des fouilles. Naïve, je pense à des archéologues. Le guide me parle de reconstruction, Adeline aussi. Je suis contrainte de me rendre à l'évidence : les murs dégagés sont trop bien conservés. J'ose espérer qu'ils rebâtissent en suivant les tracés dégagés par les historiens. Mais ces travaux m'annoncent en ce lieu une ère nouvelle : celle du tourisme mieux organisé. Pourquoi pas ? Cela gagnera en explications historiques ce que cela perdra en charme. Nous rentrons.

Notre guide tente une nouvelle approche : suis-je en couple ? Je mens davantage en échangeant ma situation avec celle de mon amie : je me marie en Juin prochain. Mon petit ami doit se retourner dans son lit, lui qui est contre le mariage. L'étudiant décrète qu'il ne veut pas non plus se marier. J'en profite pour lui traduire une phrase amusante de chez nous : « le mariage, c'est résoudre à deux des problèmes qu'on n'aurait pas eu tout seul. » Il rit, le moteur redémarre.

En arrivant dans les faubourgs de Turkestan, je précise à nouveau que nous désirons aller à la gare de minibus pour retourner à Chimkent. L'étudiant ose se lancer : vous ne voulez pas dormir chez moi cette nuit ? Je vous ramènerai demain. Je refuse, rappelant ce rendez-vous au restaurant avec Natalia. Je me rassois dans mon siège. Adeline me tend sa part pour notre chauffeur. Je lui demande :

— On donne combien à notre guide ? Ça doit être comme à Marrakech, il doit attendre une petite rétribution. Après tout, il nous a bien aidé à prendre un taxi. On lui donne combien ? Mille ?

Adeline, la tête sur les épaules comme toujours, me répond :

— Ça fait vingt pourcent du prix total, là. Et puis, il a visité gratuitement grâce à nous.

J'ai des scrupules. Si je me suis sentie mal à l'aise une ou deux fois, le voyage s'est quand même bien passé et j'ai apprécié de discuter avec l'étudiant. J'aimerai quand même le remercier.

— Écoute, j'ai un billet de cinq cents tengue. Je lui dirai de le prendre pour s'offrir une bière. Après tout, ne nous a-t-il pas dit qu'il s'était cuité la veille et que c'était pour ça qu'il s'était pris un café au restaurant où nous l'avons rencontré ?

Elle n'a pas d'objection, cela lui semble raisonnable. Nous arrivons finalement à la station de minibus. Je tends la somme au conducteur de la mercedes, qui me semble légèrement surpris. Peut-être pensait-il être payé par l'étudiant. Je l'ignorerai toujours. Notre guide du moment nous trouve un minibus vers Chimkent. J'achète deux bouteilles d'eau fraiche : les trois litres que nous avions sur nous se sont évaporés dans nos estomacs. Je me prépare mentalement à donner l'argent à l'étudiant, je me retourne et je vois un billet jaune dans ses doigts, tendu vers moi. Mes yeux s'agrandissent. Deux mille tengue ?

— No ! Why do you give me that ? (Non ! Pourquoi tu me donnes ça ?)

— It's my part for the ride. (c'est ma part pour le trajet)

Je ne sais quoi dire. Ce gamin superficiel qui nous a tant inquiétées se révèle plus que fiable et honnête. Nous rions d'aise et de soulagement. Je tente de lui offrir mon billet, qu'il boive une bière en notre nom ce soir. Il refuse, le minibus doit partir. Je me glisse entre les sièges pour atteindre la place en arrière, lui arrachant seulement la promesse de m'envoyer un mail pour garder le contact. Le véhicule démarre, le laissant sur place sans même que je puisse bien le voir partir. Je regrette la méfiance que m'ont inculqué l'occident et la défiance face aux habitants. Pourtant, même à deux, les voyageurs et encore plus les femmes doivent faire attention. Mais si c'est un gage de sécurité, combien de rencontres cela m'a-t-il fait rater ? J'ai apprécié celle-ci et j'ai pu goûter à la gentillesse du sud. Le ronflement du moteur m'anesthésie peu à peu le cerveau. Je passe les heures suivantes à regarder la steppe, fascinée par ce spectacle immuable.

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