Préface

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« Fantôme, vous et votre unité repliez-vous vers la crète… La position fortifiée doit tenir… Nous terminons l’évacuation… Spatioport en sale état… Prenez les dis… »

La transmission fut coupée. Au loin, une flamme bleutée de plusieurs dizaines de mètres de haut s’éleva, rasant au passage le poste de commandement et plusieurs pâtés de maisons. Je pensais, malgré moi, à tous ces gens, les généraux toujours accompagnés de leurs connards de scribouillards, tous vaporisés dans un éclair assourdissant. Le ciel nocturne, autrefois magnifique, était déchiré de toutes parts par les tirs anti-aériens des batteries au sol, leurs bruits de détonations lointaines étaient devenus si naturels que j’avais presque l’impression de ne plus les entendre par moment. Autour de moi, chacun avait été témoin du spectacle : la fin du commandement Conglomérien. L’un de mes soldats s’était tourné vers moi avec le regard d’un homme désespéré sentant la fin venir.

— Sergent ? Quels sont vos ordres ?

Je sentis l’hésitation dans sa voix, il était normal de douter. Moi-même, je n’étais pas à l’abri de ce genre de faiblesse, en particulier dans de tels instants. Je jetai un coup d'œil à ma montre.

Dix minutes.

— On attend le retour de Providence, si dans dix minutes pas de nouvelles de notre buggy, on se replie sur la crête, et on tient la position.

— Bien Sergent !

Le spatioport était en flammes, quelques navettes civiles étaient parvenues à quitter les lieux, mais la plupart n’avait pas atteint l’atmosphère entière. Le vrombissement sourd d’un moteur attira mon attention. Le buggy se fraya un passage au milieu des branches et des sapins desséchés, il heurta une butte de terre et manqua de se renverser. Providence s’extirpa du véhicule, son gilet de combat poisseux de sang.

La tourelle était salement endommagée. Seules deux jambes inertes en dépassaient, il y avait aussi de l’hémoglobine séchée sur une bonne partie de la tôle froissée. Le co-pilote s’extirpa à son tour mais il n’allait pas bien loin et régurgita presque aussitôt le contenu de son estomac. Providence avait une sale mine, les cheveux en bataille dont la plupart étaient agglutinés par divers fluides corporels.

— Rapport ? mon ton laissait sous-entendre une certaine inquiétude, bien que je n’aurais rien avoué.

— Spatioport perdu, la garde s’est laissée submerger par le flanc, la dernière navette a explosé avant de quitter le sol. Elle hocha la tête en direction du Buggy. Explorateur a pris un tir de canon à particules en pleine face durant notre fuite, fini pour lui. Providence fit un pas en avant, l’air presque triste, mais nous n’avions pas le temps de nous attarder.

— Nous prendrons le temps de pleurer si on sort de ce merdier.

Providence hocha la tête, elle n’était pas du genre à pleurer la perte d’un camarade. Elle aurait été à même de comprendre mon point de vue sur la question, sans aucun doute. J'enchainais sans perdre une seconde.

— Le Kommandantur a tiré sa révérence. On doit se replier sur la crête et tenir la position.

— Tenir ? demanda la jeune femme, j’ai hoché la tête.

— Tenir. On va installer quelques tourelles Scorpion ici, ça retiendra et éparpillera les rangs de la Fédération quand ils arriveront. Le buggy ne nous servira plus, piège-le, que le feu d'artifice illumine ces salopards quand ils y toucheront.

— J’en ferai bronzer plus d’un Sergent, comptez sur moi.

Providence me salua puis fit signe à deux soldats de venir l’aider à vider le matériel encore intact à bord du véhicule. Trois Scorpions furent programmés en mode défensif, puis déployés. Les trois carcasses d’acier se déplacèrent jusqu’à se nicher dans des recoins escarpés, là où elles pourraient faire le plus de dégâts tout en étant à couvert. Il y avait encore quelques années de cela, il fallait se casser le cul pour hisser une tourelle à l’endroit voulu, aujourd’hui avec les avancées technologiques, il suffisait d’appuyer sur un bouton pour voir la robotique faire des merveilles. De mon côté, j'organisais la récupération du matériel encore utilisable, nous avions encore trois tourelles en stock, tourelles que je comptais déployer une fois la crête atteinte. Nous avions également en notre possession une batterie d’artillerie mobile, ce n’était pas le plus gros canon possible de trouver, mais il l’était suffisamment pour balayer une unité d’infanterie d’un seul tir. Celui là aussi serait réservé pour plus tard.

Il ne fallut pas plus d’une dizaine de minutes à mes hommes pour rassembler leurs paquetages et se tenir prêts pour le départ de cette ultime marche nocturne, marche qui se solderait par notre baroud d’honneur. Je jetai un regard en arrière et pris conscience de l’ampleur du désastre, la moitié de la cité était en feu et en ruine, les canons anti-aériens continuaient d’abattre des chasseurs s’approchant trop près. Plus haut, dans l’atmosphère, flottait le vaisseau amiral, un cuirassé de classe Brise-Surface qui eut, lui aussi, l’audace de trop s’approcher. Plus tôt dans la journée, un des canons orbitaux -maintenant détruit- l’avait sérieusement touché à bâbord. Il fallait malheureusement plus d’un coup pour descendre un tel vaisseau, et une fois amoché, il n’eut pas d’autre choix que de se mettre hors de portée des canons, nous faisant ainsi gagner quelques heures.

Alors que je rangeais les derniers documents dans mon sac, Providence me fit l’honneur de sa présence, et même de l’ombre d’un petit sourire.

— Buggy préparé. Quatre charges thermiques, quelques réserves de carburant et un déclencheur à distance, au cas où les fédéraux manqueraient de curiosité. Les tourelles sont installées ?

— Depuis plusieurs minutes, mon ton fût plus dur que je ne le pensai. Elles ont une vue dégagée, quand elles auront leur cible, ça sera du tir au pigeon.

— Vous croyez qu’on a une chance ?

— Non. On parle d’une force d’invasion de la Fédération, pas d’une milice locale ou d’un groupe de combattants en Freelance.

— Si nous sommes condamnés, quel sera l’objectif sur le long terme ?

— Emmener le plus de salauds avec nous.

— Ça me plaît, conlut-elle.

En esquissant un sourire, elle saisit son sac. Au loin, les batteries anti-aériennes continuaient de meurtrir le ciel de leurs tirs.

La crête était un endroit stratégique, dernier bastion de défense de la ville, un bloc d’acier conçu pour résister aux bombardements aériens et perché en haut d’un long sentier inaccessible, même pour des blindés anti-gravité. Je dus reconnaître que le type qui avait eu l’idée de construire ça ici devait avoir quelques notions de poliorcétique. L’endroit était suffisamment vaste pour abriter plus d’une centaine de personnes.

À mon arrivée, j'avais demandé à deux éclaireurs d’inspecter le bâtiment, je comptais bien mettre à profit le temps qui me restait.

— Toi, et toi, ai-je dit en désignant deux soldats, ne laissez pas le canon mobile ici, il faut le mettre à l’abri, j’ai pas envie qu’un chasseur de reconnaissance de la Fédération gâche la surprise que nous leur réservons.

— Bien Sergent ! me répondirent-ils en s’activant.

J’étais parvenu à trouver une table sur laquelle j’avais posé une projection holographique de la zone. Voir le terrain en trois dimensions était un avantage, malgré cela, plusieurs minutes furent nécessaires pour que je parvienne à trouver des postes où installer les tourelles. Les estimations quant à l’heure d’arrivée des Fédéraux allèrent bon train dans mon esprit, au mieux, nous avions plusieurs heures avant que ceux-là ne décident de vaporiser la crête. Je profitais alors de la présence de Silence et de Providence pour exposer mes idées. Du bout du doigt, je désignai un point précis sur le holo.

— Ils enverront plusieurs vagues pour tester les défenses et chercher une brèche. Si on se démerde bien, ils n’en trouveront pas et tenteront de passer en force. Leur attaque frontale sera alors sapée par le canon mobile.

— Et ensuite ? Demanda Silence, question qui fut approuvée par un hochement de tête de Providence.

— Ensuite, tout porte à croire qu’ils bombarderont la crête jusqu’à en faire une plaine stérile.

— Cet endroit n’est pas censé résister aux bombardements Sergent ?

— Bien vu. Mais il a été construit pour résister à des attaques conventionnelles, pas pour la puissance de frappe d’un Brise-Surface.

— Fait chier, lâcha finalement Silence, l’air résigné.

— Vous savez quoi faire, rompez.

Pendant une bonne partie de la nuit les hommes installèrent les défenses conformément à mes ordres, puis ils allèrent se reposer sans toutefois oublier d’instaurer des tours de garde, ainsi qu’une patrouille d'éclaireurs en dehors des murs. Pour ma part, j’avais choisi de prendre mes distances et de m’enfoncer plus profondément dans le bastion. Au fil des couloirs, qui m’apparaissaient de plus en plus tortueux, j’atteignis finalement un poste d’observation qui disposait d’une vue panoramique sur la ville située en contrebas.

Ce que j’y vis n’avait rien de réjouissant.

En quelques heures, la plupart des batteries de défense avaient été détruites. La garde locale, qui avait chèrement défendu chaque mètre de terrain, avait perdu une bonne partie de la ville basse, il ne restait plus désormais que quelques poches de résistance qui finiraient bientôt écrasées sous le rouleau compresseur Fédéral. Et nous, nous n’étions qu’une vingtaine de types à qui on avait ordonné de tenir bon face à une invasion.

Au loin, un des canons anti-aériens parvint à descendre un nouveau chasseur. L’appareil ciblé se changea aussitôt en boule de feu, puis explosa au contact du sol.

— Et un de moins.

— Il en reste encore quelques-uns, ajouta une voix féminine que je commençais à bien connaître.

Je me suis retourné, Providence se tenait dans l’encadrement de la porte, difficile de savoir depuis combien de temps elle était là.

— Vous cherchez des réponses dans les étoiles Sergent ?

— Oui, et d’après ce que je vois elles nous pissent à la raie.

Son visage s’illumina d’un rictus. Je la connaissais depuis de longs mois. Que ce fut dans l’espace ou sur la terre ferme, elle était restée fidèle à l’unité malgré l’optique d’une éventuelle promotion qui l’aurait envoyée derrière un bureau à gratter des documents. Un avenir autrement plus radieux que de se retrouver avec les tripes d’un camarade comme soin capillaire. Il faisait sombre, cette partie du bastion mal éclairée m’empêchait de bien voir. Seuls les nombreux tirs et explosions qui scarifiaient les cieux apportaient un peu de lumière. Je pus ainsi percevoir qu’elle avait fait un brin de toilette.

Elle s’avança, se posta près de moi.

Son regard se perdit dans le ciel nocturne.

— Combien de temps ? finit-elle par demander.

— Quelques heures tout au plus. Les forces d’invasion progressent et neutralisent les défenses aériennes. Je ne doute pas de la résistance héroïque des gardes pour défendre chaque mètre carré au prix de leurs vies, mais ça ne suffira pas.

— Et nous on reste planqués là ? Il y avait presque comme une forme de défiance dans son ton.

— Souhait de feu notre commandant. Mourir ici ou en bas, la finalité ne change guère..

Ses doigts fins glissèrent le long de sa plaque, son index s'attarda légèrement sur les chiffres de son matricule. Pensive, elle releva la tête, son regard sombre me saisit et je sentis qu’elle tentait de lire en moi comme dans un foutu livre ouvert.

Je claquai le livre.

— Le dernier combat sera brutal, ai-je fini par ajouter. Nous avons de la chance, notre position est avantageuse au vu de l’arsenal dont dispose la Fédération.

— Si c’est censé me rassurer…

— Au point où nous en sommes Providence, rassurer serait presque mentir. Tout le monde ici sait ce qui va se passer, l’objectif est simplement de tenir le plus longtemps possible, sans espoir de s’en sortir.

— Bon, si tout est foutu, autant en profiter tant qu’on le peut encore.

Un nouveau pas et notre proximité n’eut alors plus rien de protocolaire. La situation dans laquelle nous nous trouvions était somme toute différente de celle qu’un gradé pouvait entretenir avec son soldat, il ne s’agissait plus que d’un face à face entre un simple homme et une femme.

Elle poursuivit.

— Etant donné que nous avons encore quelques heures devant nous, pourriez-vous m’aider à retirer mon gilet ? Le harnais a fondu sous la putain de chaleur qui a flinguée la tourelle, j’ai bien tenté de taper dessus avec une crosse, mais ça tient l’coup.

— Vous vous foutez de moi ?

— Y’a qu'à regarder.

Effectivement, le harnais n’avait pas supporté la chaleur. En même temps, l’énergie que pouvait déployer un canon à particules était en mesure de faire fondre le blindage d’un char, alors une pauvre accroche en polymère… Je compris que ce n’était pas la peine d’essayer quoi que ce soit, je pris alors mon couteau et, d’un coup net, je sectionnai la sangle droite de son gilet de combat. Le poids de l’arme suspendu le fit légèrement pencher.

— Réglé.

— C’est… pour le moins efficace, je dois l’admettre.

Je reculai pour lui laisser un peu de place. Comme pour moi, il valait mieux lui laisser un minimum d’espace vital. Providence détacha la deuxième sangle et retira finalement son équipement après un semblant d'hésitation. Intérieurement, je me demandai ce qui avait pu pousser une jeune femme de son espèce à s’engager dans une unité de mercenaires. Providence dégageait un certain charisme. Son dossier indiquait qu’elle venait de la haute d’une planète sans grande importance. Elle avait tout du pédigrée de la femme influente, le genre de femme à diriger une Corporation marchande ou militaire. Malgré ses bagages, elle semblait préférer se salir les mains, tenir un fusil et ramper au milieu des tripes.

C’était d’ailleurs tout à son honneur.

Il y avait peu de femmes dans mon unité, Providence étant la plus gradée avec son rang de Caporal. D’un grade inférieur, il y avait Espérance et Victoire. J’étais évidemment plus proche de la première, au vu de son titre. En cas de problème, je savais que je pouvais compter sur elle pour surveiller mes arrières. C’était une belle femme qui jouissait notamment de rondeurs bien placées et d’une silhouette capable d’attirer les convoitises de plus d’un homme. Ses mèches brunes demeuraient attachées en queue de cheval, le plus souvent par commodité.

Mon regard se porta vers l'extérieur, une nouvelle ligne défensive semblait avoir cédé, les détonations se faisaient encore plus lointaines, il devenait encore plus évident que la Garde ne passerait pas la nuit. Profitant de mon manque de vigilance, Providence se rapprocha, son gilet et son arme soigneusement posés sur une table. Je me retournai avec l’intention de lui demander ce qu’elle foutait, mais un doigt fin se posa sur mes lèvres de sorte à m’imposer le silence. De son autre main, elle saisit la mienne et la pressa contre la courbe de son sein. Le contact réveilla quelque chose de bien précis. Providence baissa légèrement les yeux avant d’émettre un léger gloussement.

— Vous n’êtes donc pas aussi insensible que vous le laissez paraître... “

Je ne répondis pas et préférai venir glisser ma seconde main, libre celle-ci, sous son haut, venant ainsi doucement caresser cette pointe saillante qui me faisait de l'œil depuis quelques secondes. Son téton, traversé par une petite barre en acier chirurgical, se durcit au contact de mes doigts, Providence laissa échapper un bref soupir. Elle me repoussa, mais revint à la charge presque aussitôt. D’une main ferme, elle agrippa fermement mon entre-jambe pendant que je plongeais mon visage dans sa poitrine ferme, nue.

Les souvenirs se firent fragmentaires avant de disparaître dans un tourbillon de flashes et d’images lointaines qui représentaient mon passé.

Je ne me souvenais plus que du goût de sa peau.

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